Des obsèques grandioses pour la « grande Dame du vin ». Les héritiers de Philippine, les employés de Mouton Rothschild, ses amis de la politique et du théâtre lui ont rendu un vibrant hommage cet après-midi à Pauillac. Touchant, émouvant et poignant…
Il est 14h45. Le cortège démarre de cet endroit magique que fut Mouton-Rothschild du temps de Philippine de Rothschild, esthète du vin et des arts. C’est pour cette femme hors du commun qui débuta au théâtre, cet après-midi, son dernier rôle, mais aussi l’apothéose. Quand elle annonça un beau jour à son père le Baron Philippe qu’elle voulait faire une carrière d’actrice au théâtre, celui-ci lui répondit: « fais-le, mais mieux que les autres. » Elle prit alors le pseudonyme de Philippine Pascal et fit une carrière exemplaire, intégrant la célèbre Comédie Française fondée par les amis de Molière (en 1680, 7 ans après sa mort).
Philippine de Rothschild a été perfectionniste jusqu’au bout. Ce jour, c’est le sien, mais aussi un hommage et un moment partagé par tous. C’est donc sur un tracteur viticole, un enjambeur, qu’elle quitte Mouton, encadré par 4 vignerons de part et d’autre en bleu de travail. Derrière son cercueil posé sur un magnifique lit de roses blanches suit tout d’abord son mari Jean-Pierre de Beaumarchais, puis ses trois enfants Philippe Seyres de Rothschild, Camille Sereys de Rothschild et Julien de Beaumarchais de Rothschild. Non loin, son premier mari acteur comme elle, Jacques Sereys. Egalement les conjoints des enfants de Philippine et ses 10 petits-enfants.
Un cortège dans lequel on compte également des amis très proches dont Bernadette Chirac, l’épouse de l’ancien Président de la République. Un cortège qui va marcher jusqu’au château d’Armailhac, l’autre grande propriété avec Clerc Milon, située à 200 mètres de Mouton, car le site se prête mieux à une messe. L’endroit retenu n’est pas choisi au hasard, c’est la salle des vendangeurs, la salle de tri où rentre la vendange.
C’est le père Bruno Delmas qui va ouvrir la cérémonie où ont pris place 1500 personnes. Une cérémonie ouverte à tous, gens du cru, famille et connaissances. Tous acheminés depuis les quais de Pauillac en autocars. D’emblée, le père Delmas campe le personnage de Philippine: une femme marquée dans sa jeunesse par la déportation de sa mère, Élisabeth Pelletier de Chambure, à Ravensbrück par les Allemands. Elle fut témoin à 11 ans de cette scène atroce où les Allemands emenèrent sa mère, elle échappa de peu elle-même à ce triste sort car elle rappelait à l’un des deux Allemands sa petite fille. (Son père, le Baron, à l’époque avait rejoint le Général de Gaulle à Londres, c’est pour cela que les Allemands venaient les arrêter).
La déportation de sa mère a commandé le reste de son existence » Père Bruno Delmas, curé de Pauillac.
Et le Père Delmas de souligner tous les traits de caractères qui découlèrent de ce passé et de sa propre personnalité qu’elle s’était forgée: « la générosité, le don, la joie, la gentillesse, la séduction, la culture, la combativité, le travail, la recherche de la perfection. » « Elle avait cette lucidité sur elle-même et sur les autres. C’était un tourbillon de vie et d’énergie ».
Alain Juppé, l’ancien Premier Ministre fraîchement arrivé à Bordeaux en 1995 rappelait justement cette anecdote qu’il l’avait laissé attendre au téléphone ou pas rappelé suffisamment tôt.« Nos rapports ont été un peu abruptes au début. J’ai mis votre nom sur une liste d’attente, mal m’en a pris. depuis, je rappelle. » Et l’assistance de sourire une première fois. Le maire de Bordeaux confie juste après qu’il est tombé sous le charme lors du 1er Vinexpo à Hong-Kong: « j’étais sous le charme de vos paroles en anglais, j’admirais votre talent d’improvisation jusqu’à ce que vous me disiez que vous aviez préparé durant deux jours »
Vous m’avez appris à me montrer moins raide quand je prenais la parole en public. Votre souvenir me serre la gorge. Vous êtes un extraordinaire exemple de volonté avec une pointe d’autodérision. » Alain Juppé, maire de Bordeaux
Et de rappeler ces échanges avec lui autour du réveil de Bordeaux, de son embellissement et de sa volonté de s’impliquer encore dans la Cité des Civilisations du Vin.
Philippe Castéja, le président du Conseil des Grands Crus Classés en 1855 a résumé la tristesse de tous les propriétaires, négociants et vignerons de base de la place de Bordeaux: « nous sommes dans la peine ».
La grande Dame du vin s’en est allée juste avant les vendanges et après 25 millésimes » Philippe Castéja, président du Conseil des Grands Crus classés 1855
Grande Dame du vin et des arts aussi et du théâtre…
Jacques Seyres, son premier époux: « Tu peux t’enorgueillir d’avoir perpétuer l’oeuvre du Baron Philippe et d’avoir participé au rayonnement de Mouton dans le monde entier. Ton père serait fier de toi, même épaté ! Forcé de reconnaître qu’une femme peut être l’égale de l’homme et même supérieure. »
Camille sa fille revient sur ce chef de file que fut Philippine: « Sur un bateau tu disais, il est important de parler d’une seule voix…et Jean-Pierre te reprenait et disait oui la tienne ! » Et de souligner cette « formidable école de rigueur, d’exigence et de souci du perfectionnisme » « Nous poursuivrons tous ton oeuvre avec la même rigueur, la même exigence et cette volonté de réussir. » Philippe Seyres de Rothschild.
Travailler pour vous a été un honneur, une fierté, une chance aussi. Nous ressentons (les salariés) une profonde affliction, un grand vide à Pauillac » Hugues Lechanoine, Président du Directoire de Baron Philippe de Rothschild
Enfin, Muriel Mayette-Holz, ex-administratrice générale de la Comédie Française clôt cette pièce en 3 actes: « Tu étais l’actrice, la Philippine, tu prenais le plateau, tu prenais de la place ! »
« Tu étais Madame Bernard, Lisette, Martine, Blanquette, Toinette, Rachel,…cela donnait à ta voix un discours théâtral qui ne ressemblait qu’à toi »
A la Comédie Française, la plus grande troupe de France, tu vas nous manquer.Tu me manques Philippine ! Salut l’artiste ! » Muriel Mayette-Holz ex-administratrice générale de la Comédie Française.
Photos et compte-rendu de Jean-Pierre Stahl, qui salue ici la Grande Dame de Mouton: « Chapeau » Madame la Baronne.
Regardez le reportage à Pauillac et les hommages à Philippine de Rothschild par Jean-Pierre Stahl et Didier Bonnet