Depuis l’achat du château Carbonnieux en 1956 et leur retour d’Algérie, les Perrin ont retroussé leurs manches pour élever la propriété au rang de Cru Classé de Graves. Ils ont hissé partout dans le monde les couleurs (blanc et rouge) de ce grand vin. Un blanc à la typicité reconnue unanimement comme exceptionnelle.
Dans les rangs de vigne de Carbonnieux, près de 100 ha actuellement, Philibert et Eric Perrin © JPS
Le château Carbonnieux est sans nul doute l’un des plus anciens du Bordelais. Il fut fondé par les Bénédictins de l’Abbaye Sainte-Croix de Bordeaux au XIIIe siècle. Acheté en 1956 par le grand-père d’Eric et Philibert (actuels managers), Marc Perrin avait hésité entre Rauzan-Ségla à Margaux, le Tuquet dans les Graves et ce domaine qui comptait à l’époque 60 ha de vignes plantées mais en mauvais état. C’est l’attrait pour les grands domaines comme en Algérie qui a emporté son choix.
Philibert et Eric Perrin, les deux piliers du château Carbonnieux © Jean-Pierre Stahl
Lors de l’acquisition, le château n’avait pas encore la physionomie actuelle: « il avait été éventré durant la guerre, une partie était en ruine. Par endroits, il n’y avait plus de plancher » selon Philibert Perrin. « Au départ, il a fait des céréales, des olives, des artichauts et de la vigne. Il était en polyculture. »
« Quand on était enfant, Carbonnieux ressemblait à une grande ferme: on avait des poules, un âne, des chiens et un grand jardin potager » confiait Christine Perrin, la deuxième de la fratrie (soeur d’Eric et Philibert)(interrogée par Terre de Vin).
« Est-ce que c’était des réflexes dus aux périodes difficiles ? », explique Eric Perrin, qui s’empresse de me confier: « j’ai le souvenir d’un cochon, et on avait des pommes sur la propriété, alors on le bourrait de pommes… » On avait créé un potager, voulu par ma grand-mère. Elle voulait des fruits et des légumes de la ferme. Mais quand on produisit des haricots, ça avait ses avantages et ses inconvénients: on en avait à tous les repas… »
Dans le chai à barriques de blanc, dégustant le 2014 en plein élevage © Jean-Pierre Stahl
Eric et Philibert sont aujourd’hui les gardiens du temple. « On a toujours travaillé sur le domaine familial et sur nos propres exploitations, et c’est ce que l’on fait toujours aujourd’hui », explique Philibert.
On est les deux co-gérants. On travaille chacun de notre côté et sous le même toit. Nous sommes indépendants et complémentaires, même si pour certains dossiers, nous travaillons ensemble, » Eric et Philibert Perrin
Eric a 51 ans, il s’est formé au sein de la propriété: « j’ai eu de la chance d’arriver au moment où on a mis en place les techniques de Denis Dubourdieu et les méthodes bourguignonnes de la fermentation des blancs en barriques. » Mais Eric s’est aussi installé avec Marc Lurton à la tête du château Haut-Vigneau en 1987 car il fallait protéger les terroirs de l’appellation Pessac-Léognan avec la technopole ». « L’appellation faisait 800 ha dont 600 en rouge et 200 en blanc, aujourd’hui elle représente 1300 en rouge et 250 en blanc, les rouges ont plus que doublé et les blancs très peu progressé. »
Philibert, 45 ans, diplômé du lycée de viticulture et d’oenologie de Blanquefort, a commencé vers 1992 et s’est installé au château Lafont-Menaut: « notre père (Anthony) nous a aidé à nous installer comme jeunes agriculteurs. »
Le château Carbonnieux est très connu en France et dans le monde, surtout pour ses vins blancs. Les blancs représentent 45% du vignoble. Et chiffre impressionnant, Carbonnieux produit à lui tout seul 20 % des blancs de l’appellation Pessac-Léognan. Eric Perrin tient à préciser « Dans les années 60, Bordeaux produisait plus de blancs que de rouges. 60% de blancs, dans les années 70 ce fut le point d’équilibre et aujourd’hui Bordeaux produit 87% de rouges. »
La cave des vieux millésimes avec le portrait de Thomas Jefferson, reçu en 1787 au château avant d’accéder à la Présidence des Etats-Unis d’Amérique, il a même planté un arbre, toujours présent sur la propriété © JPS
Si Denis Dubourdieu suit le domaine depuis 28 ans, Eric et Philibert Perrin ont décidé depuis une quinzaine d’années d’axer sur davantage de recherche de qualité avec un travail précis à la vigne, un travail parcellaire. Un savoir-faire apprécié et reconnu du monde entier, avec une renommée très importante pour le Carbonnieux blanc.
Ainsi pour le blanc, « on a pas moins de 30 parcelles différentes. 100% est fermenté en barriques de chêne, on a une rotation de remplacement par quart par des barriques neuves », explique Philibert.
Eric Perrin: « Cette année, on a évolué dans les techniques de vinification. Avant de presser, on nous conseillait de laisser baigner la peau du raisin pour faire des macérations pelliculaires, désormais en prime on essaie de lutter contre des oxydations prématurées de certains millésimes... » Et Philibert d’ajouter: « On a raccourci ainsi les tapis convoyeurs, le pressurage se fait sous gaz inerte. On a ainsi une évolution qualitative dans le transport des raisins jusqu’au pressoir. C’est un progrès ! »
Le château Carbonnieux travaille aussi « depuis 25 ans en agriculture raisonnée: « pas d’insecticide, pas d’acaricide, pas de désherbant et ce depuis très longtemps », précisent Philibert et Eric ensemble. On les sent engagés dans une démarche louable:
La lutte est raisonnée, on va un un peu plus loin en minimisant les traitements car on connait le cycle des maladies donc on traite au mon moment » Eric et Philibert Perrin du château Carbonnieux.
Et qui de mieux que les frères Perrin pour parler de leur savoir-faire: « autrefois, on confiait nos vins à la vente aux négociants, aujourd’hui on fait des tournées de 8 jours à tel ou tel endroit: ainsi entre la mi-janvier et le début mars, on a passé deux semaines aux USA, une en Europe et quinze jours en Asie… » explique Eric Perrin. Ils perpétuent ainsi la voie ouverte par leur père Antony qui fut l’un des pionniers de l’appellation à faire connaître Carbonnieux sur les marchés mondiaux et notamment aux Etats-Unis. Château Carbonnieux vend aujourd’hui 50 % de sa production en France et 50 % à l’étranger (Belgique, Allemagne, Suisse, Grande-Bretagne, USA, Japon, Chine…)
Cette semaine pour les primeurs les frères Perrin vont être sur le pont pour expliquer leur travail et celui de leur 45 personnes employées à plein temps (plus de la moitié des effectifs se consacre à la production). On va d’ailleurs les retrouver, dès ce lundi 9h30, pour la grande dégustation des Pessac-Léognan au château Smith Haut-Lafitte.