Hôtel de Ville de Limoges (c) Paul Colmar et Limoges années 1950, 60, 70 (Geste Editions)
Les historiens ont noté que – faute de véritable réflexion à propos de l’urbanisme – Limoges se développe de manière désordonnée : il s’agit de loger une population qui s’accroît rapidement, passant de 30 000 habitants environ en 1841 à 75 000 à la fin du siècle, puis 98 000 en 1926). L’incendie du quartier des Arènes en 1864 permet une rénovation urbaine plutôt modeste. « Inventeur du Limoges moderne », Ernest Ruben (1818-1900), entrepreneur et mécène, passionné par l’émail, trace néanmoins les plans d’une dizaine de quartiers : Beaupeyrat, avenue du Midi, secteur de la gare, de la place Carnot, de la place de la Céramique, du square des Emailleurs, des Halles Centrales (le petit marché Dupuytren est transféré place Carnot). Ces dernières – magnifique exemple d’une architecture de fonte conçue par deux ingénieurs, élèves des techniques d’Eiffel, Levesque, qui travailla longtemps avec le directeur des études d’Eiffel, et Pesce – sont décorées par une frise de 328 carreaux en porcelaine de la manufacture Guérin, représentant des animaux et des végétaux vendus in situ. Lors de l’inauguration du 15 décembre 1889 par le maire Emile Labussière, une salve d’artillerie est tirée, une distribution de bouillon, pain et café est organisée pour les pauvres, la musique municipale joue son répertoire et le soir, un banquet est donné à l’Hôtel Vialle pour les propriétaires, constructeurs et collaborateurs. L’Hôtel de Corps d’Armée est construit en granit place Jourdan, entre 1865 et 1867. En 1879, l’architecte parisien Charles-Alfred Leclerc, grand prix de Rome, construit le nouvel Hôtel de Ville, symbole du pouvoir municipal républicain, grâce au legs d’Alfred Fournier – avec un soubassement en granit des Monts d’Ambazac et une partie supérieure en pierre de Lussac-les-Châteaux. Sa façade s’orne de figures allégoriques de l’orfèvrerie et de la porcelaine, et de médaillons en céramique représentant quatre Limougeauds célèbres : Limosin, D’Aguesseau, Vergniaud et Jourdan. L’inscription « Lemovices », au-dessus de l’horloge, rappelle le passé gaulois. Y figure aussi le blason de la ville. Au milieu du square situé devant l’entrée du bâtiment se trouve une belle fontaine de porcelaine, bronze et granit construite entre 1892 et 1893. Initialement prévue pour la place de la République et voulue par Auguste Louvrier-de-Lajolais, directeur de l’École nationale d’art décoratif de Limoges, elle est l’œuvre de Charles Genuys, architecte en chef du dôme des Invalides. Mêlant le granit doré, le bronze et la porcelaine, elle met en scène quatre garçonnets incarnant les différentes phases de l’industrie porcelainière : dessinateur, mouleur, sculpteur et peintre de décor.
A la fin du siècle, on détruit aussi le quartier insalubre du Viraclaud, où l’on recensait près de 300 prostituées, légales ou non. Pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est au tour de celui du Verdurier. Plus tard sont édifiés les bâtiments abritant la préfecture et le Conseil général de la Haute-Vienne, constituant un ensemble représentatif de l’architecture classique. Construits entre 1900 et 1908 selon les plans de l’architecte Jules-Alexandre Godefroy (ancien élève de Gay-Lussac), ils résultent d’un concours lancé en 1897, à la suite de l’affaissement d’une partie de l’ancienne Intendance du Limousin où la préfecture avait été installée en 1800. L’ensemble des bâtiments est réalisé en granit : pierre de Faneix (Saint-Sylvestre en Haute-Vienne) pour les façades et pierre du Compeix (Royère en Creuse) pour les seuils et escaliers extérieurs. Les colonnes sont réalisées en syénite dite « granit des Vosges ». La cage d’escalier est éclairée par une verrière du parisien Albert Gsell intitulée « Les divinités antiques inspiratrices des anciens émailleurs se plaisent à jouer encore aux environs de Limoges » – ce qui est effectivement beau comme l’Antique. En haut de l’escalier, au plafond du vestibule, les lettres H et V forment le monogramme de la Haute-Vienne (elles sont peut-être aussi la signature discrète de l’auteur de la décoration sculptée de l’édifice, Henri Varenne). Le grand salon d’honneur, ou salle des fêtes, est une galerie de 27 mètres de long. De larges corniches en staff crémeux rehaussé d’or forment l’encadrement d’un plafond peint par Raphaël Collin, peintre de renommée nationale. Ce plafond divisé en trois compartiments est une peinture allégorique de la République, de la ville de Limoges, des arts du feu et de la prospérité. Douze portraits d’hommes célèbres en Limousin ornent également la salle. C’est encore Godefroy qui construit le bâtiment de la Poste centrale. La rue de la Préfecture marque le départ d’une rue centrale tant souhaitée, qui fut continuée dans les années 1920 par la rue Jean Jaurès (qui n’est pas exactement dans le même axe). L’architecte est aussi celui de l’école pratique de commerce et d’industrie (aujourd’hui lycée Turgot) et du pavillon de l’Exposition internationale des arts et de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, des sciences économiques et de l’enseignement qui s’est tenue à Limoges en 1903 sur l’esplanade du Champ-de-Juillet et fut organisée par la municipalité.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les plus pauvres – en particulier les ouvriers –, vivent dans des logements (souvent des taudis) sans eau potable, parfois sans toilettes, entassés dans une ou deux pièces. Immeubles et ruelles étroites (souvent sans trottoirs ni caniveaux) sont par endroits totalement saturés, en particulier le long des faubourgs du nord de la ville ou dans les vieux quartiers du centre. Sur les bords de la Vienne, pavoisés par les draps mis à sécher par les lavandières, du pont Saint-Martial au pont Saint-Etienne, les « ponticauds » constituent comme une population à part, où les sociabilités sont fortes. Même si le régime alimentaire évite plus ou moins la sous-alimentation à la fin du siècle, l’espérance de vie des ouvriers de la porcelaine ne dépasse guère les quarante ans.