« Grèves de Limoges 19 avril 1905. Funérailles de Vardelle. Les couronnes et drapeau rouge de la bourse du Travail »
La gauche limougeaude se divise un temps. En 1906, Léon Betoulle, adjoint démissionnaire (avec 27 autres élus sur 33) de la municipalité Labussière, conduit une liste socialiste S.F.I.O., « ouvrière », opposée à une liste républicaine socialiste conduite par le Dr Raymond, autre démissionnaire, et à la liste conservatrice du Dr François Chénieux – qui finit par l’emporter et devenir maire (comme en 1892), malgré le meeting de Jean Jaurès venu soutenir la gauche (L’Assiette au beurre titra : « Faites-nous peur, Monsieur Jaurès, parlez-nous de Limoges ! »). Battu, Emile Labussière quitte Limoges pour les colonies et meurt en 1924 à … Perpignan. En 1908, c’est le ponticaud Louis Goujaud, ouvrier porcelainier, qui est tête de liste S.F.I.O., mais échoue à reprendre la mairie à Chénieux. C’est en 1912 que la gauche reprend Limoges, où elle s’ancre encore plus et qu’elle conserve – à l’exception de l’Occupation – jusqu’en 2014. Mais Louis Goujaud, le mieux élu de la liste, doit céder à Léon Betoulle le fauteuil de maire lors d’une élection où les ponticauds présents à l’Hôtel de Ville conspuent son adversaire. Le ponticaud meurt huit ans plus tard et un monument est érigé par souscription à la mémoire de cet « ami du peuple ». De même que la plaque funéraire de Camille Vardelle (réalisée d’après une photographie) inscrit dans le paysage limougeaud la mort de celui-ci – « tué par des balles françaises » –, élevée au rang de symbole de la lutte ouvrière. Sa tombe est d’ailleurs l’occasion de nombreuses manifestations de commémoration. Par ailleurs, Marcel Vardelle, le cousin de Camille, orphelin pauvre, relieur, syndicaliste, secrétaire de la section S.F.I.O. du Pont Saint-Martial, est député de 1932 à 1940. Il illustre à sa manière – de façon « familiale » – comment 1905 a marqué et influencé des destins individuels.
A Limoges, les luttes sociales et politiques s’écrivent aussi dans la pierre (et sur les plaques des rues).
Mais elles nourrissent et sont commémorées, aussi, par la littérature et la poésie. Ce fut notamment l’un des travaux d’écriture de l’écrivain – et surtout poète – limousin Georges-Emmanuel Clancier, ancien élève du Lycée Gay-Lussac de Limoges, âgé de plus de cent ans au moment où j’écris ces lignes, issu par sa mère d’une lignée d’ouvriers porcelainiers. De 1956 à 1961, Robert Laffont publie son roman Le Pain noir, qui raconte la vie d’une famille pauvre, les Charron, dans une ferme du Limousin puis à Limoges, entre 1870 et la fin de la Première Guerre mondiale. Cathie, petite paysanne devenue ouvrière, est l’héroïne de cette saga mélancolique. C’est le feuilleton télévisé en huit épisodes de 90 minutes, créé et réalisé par Serge Moati et diffusé du 20 décembre 1974 au 3 février 1975 sur la deuxième chaîne de l’O.R.T.F. qui permet à l’œuvre de rencontrer un vaste public, en Limousin, en France et à l’étranger. Le moment du tournage à Limoges est d’ailleurs un moment fort d’appropriation de cette histoire – qui fait la part belle aux événements de 1905 – par la population des années 70 et participe alors à sa manière au renforcement d’une identité de gauche. L’œuvre poétique de Clancier – extrêmement belle, publiée par Gallimard – est aussi inspirée par les évènements et plus largement par ce que furent les conditions de vie des paysans et des ouvriers : ses Poèmes du Pain noir en témoignent. « La poésie, pour moi, toujours se lie au souvenir », a dit celui que la Ville de Limoges a fini par honorer en 2013, alors qu’il avait déjà 99 ans, par une exposition à la Bibliothèque Francophone Multimédia, à l’occasion de la remise officielle des quatre manuscrits originaux du roman.