26 Mai

Ventes de vin à Bordeaux : entre inquiétude et quelques signes de reprise

La période du confinement fait craindre quelques déboires pour de nombreux viticulteurs entre la restauration qui n’a pas encore repris, certains marchés à l’export à l’arrêt et de nombreux mariages ou festivals annulés ou reportés. Alors que certains chais sont encore pas mal remplis, se pose le problème de la récolte à venir. La distillation pourrait être une solution pour certains, toutefois des signes de reprise en grande distribution depuis le déconfinement semblent se faire jour. « De petits rayons de soleil » de quoi ramener de l’optimisme.

Xavier Haure, vigneron, Jean Farau courtier en vin et Michaël Rouyer, rencontrés il y a un an, témoignent sur la situation aujourd’hui © JPS

CE QUI A FAIT CRUELLEMENT DEFAUT : RESTOS, MARIAGES ET AUTRES MOMENTS FESTIFS

Pour rendre compte de la réalité du terrain, rien de tel que d’avoir en ligne ces acteurs de la filière aux prises avec les marchés. Bordeaux n’est pas « tombé dans la limonade », loin de là, mais le constat n’est pas forcément rose.

Tout le monde est très inquiet: la restauration, rien n’est ouvert, et si elle ouvre elle ne pourra pas rattraper le retard; vous ne pouvez pas non plus remplacer les repas de famille, les mariages et les festivals qui n’auront pas lieu. On navigue actuellement à vue » Jean Farau courtier en vins.

Jean Farau, des années de courtage au compteur, n’est pas dans le catastrophisme, mais dans le réalisme : « c’est très compliqué partout à Bordeaux, les propriétés en sont conscientes ; en Alsace, dans le Midi, en Champagne c’est aussi compliqué, la Bourgogne s’en tire un peu mieux, mais Bordeaux reste la plus grande région viticole. J’ai vendu quelques lots à des négociants qui travaillent avec les Etats-Unis, avec des vins au dessus de 14° qui ne sont pas taxés, la Chine redémarre tout doucement, ceux qui font de la vente aux particuliers cela reprend, ceux qui font du vrac avec le négoce ça va souffrir, certains attendent la semaine prochaine pour voir les conditions de la distillation. Beaucoup ont fait des emprunts d’Etat, il va falloir les rembourser et rééchelonner… »

5 MILLIONS D’HECTOLITRES DE VIN PRODUITS A BORDEAUX 

« A Bordeaux, il y a ceux qui ont les reins solides et les autres. Bordeaux était déjà en crise, et là c’est la cerise sur le gâteau… On a 8 millions d’hectolitres en stock à Bordeaux. A Blaye, Bourg on a vendu un peu de vin en vrac… J’avais en ligne un petit vigneron de Bordeaux qui avait encore 500 hectolitres à vendre, mais je n’ai pas d’acheteur. J’ai entendu parler de prix très bas, qui étaient tombé jusqu’à 650 € du tonneau », poursuit Jean Farau.

Le CIVB confirme une fourchette de prix du tonneau (900 litres) qui s’est élargie avec des vins bien valorisés comme le bio à 2000€ et des prix bas, ce qui donne actuellement un prix moyen à 980€. Concernant les stocks, « Bordeaux avait 7,68 millions d’hectolitres en stock au 31 août 2019 mais le problème ce ne sont pas les stocks ce sont les sorties », commente Christophe Chateau; « on a déjà eu plus de 9 millions en stock, c’est même une nécessité d’avoir 18 mois de stocks. Il faudra voir ce qui sera écoulé en 2020… »

Christophe Chateau du CIVB lors de l’opération Bordeaux Fête ses vendanges  en septembre 2019 © JPS

La production était de 5 millions l’an dernier, cette année peut-être plus. Difficile d’estimer pour l’heure les ventes à la fin de 2020: 4,15 millions d’hectolitres comme en 2019 ou bien moins, si elles ne devaient être que de 3,5 millions d’hectolitres, cela poserait problème.

UNE SITUATION COMPLIQUEE MAIS SANS TOUTEFOIS DESESPERER

Xavier Haure, qui exploite 38 hectares de vigne à Cartelègue en Bordeaux Supérieur et Blaye-Côtes de Bordeaux : « je suis pas trop mal loti ces derniers temps, j’ai eu un gros enlèvement en mars et en mai : 620 hectolitres partis sur des marchés américains. Il y a une grosse demande sur les USA de vins qui fasse 14° (pour éviter la taxe) et en 2018 le degré était très élevé, donc ça l’a fait. »

« A ce jour tout mon 2018 est parti, le 2019 est toujours dans le chai, mais ça partira, car je suis sous contrat avec un négociant, mais je n’ai pas encore de date », confie Xavier Haure.  » Comment voit-t-il la récolte 2020 arriver ? « C’est vrai que j’avais l’habitude de vendre 10 ha sur pied, là je vais les vendanger, donc cela fera 10 hectares de plus, heureusement je récupère le chai de mon père qui a pris sa retraite il y a deux ans, sinon je ne sais pas comment je ferais ».

Cette situation quelque peu tendue, bien d’autres vignerons la vivent dans le bordelais à des degrés divers et fonction des marchés différenciés des uns et des autres, ou encore des aléas climatiques vécus par certains. Xavier Haure a lui gelé en partie en 2019, il n’a rentré que 800 hectolitres contre 1400 sur le 2018, heureusement il était assuré, bref un mal pour un bien.

Chez les Vignerons de Tutiac, Eric Hénaux directeur dresse le tableau d’une situation aussi très compliquée:

Eric Hénaux au centre, au milieu de la team du Bar à Vins de Tutiac à Bordeaux © JPS

On est face à un marché à l’arrêt sur le traditionnel, très ralenti sur beaucoup de pays à l’export et ralenti en grande distribution sur la vente de bouteilles, en revanche on y fait du volume on a une grosse demande sur les Bag In Box de 3 et 5 litres » Eric Hénaux directeur des Vignerons de Tutiac

Et de compléter les marchés qui pour Tutiac fonctionnent bien : « on a quelques pays historiques comme la Grande-Bretagne, là ça tourne, des départs sur le Japon et le Canada, en dehors de cela la Chine pas beaucoup de commandes et les USA sont au ralenti. C’est difficile de regarder l’avenir avec optimisme. On s’attend à avoir un millésime 2020 productif et de qualité et on va avoir un vrai problème de cuves, on a regardé cela devrait passer mais juste. Et tout le monde n’est pas dans la même situation. »

DURANT LE CONFINEMENT, « CEUX QUI ONT BU ONT EN FAIT VIDE LEUR CAVE »

« En période de confinement, sur les vins rouges on a perdu 9%, sur les vins blancs -5%, seuls les rosés étaient en augmentation », témoigne Mickaël Rouyer directeur du syndicat de Blaye.

Michaël Rouyer, le directeur du syndicat de Blaye-Côtes de Bordeaux © JPS

En grande distribution, il y a eu une reprise importante sur la première semaine de déconfinement du 11 au 17 mai avec +12% sur les vins rouges et +23% sur les vins blancs, c’est plutôt positif », Mickaël Rouyer.

Le constat fait également par Vin et Société le 15 mai dernier indiquait que durant le confinement les ventes de bouteilles se sont effondrées, « de l’ordre de 40 % à 50 % au minimum », « ce qui laisse à penser que les gens se sont un peu restreints, le vin n’étant pas primordial, ou bien ceux qui ont bu ont en fait vidé leur cave, et depuis ils refont les niveaux », selon Mickaël Rouyer, d’où ce boom en grande distribution. Il y a aussi l’attitude de gens déconfinés qui ont sans doute voulu faire la fête en extérieur ou réunissant des amis, puisque sur cette même semaine selon l’étude Nielsen on voit s’envoler le whisky +23%, le rhum +31%, la vodka +31% et le gin +68% !

Mickaël Rouyer lors de la distribution de masques la semaine dernière auprès d’une bonne centaine de viticulteurs du blayais : « j’ai pu échanger avec eux sur l’export, les USA sont complètement à l’arrêt, certaines commandes préparées ne sortent pas des chais, la Chine c’est encore timide, en revanche les marchés fortement en hausse sont le Canada, le Japon et les pays nordiques.

La plupart de ceux qui faisaient des salons étaient catastrophés, mais finalement ils ont retravaillé leur fichier de clients, ils ont fait des livraisons directement et ont sauvé leur chiffre avec une solidarité des gens qui achètent en direct avec les vignerons. Il y a quand même des petits rayons de soleil et de quoi être optimiste », Mickaël Rouyer.

Au final Mickaël Rouyer pense que « le marché français va repartir rapidement, je l’espère. On a des signes aussi positifs avec des gens qui viennent dans les propriétés et ont besoin de grand air »…

De son côté, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux prépare le dossier distillation, comme le confirme Christophe Chateau: « la décision définitive sera prise le 3 juin, on communiquera la semaine prochaine et on connaîtra les conditions officielles devraient être données par le Ministère de l’Agriculture. On sait que ce sera 80 € de l’hectolitre pour les vins d’AOC et 65 pour ceux sans IG ».

Reste à connaître le volume, le gouvernement avait annoncé un plan pour 2 millions d’hectolitres alors que 5 seraient souhaités par les interprofessions viticoles en France. En tout cas si tout ne peut pas être distillé, les viticulteurs seront payés la partie qui sera distillée à hauteur de ce qui est annoncé ci-dessus. Pas question de vendre moins.