C’est quasi-génétique. Elles ont, ils ont la vigne tatouée au coeur. Les soeurs Courselle et les frères Todeschini sont aujourd’hui les nouvelles générations douées du bordelais. Des vigneronnes et vignerons avant tout passionné(e)s qui produisent de très grands vins.
D’un côté les soeurs Courselle, Marie et Sylvie, 41 et 39 ans, de l’autre les frères Todeschini, Karl et Yann, 35 et 33 ans.
Les premières sont à la tête du château Thieuley dans l’Entre-Deux-Mers, les seconds de Mangot en Saint-Emilion Grand Cru. Pour elles, pour eux, la vigne, c’est dans leurs gènes, c’est avant tout une affaire de famille.
Ces filles et ces garçons sont effet la 3e génération de vignerons. Tous ont poursuivi des études spécifiques poussées en BTS viticulture oenologie, Bts agricole ou encore à l’Ecole Supérieure d’Agriculture de Purpan-Toulouse, bref sont devenus oenologues et/ou ingénieurs en agriculture.
Vendredi 15 septembre, au petit matin à La Sauve, en Gironde… « Pas trop fatiguée ? T’as réussi à dormir un peu ? », interroge Sylvie la cadette, qui sait que sa soeur a quitté le chai très tard la veille. « Oui, oui ça va…il fait beau, et c’est super joli ce que l’on rentre, je suis contente » « Je viens de regarder la météo, jusqu’à 11 heures cela tient. », confirme Sylvie.
Et Marie Courselle de regarder la vendange encore dans la benne rentrée la veille : « Il y avait urgence, avec le week-end qui s’annonce très très pluvieux, on voit que le botrytis commence à arriver et avec ce temps annoncé, ce n’est pas possible d’attendre. » Au chai, l’analyse des sucres la conforte : « potentiel 12,9 c’est pas mal quand même, cela fait une semaine qu’il pleut, donc on a dilué, on était plus élevé il y a une semaine. Il fallait qu’on ait une certaine maturité des pellicules et des pépins. Il n’y a pas que le sucre et l’acidité », explique Marie Courselle.
Dans cette parcelle derrière le château Tieuley, Jean-Marie, le chef de culture, est entré en action avec l’une des deux machines à vendanger du domaine, sous les yeux écarquillés de Paul, 3 ans, le seul garçon de la famille et fils de de Marie.
« Outre l’intérêt économique de la machine à vendanger…
On peut vendanger la nuit ce qui est très intéressant pour avoir une vendange fraîche, donc pour nous qui produisons beaucoup de blancs, de rosés et clairets, (la machine à vendanger) c’est aussi un atout technique… » , Sylvie Courselle du château Thieuley.
Et dans la famille Todeschini, je voudrais le fils Karl… C’est lui l’aîné, mais il y a aussi le petit frère, Yann, des mordus de la vigne et aussi des techniciens très pointus. Il faut dire que tous deux sont tombés dedans déjà enfants:
Tout petit, on était dans nos parcelles avec nos grand-parents et nos parents, on sortait de l’école, vite on retrouvait la machine à vendanger ou les vendangeurs dans les vignes, l’esprit du chai… », Karl Todeschini château Mangot.
« On a toujours été impliqué 7 jous sur 7 avec mes parents et on a toujours habité sur place et vécu le quotidien, donc ça se transmet… » ajoute Yann.
Karl et Yann goûtent le raisin en train d’être vendangé sur un plateau épargné par le gel à 90 m en hauteur : « On a les deux visages ici à Saint-Etienne de Lisse à Mangot aucun problème (sur le plateau, car 40% de pertes) en revanche, au château la Brande on a tout perdu », explique Karl. « En Castillon, on a perdu 90% sur 30 hectares de vignes, il va falloir faire attention aux investissements dans les prochaines années. »
L’histoire a démarré en 1952 avec le grand-père maternel : « mes grand-parents sont vraiment partis de rien, ils ont constitué les 7 hectares ici à Saint-Etienne-de-Lisse, en viager, petit à petit ils apportaient à la coopérative, et ont commencé à faire du vin dans les années 75 au château. Ce sont vraiment mes parents qui ont apporté la qualité en restructurant le vignoble entre les années 90 et 2000″, explique Yann Todeschini.
Aujourd’hui, la famille Todeschini possède 34 hectares de vignes à Mangot en Saint-Emilion Grand Cru et 22 en Castillon au château la Brande. « On a des vignes, les plus jeunes ont 8 ans les plus vieilles 78 ans, tous les ans c’est de plus en plus qualitatif. Les parcelles qui sont sur les terrasses et que l’on est en train de vendanger remontent à 1997, ce sont des vignes qui ont 20 ans et qui rentrent maintenant depuis 4-5 ans dans le 1er vin. Elles sont aujourd’hui sélectionnées et bichonnées pour en faire vraiment le meilleur ».
Et au fil des générations, de père en fils, de nouvelles innovations se font jour comme cette machine de tri densimétrique testée pour la 1ère fois par les fils Todeschini : « tout ce qui ne nous intéresse pas, ce qui représente environ 3 à 4%, on le retire grâce à cette machine qui est un bain par flottation, tout ce qui est plus dense coule et est porté par ce tapis jusque sur la table de tri, et tout ce qui flotte est récupéré et éjecté de la machine », m’explique Karl.
Tout avance, donc il faut s’adapter en permanence, les tris changent complètement », commente son père Jean-Guy Todeschini « donc tous les ans, il faut continuer, continuer et avancer ».
« C’est ta combientième de cuvée, papa ? » interroge à son tour, Sylvie en compagnie de son père Francis Courselle. « Quasiment 50 j’ai commencé en 1968… » Francis Courselle a repris en 1972 à la suite de son père qui acheta le domaine en 1950 et y créa un domaine viticole.
En 30 ans, il le fit allègrement prospérer puisque de 4 hectares, les vignobles Courselle sont passés à 80 hectares :
Les familles qui se renouvellent de père en fils ou de père en filles, depuis près d’un siècle, il n’y en a plus beaucoup à Bordeaux et il y en aura de moins en moins », Francis Courselle
Francis Courselle fait partie de ces pionniers qui ont développé et amélioré la qualité des vins blancs secs dans l’Entre-Deux-Mers, comme André Lurton, selon la méthode de Denis Dubourdieu. Aujourd’hui les filles sont dans la lignée de ces vinifications mais elles se permettent aussi des fantaisies avec des cépages essayés à Bordeaux comme le chardonnay ou la syrah. Pour Olivier Ricaud, « ce sont des passionnées, gourmandes, elles essaient de vinifier ce qu’elles aiment trouver sur les tables. Et ce sont des vins à leur image. »
« Il y a deux cépages avec Marie qui nous avaient quand même bluffés et amusés, la syrah et le chardonnay…et dès 2006, on en a planté un peu sur de jolis terroirs. On les revendique en vins de France, ils s’appellent « le bien élevé », explique Sylvie Courselle. Bien sûr, l’idée c’est de faire découvrir nos terroirs sur d’autres variétés ».
Et ce mois de septembre, mois des vendanges, est pour la maman de Karl et Yann Todeschini, un mois tout-à-fait particulier et même une date prédestinée : «
Je suis née ici, en 1959, pendant les vendanges, et pendant cette période de vendanges, comme toujours, le personnel est convié à notre table », Anne-Marie Todeschini du château Mangot.
A table également Simone, la grand-mère de Karl et Yann, mais aussi Louis 18 mois, le fils de Karl, déjà prêt à prendre la relève. En attendant cette nouvelle transmission, les frères Todeschini et les soeurs Courselle continuent de vinifier et d’exprimer leur talent… car pour eux, la vigne est avant tout une affaire de famille.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Pascal Lécuyer, Rémi Grillot et Christian Arliguié :