15 Mai

Vignes inondées, humidité, mildiou et black rot qui « pointent le bout du nez », pas simple le boulot de vigneron

Les épisodes de pluies intenses du week-end et du début de semaine ont engendré des inondations dans les vignes et d’énormes difficultés pour entrer sur les parcelles pour y effectuer des traitements tant en bio qu’en conventionnel. Les attaques de mildiou et aussi de black rot se font jour et devraient être encore plus fortes dans les jours à venir. Réactions dans le vignoble bordelais.

Pour le traitement de cette fin de semaine, je vais louer un hydroglisseur, ce sera plus facile – à Sainte-Terre © Benoît-Manuel Trocard

DU JAMAIS VU EN MAI, TRACTEURS PLANTES TRAITEMENTS DIFFERES

C’est du jamais vu, on a ici 15 centimètres d’eau dans la vigne, c’est vraiment haut », commente Benoît-Manuel Trocard, vigneron, face à une parcelle de vigne inondée de Sainte-Terre dont il s’occupe.

« Il y a des situations qui sont dramatiques… Des vignerons se sont plantés dans leur vigne. Qu’il pleuve, on est habitué, mais là… Avec 120 millimètres depuis 15 jours on a des coins totalement inondés, les sols sont gorgés d’eau, sur Sainte-Terre, Puisseguin, le Saint-Emilionnais à fond, le secteur de Langon, et le Médoc a pris cher aussi… Cela nous empêche de traiter le vignoble, que ce soit en tracteur ou à pied le terrain est inaccessible », Benoît Manuel Trocard. « Le problème c’est qu’on est déjà hors couverture, on a 14 jours pour refaire les traitements en systémique et en bio tous les 7 jours ».

« L’autre souci, c’est qu’on va être en pleine fleur dans une semaine, cela dure 2-3 jours et c’est très odorant; la peur c’est d’avoir aussi du millerandage: c’est quand il pleut, les pétales se collent sur la baie et font avorter l’oeuf. Quand il pleut trop, il y a de la coulure ou du millerandage, tu te retrouves avec la moitié ou un tiers de grappes en moins… » Si tu rates un traitement, tu mets en péril ta récolte. On ne les fait pas parce qu’on a envie d’en faire, mais parce que c’est nécessaire. Avec cette pluie et humidité, la vigne ramasse et le mildiou peut s’installer sur grappe , ce n’est pas bon à voir, en une semaine elle peut être déséchée complètement, c’est chaud patate… »

Attaque de mildiou sur grappe © Sophie Aribaud

DES SOLS SATURES EN EAU

« Plusieurs secteurs ont été inondés, les sols sont saturés en eau », confirme Sophie Aribaud conseillère viticole, qui a enregistré de 60 à 120 millimètres d’eau samedi-dimanche sur les domaines qu’elle suit entre le libournais et le langonnais. « Les gens essaient de passer dans leur vigne, mais énormément de tracteurs ont du être remorqués…

« Au niveau des maladies, on a vu l’apparition de taches de black rot un peu partout et des taches de mildiou, mais là pas forcément de grosses attaques car j’avais fait traiter très tôt mais je m’inquiète sur les semaines prochaines avec une incubation de 8 à 12 jours pour le mildiou« .

On est sur des formes chaotiques d’attaque de mildiou, avant il arrivait sur feuilles et descendait sur la grappe, là il peut prendre directement sur grappe » Sophie Aribaud conseillère viticole.

Autre maladie, le black rot qui a une période d’incubation d’une vingtaine de jours, « il peut aussi prendre sur grappe et le stade de sensibilité c’est jusqu’à pleine véraison », me précise Sophie Aribaud. « La dernière grosse attaque remontait à 2014, cela donne de sales goûts dans les vins, comme le botrytis et l’oïdium. »

Aussi en ce moment pour les traitements où il est difficile d’entrer dans certains rangs de vigne, c’est un peu « un passage en force, parfois avec des quais ou même à dos d’homme, à l’ancienne, et certains ne passent pas du tout…Sur les vignes en bio, ils sont à 5-6 traitements depuis le début et 3-4 pour les conventionnels ».

Ce sont des pluviométries digne des mois de novembre-décembre, mais pas de mois de mai, c’est du jamais vu depuis ces 20 dernières années », Sophie Aribaud.

Attaque de black rot sur feuille © Nicolas Lesaint

 

LES BIOS SUR LE QUI-VIVE

« On s’est pris 220 milimètres de pluie en 15 jours, c’est un truc de fou », commente Jean-Baptiste Duquesne, vigneron à Saint-Pierre-de-Mons et Mazères, certifié bio et Demeter cette année 2020 (qui était en conversion jusqu’ici). « On a pu traiter mardi la moitié des parcelles les mieux drainées et on attend pour traiter la deuxième moitié probablement demain ».

« Le fait que nos sols soient plus vivants, on a fait du bon boulot, l’eau est rentré, les couverts végétaux ont permis d’absorber l’eau et on a des sols poreux. L’enherbement, c’est sûr nous a aidé. Dans le sud-gironde, on ne peut pas rentrer dans les vignes; je pense que tout le monde va devoir réenherber et remettre de la nature organique.

Pour l’instant, ça tient, on n’est pas inquiet, même si le mildiou peut exploser à tout moment comme en 2018″ Jean-Baptiste Duquesne château Cazebonne

Jean-Baptiste Duquesne avait gelé en 2017, grêlé à 100% en 2018 et avait eu une faible récolte en 2019; « cela fait 3 années difficiles, cette année on espère que cela va aller… On une belle charge sur nos vignes. »

« LE GROS SUJET, CELA VA ETRE LE BLACK ROT »

Au château de Reignac à Saint-Loubès, Nicolas Lesaint témoigne : « au niveau pluviométrie, on s’est pris 70 millimètres samedi-dimanche, puis 30 millimètres en début de semaine. C’est vrai que c’est compliqué de passer, on pouvait le faire mardi ou aujourd’hui. Mardi, beaucoup ont eu leur enjambeur ou petit tracteur planté, c’était dans tous les sens. Moi j’étais passé avant et je traite aujourd’hui, cela roule bien, on a de la chance d’avoir pas mal de graves sur la propriété, pour la partie des argiles ce sera la semaine prochaine. »

Nicolas Lesaint a vu poindre un peu de mildiou mais surtout plus de black rot, il en a l’habitude, il avait déjà vu des attaques la saison passée : « j’ai une sorte d’habitude, cela revient et c’est spontané et dynamique »

Le gros sujet, cela va être le black rot sur ce millésime, » Nicolas Lesaint du château de Reignac.

« J’ai des voisins qui n’ont pas fait attention avec notamment un traitement de retard par rapport à nous, et ils ont eu une intensité d’attaque hallucinante sur feuilles. Là je n’en vois pas sur grappe, mais quand il va en y avoir ce sera trop tard. Il faut des conditions très sèches pour le freiner. Ce sont des petits ronds secs sur la feuille, la vigne a nécrosé cette partie et des petits points noirs vont se former. Et sur grappe, lors de l’attaque sur baie, elle va devenir beige et tout tombe. »

« Concernant le mildiou, cela va aussi être inquiétant, les contaminations ont eu lieu et rendez-vous dans 10 jours, il pourrait y avoir de grosses sorties sur feuilles et sur grappes. D’année en année, c’est de plus en plus chaotique ».

On se souvient en effet d’une année terrible il y a deux ans, où le vignoble bordelais avait connu une attaque sévère de mildiou. Certains avait perdu une bonne partie de leur récolte et millésime 2018