01 Avr

L’absence commentée de Robert Parker aux primeurs de Bordeaux: « un seul être vous manque… »

Pour la 1ère fois depuis plus de 30 ans, Robert Parker est absent de la dégustation des primeurs à Bordeaux. Côté Châteaux a interrogé d’autres grosses pointures du monde du vin: Michel Rolland, Jean-Luc Thunevin, Alain Raynaud et Jacques Dupont, 3 amis de « Bob » et 1 autre grand critique. Tous réagissent à ce grand vide dans un dialogue que Côté Châteaux a assemblé et qui nous comble.

Michel Rolland, 30 ans de carrière en parallèle et d'amitié avec Robert Parker © Jean-Pierre Stahl

Michel Rolland, 30 ans de carrière en parallèle et d’amitié avec Robert Parker © Jean-Pierre Stahl

Depuis le château la Dominique à Saint-Emilion, Michel Rolland (sortant un mouchoir): « Ne m’en parlez pas ! (puis rires). Bien sûr, c’est un changement après 30 ans de visites régulières et puis surtout il avait une qualité énorme: il avait un impact…Il n’y a pas énormément de critiques du vin qui ont un impact, lui avait un impact mondial ! » 

Jean-Luc Thunevin, le chouchou de Parker © JPS

Jean-Luc Thunevin, le chouchou de Parker © JPS

Non loin dans le garage de Jean-Luc Thunevin: « C’est vrai que je suis un enfant de Parker, un chouchou ! Mais son arrêt était prévisible, vu son âge, il est né en 47, je l’avais vu, il était un peu fatigué, il avait mal au dos. Donc le fait qu’il ne vienne pas est embêtant pour ses chouchoux, donc peut-être pour moi. Mais, en fait il ne manque pas car le Wine Advocate existe toujours, même si ce sont des Singapouriens qui le possèdent, et il a envoyé Neil Martin,son collaborateur qui goûte et note les Bordeaux, toutefois ses notes seront moins importantes par rapport au boss. »

Michel Rolland:« Les acteurs sérieux dans le vin aujourd’hui le regrettent mais la terre va continuer de tourner. Les négociants de Bordeaux vont reprendre leurs responsabilités, c’est à dire qu’ils vont acheter ce qu’ils aiment. Vous savez, on a débuté il y a un peu plus de 30 ans aujourd’hui…Il n’était pas le Bob Parker d’aujourd’hui et je n’étais pas ce Michel Rolland, quand vous démarrez vous ne savez pas si vous allez réussir. Est-ce que  son impact était bien ou mal: oui c’était bien car ça a aidé Bordeaux et il adorait les Bordeaux. Mal ? Oui aussi, car quand il n’aimait pas trop les vins ou qu’il ne mettait pas de trop bonnes notes, ça donnait au marché une raison de ne pas acheter le vin. C’était la meilleure et la pire des choses. »

Pour Alain Raynaud, le Président du Grand Cercle des Vins de Bordeaux depuis le château d’Agassac à Ludon-Médoc: « un seul être vous manque et tout est dépeuplé… » puis « un seul être vous manque et tout est repeuplé ! On a fait deux jours de dégustation avec la presse, on a beaucoup échangé avec des journalistes qui ont tous l’envie de devenir un jour Robert Parker et pourtant je pense que personne ne le deviendra ! »

Jacques Dupont, journaliste du Point, dégustant les crus artisans © JPS

Jacques Dupont, journaliste du Point, dégustant les crus artisans © JPS

Perdu au fin fond du médoc en pleine dégustation des crus artisans au château la Peyre, Jacques Dupont, journaliste et auteur du Guide Jacques Dupont sur les primeurs à paraître dans le Point en mai: « Avant je m’étais dit, si Parker ne peut pas venir, le négoce va être perdu ! Qu’est-ce que faisait Robert Parker, il donnait une indication, en donnant une note de 95/100 par exemple. Et tout le monde se précipitait sur cette note de 95/100. Alors peut-être que le marché aujourd’hui qui s’est ouvert sur le monde est devenu un peu moins bébête. Les achats Parker, c’était à la note et sans goûter, les gens sont devenus plus intelligents… »

Dany et Michel Rolland © JPS

Dany et Michel Rolland © JPS

Pour Michel Rolland, Robert Parker n’était pas forcément le seul à avoir un palais unique, « il était surtout increvable, il pouvait déguster 250 échantillons et il était toujours fiable. Le vrai talent, c’est 18 heures de travail par jour… »

Jacques Dupont a ce regard plus en retrait: « On ne peut pas dire, tout est blanc tout est noir :Parker a été un formidable ouvreur de pistes aux Etats-Unis, il a permis à Bordeaux de s’installer et de vendre du vin là-bas, mais à un moment donné ça devenait un peu caricatural, tout le monde faisait du vin pour faire plaisir à Robert Parker… »

Alain Raynaud en contrepoids: « d’abord le goût n’a jamais été uniforme; il a surtout été à l’origine d’un mouvement qualitatif remarquable. Dans les années 80, Bordeaux était loin d’avoir le leadership mondial; ce que Bordeaux est devenu aujourd’hui, il y a contribué peut-être en mettant l’accent sur des vins avec une structuration tanique importante…Il a mis l’accent sur l’investissement au long court dans les vins de garde ! »