2013 a été un séisme à Bordeaux, 2014 devra recoller les morceaux ! Toutes les analyses de bon sens plaident pour une sortie de prix raisonnable sinon « le système se brisera » selon plusieurs experts.
La semaine des Primeurs des vins de Bordeaux, est une semaine décisive, un rendez-vous unique dans le monde viticole. Elle permet aux professionnels de jauger la qualité du millésime 2014 avant même de passer leurs ordres d’achat. Initialement le système était ainsi fait que le client payait une bouteille deux ans avant sa livraison en échange d’une ristourne.
Les clients étaient contents, ils pouvaient toucher le vin 15 à 20 % moins cher. C’était la raison d’être de ce rendez-vous vieux de 40 ans. Un système qui permettait au châteaux d’avoir également de la trésorerie.
La partition était bien écrite avec dans l’orchestre des importateurs, des cavistes, la grande distribution, négociants, des courtiers et en guise de premiers violons de nombreux journalistes et critiques du vin qui attribuent notes et commentaires. Il y avait même à une époque un Robert Parker, 1er violon ou même chef d’orchestre selon les années qui « donnait le la », la tendance du marché.
Ainsi les 250 plus grands châteaux de Bordeaux pouvaient écouler de 70 à 90% de leur production via le marché des primeurs. Car à la fin du mois de mai ou en juin souvent les années où Vinexpo se tenait. Les propriétaires de ces prestigieux châteaux fixaient alors leur prix aux négociants, chargés alors d’écouler les bouteilles aux quatre coins du monde. Pour certains, tout pouvait être écouler en quelques jours.
Mais ça, c’était avant. Avant que le marché ne s’emballe ! Car avec les millésimes 2009 et 2010, ce fut une pure folie. Les prix ont monté en flèche. Les Chinois étaient là et ils en redemandaient. Les fidèles Américains essayaient de suivre cette partie de poker, mais l’euro était trop cher, quant aux anglais cela faisait déjà quelque temps qu’ils avaient été charmé par les Australiens et d’autres, ils revenaient également se disant que c’était le coup à ne pas rater. La bourse n’était plus juteuse, tous pensaient se faire des fortunes avec le vin (et notamment en Chine où de nombreux asiatiques se sont improvisés experts en vin, vendant des Bordeaux Sup à 100 euros la bouteille…). Les Bordelais ne regardaient plus qu’à l’est là où le soleil se lève, comme le mirage d’un napoléon en or (les Chinois adorent en plus Napoléon). But all that glitters is not gold ! Plus dure fut la chute.
Après avoir vendu à ces champions du commerce leurs jolis flacons, ces messieurs-dames se flattaient d’être les meilleurs au monde. Et puis les Chinois ont pris des mesures pour en finir avec les cadeaux ostentatoires de grands vins, contre la corruption, et ont pris conscience aussi qu’ils avaient trop acheté, et acheté trop cher aussi. Les millésimes suivants allaient en pâtir… Sans parler de leur ouverture sur d’autres marchés australiens, espagnols, argentins et chiliens. En 2013, la chute de 22% puis 19 % en 2014 allaient se faire sentir à Bordeaux. Bordeaux a malgré tout a limité la casse avec -8% en 2014 en ventes globales.
Une fois ce contexte posé, cet histoire ressassée, il faut en tirer des conclusions. Les stocks de 2011, 2012 et 2013 sont encore importants (malgré un 2013 très faible en volume). 2014 s’il est largement supérieur ne doit pas signifier une nouvelle flambée des prix car le marché ne l’assimilerait pas. Nombre de négociants en 2013 ont été fragilisés par ces méventes, il ne faudrait pas enfoncer le clou.Car pour qu’une campagne primeurs fonctionne, il faut que tout le monde y trouve un intérêt financier. La propriété, qui récolte des liquidités lui permettant de financer la prochaine récolte, mais aussi le négociant, le distributeur et le consommateur, qui peuvent se procurer un vinà un prix inférieur d’au moins 20% à celui qui sera appliqué lors de sa mise sur le marché, deux ans plus tard.
Un célèbre château voit aujourd’hui revenir de Chine des 2010 20 à 25 % moins chers que lors de la vente en primeurs. C’est dire les déconvenues.
Pour François Lévêque, président honoraire du syndicat des courtiers de la Gironde: « L’intérêt de tout le monde est la règle de base. Or, lors des mise en marché des millésimes 2010, 2011, 2012 et 2013, cette règle n’a pas été respectée. Et dans la majeure partie des cas, les prix des sorties primeurs ont été trop élevés et n’ont pas permis de dégager la marge qu’était en droit d’attendre l’acheteur quand il pré-finance l’achat d’un vin« .
Le marché attend de la cohérence sur les prix, ce que l’on n’a pas eu depuis des années, et sans cela le système se brisera. Cette année, ça passe ou ça casse. On peut se poser la question de savoir si les primeurs continueront ou pas, » François Lévêque, président honoraire du syndicat des courtiers de la Gironde
Georges Haushalter, le vice-président du syndicat des négociants de la Gironde et ancien président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux réfute cette prédiction, misant cette année sur « un millésime de qualité » succédant à une récolte 2013 qui a déçu et tiré les prix vers le bas. «
Comme le prix du 2013 servira de base pour le 2014, il y a un parfum de bonne affaire », Georges Haushalter vice-président des négociants de la Gironde.
Et d’ajouter: « Si rien n’a été vendu pour le 2013, c’est qu’il était de 30% en moyenne plus cher qu’un 2008, équivalent en terme de qualité », lui rétorque un expert en grands crus de la place bordelaise. Selon lui « 2014 est une occasion unique de revenir à la raison, il faut que les propriétaires soient très vigilants sur les prix ».
L’ensemble de la filière s’accorde sur la qualité du millésime 2014, qui sans être exceptionnel au regard des trois derniers grands qu’a connus Bordeaux (2005, 2009 et 2010), satisfait les observateurs.
Les vins blancs secs et liquoreux sont excellents, les rouges plutôt réussis » Pr Denis Dubourdieu, directeur de l’Institut de la science de la vigne et du vin.
« Les blancs secs sont fruités, denses, soutenus par une acidité inaccoutumée à Bordeaux. Les grands vins liquoreux sontégalement de grande qualité mais faible quantité. Les rouges sont incontestablement meilleurs que ceux de 2013 et le millésime est porté par les cabernets, tant francs que sauvignon, qui ont pleinement profité de l’arrière-saison », écrit-il.
L’horizon, s’il s’est éclairci outre atlantique avec une croissance aux USA et un dollar revenu à une quasi parité avec l’euro. On peut se réjouir de la bonne santé économique des grands marchés de Bordeaux à l’export, notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Des marchés traditionnels de Bordeaux qui devraient être salutaires. Alors que Bordeaux les avait regardé un peu de haut du temps de l’appel d’air chinois.
JPS avec AFP