Avec le réchauffement climatique et cet été particulièrement chaud, l’augmentation de sucres dans les raisins devrait conduire à avoir cette année encore des vins qui dépassent allègrement les 13° ou 13,5° d’alcool. Une augmentation vécue depuis plusieurs années qui est aussi due au travail sur la vigne et à la recherche d’une maturité phénolique… Explications avec des experts de sur ce phénomène qui peut être maîtrisé.
A l’heure des vendanges, au château Rochemorin à Martillac en Gironde, Vincent Cruège analyse ses grains de merlot avec son réfractomètre : »Cette année, on risque d’avoir des degrés alcooliques supérieurs à la moyenne des 10 ou 20 dernières années. Pourquoi un peu plus d’alcool ? Parce qu’un peu plus de sucre. Et pourquoi un peu plus de sucre ? Parce qu’on a des pratiques culturales et des maturités de plus en plus homogènes et meilleures. »
« On a surtout cherché le goût. On ne veut pas avoir de surmaturité. On recherche des arômes de fruits frais, de fruits rouges comme le cassis et la framboise (pour le merlot) qu’on aime bien et qu’on mariera avec d’autres cépages. »
Sur cette parcelle, on attend un degré potentiel autour de 14 pour du merlot très précoce, sur un terroir de graves chaudes. Mais au final tant à la Louvière qu’à Rochemorin, on va avoir un assemblage de 30 vins ce qui va ramener le degré définitif aux alentours de 13,5. » Vincent Cruège.
Une fois la vendange au chai, et les grains éraflés, le travail de vinification va pouvoir s’opérer. Le lendemain de la rentrée de vendange dans la cuve, les levures vont pouvoir agir au niveau de la fermentation et de la transformation du sucre en alcool: « on peut choisir nos souches de levures, des levures moindres rendements qui prendront plus de sucres et produiront moins d’alcool, » explique encore Vincent Cruège.
A l’Institut Supérieur de la Vigne et du Vin comme à l’INRA à Villenave d’Ornon, Serge Delrot directeur du laboratoire d’écophysiologie et de génomique fonctionnelle de la vigne travaille avec ses équipes à comprendre comment limiter ce taux de sucre dans la vigne: » on peut agir par des opérations culturales et on peut aussi agir au niveau des porte-greffes, puisque les porte-greffes vont contrôler le développement végétatif de la vigne, de la feuille, c’est ce qu’on appelle la vigueur conférée…et on donc on a a plusieurs leviers d’actions possibles par des actions culturales et on on travaille aussi sur la compréhension génétique du transport des sucres. » Car c’est la hausse de température et du dioxyde de carbone qui participe au développement de la photosynthèse et de la fabrication de sucres.
Dans son laboratoire de Catusseau-Pomerol (ancien labo de Jean Chevrier) Dany Rolland ( qui conseille avec ses équipes et son célèbre mari Michel 250 châteaux dans le monde dont 150 à Bordeaux), nous confirme que ce qui est recherché c’est la maturité phénollique. Ici comme à Bordeaux depuis la fin des années 90 avec des recherches menées en collaboratoion avec le CIVB, on s’est rendu compte qu’il importait de surveiller la maturité phénollique, qui correspond aux taux optimaux de polyphénols (tanins et antocyanes) : « c’est cette fichue maturité de la peau et du goût des pépins qui nous importe…Dans les rouges, les peaux c’est primordial. Il y a un petit décalage avec ce qui se faisait autrefois où quand un moût arrivait à 13, on le ramassait car on disait il est mûr. »
Michel Rolland qui en est à ses 43e vendanges, a une sensibilité gustative développée pour déterminer si les baies de raisin des châteaux qui lui sont soumises sont suffisamment matures: « les peaux sont fermes, ça a beau de goût, les pépins sont fermes, la semaine prochaine c’est sans problème » (pour les vendanges).
Et le maestro de rappeler ce temps où on chaptalisait allègrement à Bordeaux (jusque dans les années 90): « il faut quand même se rappeler que dans les années 70, ce sont des trains complets de sucre qui arrivaient en gare de Libourne pour chaptaliser les vins de la région…bon alors ça, on ne s’en rappelle plus ! Et maintenant, on focalise sur l’alcool. Alors c’est vrai que par le travail au vignoble, par les effeuillages mais l’augmentation de feuillage aussi, on a gagné en alcool… »
Et de confier: « je ne regarde pas les degrés, je ne regarde même pas la quantité de sucre, je goûte, quand c’est bon je vendange, si ça fait 14,5 ça fera 14,5, si ça fait que 12,5 ça ne ne fera que 12,5 ! »
Lui aussi préfère privilégier la maturité des raisins qui aujourd’hui font les grands vins, des vins certes un peu plus alcoolisés qu’il y a 30 ans mais qui se goûtent aussi bien. Peut-être faut-il en boire en quantité raisonnable…
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Didier Bonnet, Eric Delwarde, Charles Rabréaud
suivi de la chronique mensuelle de Frédéric Lot