François Lurton a monté sa petite entreprise voilà plus de 25 ans. Depuis, elle produit environ 10 millions de bouteilles, plus que son père André Lurton. Une véritable réussite avec 70 vins différents d’Argentine, du Chili, d’Espagne et de France. Sa plus grande réussite: les « fumées blanches » produites à 5 millions de bouteilles en Côtes de Gascogne. Côté Châteaux lui décerne le titre de « vigneron du mois ».
François Lurton, le Bordelais globe-trotter qui a réussi à faire fructifier son savoir-faire dans le nouveau monde et en France © Jean-Pierre Stahl
François Lurton a 56 ans. Il s’était dit qu’à la cinquantaine, il baisserait son régime de croisière, or ses affaires se portent de mieux en mieux et il ne manque pas d’idées pour continuer son oeuvre. Tiens, il pense d’ailleurs très prochainement lancer une petite maison de négoce à Bordeaux…
François Lurton est issu d’une grande famille du vin à Bordeaux: les Lurton. Il incarne la 5e génération de viticulteurs qui produit des vins dans le Bordelais depuis 1897. Son père, André Lurton, avec qui il a appris et travaillé au début de sa carrière (il fut directeur général « avec mon frère, on tenait la barraque, pendant que mon père s’occupait des « Pessac-Léognan ») est très connu à Bordeaux car il est à la tête de très grands châteaux: pelle-mêle, La Louvière, Couhins-Lurton, Bonnet, Rochemorin, Cruzeau…et associé à Dauzac et Barbe-Blanche.
François Lurton et son frère Jacques ont donc débuté aux côtés d’André, un personnage cet André Lurton… Ancien responsable de la FDSEA et maire de Grézillac, il a relancé nombre de vignobles dans les Graves, le Médoc et l’Entre-deux-Mers. Il s’est pleinement investi dans la mission de créer une nouvelle appellation, qui ne concernerait que les Graves du Nord (où il y avait une concentration de crus classés): Pessac-Léognan en 1987. « Quand je travaillais avec mon père, il passait 80% de son temps entre Pessac-Léognan et château Bonnet. Quand mon père est revenu dans ses affaires, on est parti ailleurs… »
André Lurton avait aussi un caractère fort, ce qui poussa sans doute ses deux fils à s’émanciper et prouver à leur père qu’ils y arriveraient aussi. François et Jacques sont donc partis dans un premier temps travailler en 1988 pour Ginestet, Marks & Spencer, Tesco, La Virginie, Hardy’s (Domaine de la Beaume), Remy Panier (Loire), Wines of Moldovia, Catena ou encore Vina San Pedro…mais ils vont avoir le déclic lors de Vinexpo en 1991: « On a signé de gros contrats avec l’Argentine et le Chili ». C’est alors le pari de leur vie: un premier achat de parcelles en Argentine en 95 puis les plantations en 96. Les autres vignobles seront acheté en 1999, 2000 et 2001.
« Les terroirs d’Argentine au pied de la Cordilières, on y fait des malbecs merveilleux ! Au Chili, c’est aussi le plaisir avec des vignes en biodynamie. Il y a un vrai plaisir de vie la-bas. Mes enfants me demandent souvent quand est-ce qu’on va au Chili… »
« Avec mon frère, on a acquis des expériences qui permettent de construire tous ces vins avec ce savoir-faire de vinification. » En plus des vignobles au Chili, en Argentine, François et Jacques Lurton ont acquis d’autres vignobles en Australie, au Portugal, en Espagne, dans le Langedoc Roussillon et dans les Côtes de Gascogne.
Depuis 2007, l’entreprise a connu un nouveau tournant: Jacques a conservé l’activité de consulting, ainsi que le vignoble en Australie, François a gardé les vignobles au Chili, en Argentine et dans les Côtes de Gascogne où est sa plus grosse production avec ses « fumées blanches » avec son sauvignon blanc.
François Lurton SA, ce sont « 350 hectares de vignes à titre personnel, 700 au total car on fonctionne à l’étranger avec un système de fermage ou on achète de la vendange. Mais tous les vins que je vends sont des vins que je vinifie ! Moi-même ou avec mon équipe »
Sa plus grosse réussite, c’est finalement sa marque mondialement connue avec son sauvignon « fumées blanches », un nom inspiré par des Canadiens, et qui correspond à cette brume que l’on retrouve au petit matin dans les Côtes de Gascogne, un peu comme à Sauternes, « sauf qu’ici il n’y a pas de botrytis ! »
Francisco Almeida et François Lurton © JPS
Un paysage qui a bleuffé son nouveau venu dans le bateau Lurton: Francisco Almeida, un grand gaillard portugais originaire de la région de Vino Verde, qui comme François est issu d’une famille de viticulteur « il est tombé dedans quand il était petit ! » Francisco n’est là que depuis un mois, mais il va s’occuper du marketing opérationnel.
« Les fumées », ce sont 5 millions de bouteilles, soit la moitié de ma production: 10 millions. Je stagne depuis 10 ans car je fais attention à ne pas augmenter en volume, mais en qualité ! C’est grâce à château Bonnet que j’ai appris à faire des vins de qualité en grande quantité, en volumes. Je suis devenu leader avec les « fumées blanches »
François Lurton a aussi choisi ses terroirs fonction de la climatologie et de l’influence océanique tant au Chili que pour ses Côtes de Gascogne.
On recherche une fraîcheur et un style plus atlantique pour le sauvignon, il faut qu’il soit proche de la mer. »
Autrefois, il produisait ses fumées en Languedoc, depuis 10 ans, il a migré pour trouver cette fraîcheur. « Au nez, il a cette expression herbacée ou florale, qui a une connotation nouveau monde. On sent ces terroirs frais aux matins humides avec beaucoup de brouillard. »
Quant au terroir qu’il appréciait le plus et qu’il regrette, c’est celui du Portugal… »Un des plus grands terroirs qui s’exprime ». Peut-être y reviendra-t-il ? Car les pages de sa vie sont loin d’être totalement écrites. « Avec la famille, on pense de plus en plus à acheter aussi en Californie… »
Ses vins espagnols Campo Eliseo de Toro, chiliens Hacienda Araucano Clos de Lolol, argentins Piedra Negra Gran Malbec, et du Roussilon Mas Janeil encadrent ses fumées blanches produits en Côtes de Gascogne. © JPS
François Lurton que certains considèrent comme totalement oublié à Bordeaux, ou dont les rumeurs les plus folles aiment à courir, tenait à faire cette conférence à l’hôtel de charme-maison d’hôtes, la Maison Bord’Eaux, que tient son cousin Pierre Lurton (PDG d’Yquem, gérant de Cheval Blanc): « il court tout un tas de bruits à Bordeaux, c’est l’occasion de remettre les pendules à l’heure. »
« Quand Bordeaux a des difficultés, mes ventes se portent très bien. Elles sont en plein boom en Amérique du Sud et Amérique du Nord. On surfe sur la vague aux Etats-Unis. Je fais plus de 60 % de mes volumes avec des vins de France, de Gascogne et du Roussillon et Fitou. Le chai que j’ai à Vayres (en Gironde, juste à côté de Bordeaux) va être complètement remanié avec une nouvelle chaîne d’embouteillage de 7000 bouteilles à l’heure, avec réduction totale d’oxygène. J’emploie 70 personnes en France, en Argentine 80 avec la Bodega Piedra Negra. »
Je rapatrie mes résultats en France, je paie mes impôts en France, je ne suis pas expatrié et je vis plus de 6 mois de l’année en France. » François Lurton
Mais François Lurton n’est pas la pour régler ses comptes avec la place de Bordeaux qu’il connait bien, car c’est avant tout un business man, mais un viticulteur business man. Un de ceux qui ont non pas des dollars à la place des yeux mais avant toute chose le raisin chevillé aux tripes !
Ainsi en Espagne, à Toro, il est associé à Michel Rolland et produit le « meilleur vin d’Espagne » le « Campo Eliseo » (1 million de bouteilles en rouge, blanc et rosé). Mais surtout, il continue à parcourir la planète, car « le plaisir de mon métier, c’est que j’ai deux vendanges. Par exemple, là, on va finir les remontées de barriques en Argentine. »
« Le vignoble, c’est comme dans les restaurants, il faut toujours être derrière la caisse ! »
Pour moi, ce qui fait la qualité d’un vin, c’est la qualité du raisin. Je passe partout pour goûter le raisin et donner les dates de vendanges. » François Lurton
Quant à la question de Côté Châteaux de savoir s’il pensait avoir mieux réussi que son père ? (car il produit aujourd’hui plus de vin que lui): « Ce n’était pas mon but, ni mon intention. Mon père a mieux réussi dans la valorisation de ses terroirs. Je n’ai pas encore sa fortune. Dans le monde du vin, les choses sont lentes…Pour que je réussissse autant que mon père, il faudrait que j’ai son âge. Le 4 octobre, il va avoir 90 ans André, on va lui faire une bonne fête ! »
Pour en savoir plus sur François Lurton et ses domaines: françoislurton.com