Au XIIIème siècle, l’abbaye est un « chantier permanent », que l’on construit, aménage, embellit au fil du temps (elle est même un jalon essentiel dans la diffusion des formes gothiques en direction du Midi de la France). Des artisans y travaillent régulièrement : maîtres d’œuvre ; en amont du chantier : on travaille dans les carrières, les forêts, on transporte ; sur le chantier même : terrassiers, tailleurs de pierre, maçons, sculpteurs et imagiers (ainsi les voûtes des travées occidentales sont-elles décorées de peintures la deuxième moitié du XIème siècle), charpentiers, plâtriers, couvreurs et plombiers, forgerons et serruriers, verriers, et tous les métiers « annexes » du chantier. Les pèlerins affluent en grand nombre vers ce lieu spirituel qui abrite plusieurs confréries ; c’est donc un endroit très vivant. Selon le Codex Calixtinius, Limoges se situe sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle qui traverse Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, Saint-Léonard en Limousin et la ville de Périgueux. La ville est sur la Via Lemovicensis, et l’on imagine sans peine tous les voyageurs qui la traversaient, devisant, témoignant de ce qu’ils avaient vu en route, chantant, avec leur besace et leur bourdon, vêtus de leur cotte, surcot (plus tard remplacé par la pèlerine), chaperon et chapeau, munis de la fameuse coquille à qui l’on attribuait parfois des pouvoirs miraculeux.
La vie liturgique est rythmée par le son des cloches : aux grandes fêtes, comme celle des Rameaux, trois cloches résonnaient en même temps à Saint-Martial. Elles accompagnaient aussi les évènements publics ou l’arrivée des personnalités, comme Jacques, roi de Majorque, en 1307.
L’abbatiale romane du Sauveur mesure 100 m de long – son plan caractéristique avec un déambulatoire à chapelles rayonnantes la rattache au groupe des églises de pèlerinage; sa nef compte dix travées ; le clocher superpose des étages octogonaux à des étages carrés. Il y a la crypte ; l’église Saint-Pierre-du-Sépulcre ; la chapelle Saint-Benoît ; divers autres bâtiments comme le réfectoire et le cloître aux baies vitrées rayonnantes. Le scriptorium de l’abbaye est particulièrement réputé. Le chroniqueur Adémar de Chabannes, originaire du Limousin et moine de Saint-Cybard d’Angoulême, y fait plusieurs séjours. Il est un ardent promoteur de l’apostolicité de saint Martial à travers la Vie de saint Martial qu’il rédige dans les années 1028-1029. Autre moine formé à Saint-Martial, Geoffroy de Vigeois, abbé de Vigeois de 1170 à 1184, rédige également une Chronique. La bibliothèque de l’abbaye, riche de nombreux manuscrits, parmi lesquels des documents nécrologiques, martyrologes, antiphonaires, les manuscrits de Bernard Ithier et les livres du chapitre, a été dispersée à partir de l’Ancien Régime (on les trouve aujourd’hui pour la plupart à la Bnf). L’atelier d’enluminure est particulièrement actif et créatif, inspiré, par exemple, par les ivoires. A Limoges, on qualifie de « bibliothécaire » l’officier ayant la charge des livres, ce qui indique un important fonds d’ouvrages (le second, après Cluny) : près de 450 volumes au début du XIIIème siècle. Parmi eux, la superbe Bible de Saint-Martial, signée Bonebertus, avec ses beaux dessins colorés (orange et jaune, brun, bleu foncé et vert très subtilement traité), et ses motifs animaux ou végétaux, qui illustre selon Danielle Gaborit-Chopin la transition entre l’art carolingien et l’art roman. Dans le Tropaire-prosier de Saint-Martial, également très délicatement coloré, on se plaît à découvrir une composition de couleurs vives où Martial (cheveux blonds et yeux ronds) apparaît en « maître des animaux », encadré par deux grands oiseaux au corps arrondi lui agrippant chaque épaule de leur long bec, tandis que lui, vêtu d’une tunique et auréolé, les saisit chacun par une serre. Ces enluminures ont à leur tour inspiré les sculpteurs limousins, notamment ceux des chapiteaux de l’abbatiale du Sauveur.
A l’abbaye ou dans ses parages se trouvent des ateliers d’orfèvrerie, qui produisent un grand nombre d’objets liturgiques (châsses, coffrets, statues, croix…) et d’émaillerie champlevée sur cuivre, où se développe l’Opus lemovicense ou Œuvre de Limoges, bien étudiée par ailleurs. L’hypothèse a été émise que la piété particulière des Limousins pour de nombreux saints locaux et leur goût pour les reliques auraient d’abord nourri ces créations émaillées, entraînant par la suite – grâce à leur virtuosité de réalisation et leur coût somme toute raisonnable – une demande élargie, d’autant plus que la ville était dans une situation de carrefour, souvent visitée par les princes, notamment Plantagenêt, généreux commanditaires. Les émaux de Limoges s’exportèrent à travers toute la Chrétienté, jusqu’à Rome sous le pontificat d’Innocent III. L’historien des arts décoratifs Jean-Marc Ferrer a souligné « la simplicité de l’illustration limousine, compréhensible même par un public populaire » ; il parle même des « délices colorés du martyre » lorsqu’il évoque la châsse de Saint-Etienne, à Gimel. L’art de l’émail limousin a évolué au fil des temps romans puis gothiques, apprivoisant progressivement les techniques de la sculpture et du relief. Sans doute les châsses sont-elles les objets qui illustrent ou évoquent le mieux la créativité des émailleurs de Limoges : au gré de nos propres goûts, on apprécie des mouvements et des attitudes, la beauté de palmettes-fleurs, la couleur bleu foncé de la tunique d’un Christ en majesté…