30 Avr

La fin de la Seconde guerre mondiale à Limoges (5)

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Georges Guingouin après un discours au monument aux morts de Limoges, à l’occasion d’une cérémonie de commémoration de la libération de la ville, au début des années 1990. On distingue sur la gauche Roland Dumas, Alain Rodet (député-maire), Marcel Rigout. (c) L. Bourdelas

Les Limougeauds apprennent le débarquement allié en Normandie par la B.B.C. puis par la presse officielle. Le 7 juin 1944, la division S.S. Das Reich, qui comprend environ 8 500 hommes (parmi lesquels des « malgré nous » alsaciens), en repos entre Agen et Montauban, reçoit l’ordre de remonter vers la Normandie en utilisant la Nationale 20 ; elle le fait en commettant plusieurs crimes (incendies, meurtres) car la mission est de semer la terreur. Le 9 juin, c’est la pendaison de 99 otages à Tulle et la déportation de nombreux habitants. Le gros des troupes stationne à Limoges rue Théodore-Bac et place Marceau (à la caserne, on répare les engins) ; des miliciens, des G.M.R., des Allemands sillonnent la ville. Des réunions ont lieu : entre miliciens à Limoges, puis le samedi 10 au matin successivement à Limoges et à Saint-Junien, entre officiers Waffen S.S. et policiers SS en poste à Limoges. Des miliciens suivent les opérations. L’« action exemplaire », envisagée depuis plusieurs jours (une note du général S.S. Lammerding commandant la division date du 5 juin, confirmée par une nouvelle note du même en date du 10), est alors mise au point. Le 10, c’est l’ignoble massacre d’Oradour-sur-Glane, durant lequel 642 femmes, enfants et hommes sont assassinés, fusillés, brûlés. Les cadavres sont éliminés par le feu et la fosse commune pour empêcher leur identification. Des rumeurs circulent à Limoges lorsqu’une grande lueur rouge est distinguée à l’ouest. Une motrice de tramway est rentrée précipitamment, après qu’un de ses machinistes aient été abattu par un S.S. alors qu’il demandait pourquoi Oradour était bloqué. Les premiers témoins découvrent l’abomination dans les heures qui suivent le départ des S.S. et la nouvelle parvient à Limoges par le bouche à oreille.

Au début du moins de juin, Georges Guingouin reçoit de Léon Mauvais, cadre important du parti communiste, chef des FTP en zone Sud, l’ordre de prendre Limoges, mais il n’obtempère pas, craignant un bain de sang – ce qui déplait au P.C.F. Dans la nuit du 23 au 24 juin, grâce aux renseignements de la Résistance, l’aviation alliée bombarde la gare de triage de Puy-Imbert, empêchant la circulation pendant plus d’une semaine. Bien entendu, la population riveraine est inquiète pendant le déroulement des opérations : une bombe ne va-t-elle pas manquer sa cible et tomber ailleurs ? ; dès le lendemain, les Allemands mobilisent la main-d’œuvre limougeaude disponible pour déblayer, sous un soleil de plomb. De temps à autre, on démine une bombe à retardement. Fin juin, les miliciens arrêtent l’évêque de Limoges, Mgr Rastouil, qu’ils jugent pas assez collaborateur, et l’assignent à résidence à Châteauroux. Durant le mois de juillet, de grandes formations de bombardiers alliés traversent le ciel ; un avion britannique largue des tracts et journaux pour informer la population de la situation : on se précipite pour ramasser les papiers et les lire, tandis que les miliciens ramassent ce qu’ils peuvent. On sait que les maquisards sont proches. L’angoisse étreint les esprits. Mi août, les F.F.I. sont à Feytiat et à Boisseuil ; des raids sont lancés à travers la ville : deux Allemands sont abattus rue Armand-Barbès. Le 16, les miliciens fuient, accompagnés par femmes et enfants, entassés dans une centaine de voitures chargées d’armes et de vivres. Ils sont harcelés par les maquisards, aidés par les Allemands ; leur périple passe par Guéret, Dijon, en direction de l’Alsace, ils participent à des combats en Italie du Nord ou sur le front de l’Est. De Vaugelas se réfugie ensuite en Argentine et Filliol en Espagne franquiste, où il travaille pour la filiale d’une célèbre entreprise française de cosmétiques. Le 22 août, quelques miliciens isolés tirent depuis les toits du lycée sur la foule de la ville libérée, sans conséquences funestes.

Mais dès le 19 Août 1944, la négociation auprès des autorités d’occupation commence pour obtenir la reddition de la garnison allemande sans qu’il y ait de sang versé. Des instructions très précises sont données pour une capitulation sans condition. Un rendez-vous est pris le 20 Août 1944 à 12h 45 à la kommandantur. Les conditions proposées sont rejetées par les Allemands. Georges Guingouin réplique immédiatement en expliquant que la ville est encerclée par 1500 hommes du maquis, et qu’en cas de refus le centre serait bombardé sans hésiter par les alliés (Londres a envisagé d’appuyer la Résistance, au besoin, avec l’aviation : parmi les objectifs, les casernes, le lycée, l’école du Pont-Neuf). Le 20 Août, il informe Staunton, major de la mission interalliée, que les entretiens préalables à une entente pour la libération de Limoges sont en cours. Le 21 Août 1944, Jean d’Albis, arrière-petit-fils de David Haviland, agent consulaire suisse, reçoit la reddition allemande (en présence du poète et critique Luc Estang) mais une fusillade retarde l’entrée de Guingouin et de ses hommes dans Limoges. Le plus gros effectif de la garnison allemande a commencé de quitter la ville dès 17 heures. Lors de cette opération le général Gleiniger trouve la mort (assassiné par les S.S.). Durant la nuit, les F.F.I. occupent la ville : la préfecture, l’hôtel de ville, la Banque de France. L’Etat-Major s’installe à l’hôtel Haviland. Les maquisards sont entrés par les routes de Lyon et de Toulouse, accueillis par la foule venue notamment du quartier des ponts. Tous ceux qui portent un uniforme allemand et qui ne se seraient pas échappés sont faits prisonniers. Vers 22h 10, Limoges est totalement libérée. Le lendemain, c’est la liesse ; la population s’en prend à des locaux pétainistes, des dossiers sont éparpillés dans les rues, des femmes sont malheureusement tondues et humiliées ; des immeubles décorés aux couleurs nationales ; des musiciens animent des bals ; on démolit les blockhaus allemands ; des collaborateurs sont emprisonnés (le commerçant Dalpayrat est presque lynché) ou passés par les armes (des prostituées connaissent aussi ce sort). « L’épuration » commence : un tribunal spécial est mis en place. Selon Guingouin, il « travaillait de six à douze heures par jour, samedi et dimanche compris. » En Haute-Vienne, on pense qu’environ 350 exécutions auraient eu lieu, suite à des décisions de tribunaux militaires ou civils ou « hors jugement ». A Limoges, c’est au Malabre que les collaborateurs étaient fusillés. Dans une intéressante communication au Musée de la Résistance de Limoges le 8 avril 2014, Pascal Plas a observé, à propos de l’épuration « sauvage » économique dans la grande région de Limoges que les comités provisoires d’épuration (non reconnus par la puissance publique), souvent moins politisés qu’on voulut bien le dire durant la guerre froide, firent un travail d’enquête sur le personnel (surtout d’encadrement), établirent des rapports et réfléchirent à quelles mesures prendre pour « chasser » ceux qui s’étaient compromis. Lorsqu’on licenciait, on justifiait la décision. L’intérêt des travaux historiques actuels est de montrer que tout autant les faits de collaboration ou de zèle vichyste, ce sont plutôt ceux considérés comme « mauvais chefs », « arbitraires », qui furent sanctionnés, parfois pour des situations remontant à avant la guerre (par exemple la répression des grèves de novembre 1938 sévèrement réprimées), comme si une mémoire ouvrière des conditions sociales permettait à cette occasion de « rejouer » des conflits historiques. Selon l’historien, c’est bien ici l’illustration de la « théorie des conflits emboîtés » et la réémergence d’histoire(s) ancienne(s).

Le 22 août, le pasteur Albert Chaudier est désigné comme président du Comité départemental de libération – il a consacré un ouvrage à Limoges capitale du maquis. Les mouvements de résistance, les partis et les syndicats désignent les 27 membres de la municipalité provisoire. Le Dr Henri Chadourne devient maire. Les journaux préexistants sont réquisitionnés et fusionnent en un (éphémère) journal unique : Le Centre Libre. M. Dorsannes devient directeur des émissions à la radio. Pierre Boursicot est nommé Commissaire de la République, il intronise le communiste Jean Chaintron préfet de la Haute-Vienne. Le 4 mars 1945, le général De Gaulle, accompagné par Tixier et Lacoste, est à Limoges : « L’accueil y est magnifique – écrit-il dans ses mémoires de guerre –. pourtant, des troubles graves ont agité le Limousin. Mais l’ordre a gagné la partie […] Au nom de la France, j’accomplis le pèlerinage d’Oradour-sur-Glane. » Georges Guingouin, Compagnon de la Libération en qui Charles De Gaulle voyait l’ « une des plus belles figures de la Résistance », est élu maire de Limoges du 29 avril1945 au 19 octobre1947. Il a battu la liste socialiste de Jean Le Bail, professeur de philosophie au lycée, qui n’a pas résisté durant la guerre mais le poursuit de sa vindicte. Alors que Lou Grand doit faire face à l’hostilité du Parti Communiste (qui n’aime pas les esprits libres et l’exclue) et de la S.F.I.O., Léon Betoulle reconquiert la mairie et la conserve jusqu’à sa mort en 1956 (avec l’aide des non socialistes). Entre-temps, en 1953, poursuivi par des haines tenaces, Georges Guingouin a été accusé de meurtre, emprisonné et a failli mourir, tabassé par ses gardiens. Il faut attendre 1959 pour qu’un non lieu soit prononcé. Libéré, l’ancien instituteur reprend son métier dans l’Aube, dont son épouse, Henriette, est originaire. François Marthouret a consacré un beau téléfilm à « l’affaire Guingouin » en 2011 : Le Grand Georges.

Un monument aux morts commémore toutes les victimes du conflit à l’arrière du Jardin d’Orsay, ouvrant sur la place des Carmes.

La Seconde Guerre mondiale et ses suites ont très largement nourri les débats et les positionnements politiques à Limoges et en Limousin au XXème siècle. En janvier 2012, après avoir été abrité dans une aile du Musée de l’Evêché, un Musée municipal de la Résistance digne de ce nom a été ouvert à Limoges dans le quartier de la cathédrale, rue Neuve Saint-Etienne : « il illustre les valeurs citoyennes et solidaires portées par la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Dédié à tous ceux qui se sont sacrifiés pour défendre les valeurs fondamentales de la République, il a pour vocation de faire vivre la mémoire en offrant un lieu pédagogique et de diffusion de l’information, notamment pour le jeune public. »

 

19 Avr

L’écrivain Pierre Bergounioux revient à Gay-Lussac!

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(France Culture)

Jeudi 4 mai à 18h précises, j’aurai le plaisir d’animer une rencontre avec l’écrivain et sculpteur Pierre Bergounioux, originaire de Brive, édité notamment chez Gallimard et Verdier. Il passa par la classe prépa littéraire du lycée avant d’intégrer l’ENS. L’entrée est libre, sous réserve de s’inscrire en cliquant sur le lien ci-dessous:

http://www.anciensdegaylu.com/event/rencontre-de-gay-lussac-6-pierre-bergounioux/

15 Avr

Limoges pendant la Seconde guerre mondiale, 4: résistances

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Edouard Lecomte-Chaulet et sa femme, Rose Vinoy, Françoise Vinoy

(c) L. Bourdelas

 

Dès 1940, la Résistance s’est progressivement mise en place et organisée en Limousin et à Limoges ; on pourrait dire qu’elle avait commencé lorsque Léon Roche, député de la Haute-Vienne (Rochechouart), ne vota pas les pleins pouvoirs à Pétain. Dès le mois d’août, Alphonse Denis, membre du Parti Communiste, réunit les premiers volontaires au café de Bordeaux, boulevard Gambetta. Parmi eux, Charles Bach, franc-maçon, socialiste, fondateur d’une manufacture de confection. C’est dans une buvette de l’actuelle rue Emile de Girardin que Georges Guingouin aurait décidé de franchir le pas, avant de revenir à Saint-Gilles-des-Forêts pour constituer son réseau de maquisards. Des jeunes se regroupent aussi dans le quartier de la gare autour d’Henri Lagrange, dirigeant du P.C. clandestin à Limoges – celui-ci fut arrêté en janvier 1941 puis mourut en février 1943. Les cheminots résistants s’organisent. On commence à distribuer des tracts à travers la ville, on lacère les affiches de Vichy, on écoute Radio Londres – ainsi, rue du Pont Saint-Martial, « Chez Janicot », un bar tout droit sorti du XIXème siècle, avec sa devanture lie-de-vin à carreaux, son zinc, son plancher, ses tables et ses chaises. Dans l’arrière salle, un poste de radio. Mon père Jean-Marie, âgé d’une dizaine d’années, s’asseyait là en début de soirée, pour écouter Radio Londres avec les autres ; ce qui lui plaisait, c’était les messages codés énumérés par Franck Bauer. En 1941, le réseau Libération se met en place avec notamment Armand Dutreix, entrepreneur électricien à Limoges (fusillé en 1943 au mont Valérien), François Perrin, professeur d’anglais (fusillé en 1943 au mont Valérien), Valentin Lemoine, marchand de vins à Limoges (mort en déportation) et son fils Georges (tué à Saint-Sylvestre en 1944), Jean Gagnant, comptable (mort à Dachau), Gabrielle Sarre, Georges Dumas, socialiste, directeur des contributions à Limoges (fusillé en 1944), Henri Lafarge, fabricant de porcelaine, qui subtilise des armes. L’année suivante, les Groupes Francs du mouvement se constituent. Elève au lycée Gay-Lussac, Roland Dumas, fils de Georges, entre également en résistance. 1942 est l’année de la structuration. Combat est surtout constitué de chrétiens, parmi lesquels Martial Pradet, chef du service de renseignement des MUR (fusillé en 1944), Léon Rouberol, propriétaire d’une mercerie en gros rue d’Isly, chargé en particulier des faux papiers. Une des actions du groupe est la diffusion du journal Combat, dirigé par André Bollier –  au début de 1944, un million et demi d’exemplaires et des tracts clandestins sont diffusés dans l’ancienne zone non occupée. Dans la cité des Coutures, en contrebas de la gare, c’est le Front National (proche du P.C.) qui se développe, avec Francis Demay, Marie-Louise Lagrange ou Maria Roche. Le mouvement Franc-Tireur s’organise sous la direction D’Edgar-Eugène Lecomte-Chaulet, marchand de tissus place des Bancs, avec l’aide de son fils Robert-Jean. Parmi les membres du réseau, Arsène Bonneaud, professeur à l’Ecole de médecine de Limoges révoqué par Vichy (mort en déportation à Buchenwald), secondé par Maurice Rougerie, instituteur – père de René, lui-même résistant et futur célèbre éditeur de poésie. Pierre Lavaurs, entrepreneur, gère la réception du journal Franc-Tireur (2 000 exemplaires distribués en 1943). En octobre 1942, le Front National organise une manifestation contre le S.T.O. qui regroupe des milliers de manifestants, prévenus par les tracts imprimés par Etienne Rivet et ses amis. Au lycée Gay-Lussac, des élèves créent le réseau du 17ème barreau, qui regroupe une quarantaine de membres rédigeant et distribuant des tracts. Plusieurs sont déportés en 1943. Michel Kiener et Pascal Plas leur ont consacré un ouvrage en 2008. De 1938 à 1944, Joseph Storck, le proviseur, sauve de nombreux pensionnaires juifs en leur donnant de fausses identités fabriquées dans son imprimerie clandestine. Il les cache lors des perquisitions de la Gestapo et de la Milice ; il place les jeunes en danger dans des familles d’accueil. De son côté, l’abbé Robert Bengel, prêtre à Solignac, cache dans la campagne des enfants qui lui sont confiés par le Dr Lévy, médecin d’enfants à l’O.S.E de Limoges. Le 11 novembre, les Allemands franchissent la ligne de démarcation et la répression s’intensifie. En 1943, Combat, Libération et Franc-Tireur fusionnent au sein des M.U.R. La lutte s’organise, à Limoges et dans la région, avec notamment les maquisards de Georges Guingouin. Parmi les résistants : Thérèse Menot, qui travaille et agit à l’usine Gnome et Rhône ; dénoncée, elle est arrêtée en janvier 1944 et déportée à Ravensbrück ; Suzanne Rodi-Boyer et Lucien Berdasé, fonctionnaires à la mairie, qui fournirent fausses cartes d’identité, divers papiers officiels ou des cartes d’alimentation (Berdasé entre ensuite en clandestinité et passe à l’action militaire). Le 1er septembre 1943, c’est la parution du journal clandestin Valmy !, imprimé rue de la Mauvendière sous la direction d’Alphonse Denis, avec l’équipe d’Etienne Rivet. La Résistance-Fer se développe sous la direction de René Deville et effectue des sabotages de plus en plus nombreux. Les F.T.P. de Jean Sautour font sauter les pylônes électriques de l’usine Gnome et Rhône, route du Palais, spécialisée dans la construction de moteurs d’avion (à l’intérieur oeuvraient déjà des saboteurs). En 1944, les maquis sont présents, organisés et entraînés, actifs, partout en Haute-Vienne ou presque. Maurice Rousselier a pris le commandement des Forces Françaises de l’Intérieur de la Région 5, dont le Délégué Militaire Régional est Eugène Déchelette. Georges Guingouin est le commandant pour la Haute-Vienne. A Limoges même, la résistance agit, relayée par diverses personnes en de multiples lieux, privés, commerciaux (Marcel Vinoy imprimant par exemple de faux-papiers dans la cave de son magasin de vin place des Bancs) et administratifs. Parmi les résistants (dont plusieurs nommés ci-dessus), on compte de nombreux francs-maçons (dès l’automne 1940, le Temple de la rue des Coopérateurs avait été placé sous séquestre ; les travaux des Artistes réunis ne reprendront qu’en janvier 1945). Le poète Georges-Emmanuel Clancier participe à la résistance littéraire en contribuant à la revue Fontaines. Le futur maire de Limoges, Louis Longequeue, âgé de 30 ans, pharmacien aux Coutures, membre du parti socialiste clandestin, et de nombreux personnels infirmiers et médicaux ont  rejoint la Résistance. Les actions des maquis qui entourent la ville sont de plus en plus nombreuses et efficaces. La population accomplit aussi des actes de résistance en apparence anodins, mais qui révèle son état d’esprit : ainsi n’est-il pas rare que les spectateurs du « Ciné-Union » sifflent les actualités filmées qui servent la propagande allemande et vichyste.

31 Mar

Le rabbin Abraham Deutsch et la communauté juive pendant la guerre

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Le rabbin Abraham Deutsch, réfugié d’Alsace, âgé de 37 ans, fait de sa résidence à Limoges un centre de résistance. Tout laisse d’ailleurs à penser que la population limougeaude n’est guère gagnée par l’antisémitisme. Aux environs et après la grande guerre, quelques familles séfarades de Grèce et de Turquie s’étaient établies dans la ville ; avant guerre, la communauté était présidée par Léon Goetschel, fabricant de chapeaux rue du Clocher – en mai 2014 est sorti le documentaire (France 3 Limousin/Leitmotiv Production) que Pierre Goetschel a consacré à la mémoire de ses grands-parents à partir des objets familiaux et diverses archives. La Seconde Guerre vit affluer des centaines de familles d’Alsace et de réfugiés juifs d’autres régions. On trouva un local 18 rue Manigne (une ancienne imprimerie) qui servit d’abord de synagogue, puis pour les offices de la semaine et les cours du Talmud-Thora. Au printemps 1940 fut établie une seconde synagogue 5 rue Cruveilhier. Le rabbin – entouré de laïcs comme Henry Bloch, Julien Wolff, Jules Bollack, Edouard Bing – réussit l’ouverture, à Limoges, d’un petit séminaire, école secondaire du deuxième cycle, qui devait préparer ses élèves à l’école rabbinique, alors dans la banlieue de Clermont-Ferrand. Peu de ces élèves devinrent rabbins, mais parmi eux certains furent plus tard les leaders du judaïsme français comme éducateurs, universitaires et enseignants. Abraham Deutsch, secondé par son épouse Marguerite, essayait d’accueillir et d’aider ceux qui, alors nombreux, étaient en difficultés (y compris en participant au sauvetage des enfants avec l’O.S.E. et ses pouponnières clandestines, par exemple celle de Germaine May dans le quartier Varlin). En revenant d’un office à la synagogue – d’autres disent après un enterrement – Abraham Deutsch fut arrêté par la Gestapo, avec son ministre-officiant. Il fut libéré le lendemain et poursuivit sa tâche comme auparavant. Les choses étaient devenues très difficiles avec la grande rafle des Juifs étrangers en août 1942 – à Limoges, certains, prévenus par le rabbin mis au courant par le président de la Croix Rouge, purent se mettre à l’abri. Dans la région de Limoges, beaucoup furent néanmoins arrêtés, détenus au camp de Nexon avant d’être transférés à Drancy. Au moment de « l’aryanisation » des biens juifs, 200 entreprises furent recensées comme juives. Les choses devinrent encore plus dangereuses avec l’implantation de la kommandantur à partir du 11 novembre, secondée par les collaborateurs et les miliciens. En juin 1944, la milice vint arrêter le rabbin à son domicile et il fut interné dans un camp de la région jusque quelques jours avant la libération où le maquis vint délivrer les prisonniers. Il rentra en Alsace en 1945 et finit ses jours à Jérusalem.

Lire à Limoges 2017

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Si vous souhaitez que nous parlions de l’histoire de la ville, je serai à Lire à Limoges 2017 chaque après-midi vendredi 31 mars (Page et plume), samedi et dimanche (France Bleu Limousin).

Je vous attends avec plaisir…

22 Mar

Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale, 2

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Jean Filliol Le Populaire, organe du Parti socialiste (SFIO), n° 5448, 14 janvier 1938.

En novembre 1942, les Allemands entrent à Limoges et installent la Kommandantur place Jourdan, la gestapo investit une villa à l’angle de l’impasse Tivoli et du cours Gay-Lussac (parmi ses séïdes, une quinzaine de Français). L’Ordrugs Polizei s’installe rue Montalembert. Les Etats-Majors et services investissent le Central Hôtel, l’Hôtel Moderne, l’Hôtel de Bordeaux. La répression s’intensifie, le Service du Travail Obligatoire est mis en place, les pénuries s’accroissent – impression de désolation accentuée par un hiver très rude. Face aux importantes restrictions alimentaires, la presse a donné depuis longtemps des recettes pour utiliser les déchets : feuilles vertes des choux, feuilles de salsifis, de betteraves ou de radis, etc. Les habitants font la queue devant les boutiques lorsqu’un arrivage est annoncé, ils économisent tout ce qu’ils peuvent : vêtements, crayons, papier. Dans les cours et les jardins, on élève des poulets ou des lapins, on cultive un potager. Ceux qui peuvent partent en tramway ou à vélo s’approvisionner à la campagne. Les véhicules fonctionnent surtout au gazogène, des voitures à cheval circulent à travers la ville.

Le dimanche 28 février 1943 a lieu à Limoges l’assemblée constitutive de la Milice, pour la Haute-Vienne et les parties non occupées de la Charente et de la Vienne. Les formations des miliciens se regroupent place de la Cathédrale puis gagnent le cirque-théâtre où le public est nombreux. En guise de décor, un immense portrait du fondateur Joseph Darnand et une banderole : « Contre le communisme, la Milice ». Les miliciens chantent leur hymne et même La Marseillaise ; ils défilent ensuite au square de la Poste puis les autorités et personnalités se retrouvent dans le hall des jardins de l’Evêché pour partager le déjeuner des miliciens. Parmi ceux qui sont favorables au mouvement, le médecin Verger, dont le fils s’engagea dans la Milice, et dont la femme tenait des propos extrêmes – la rumeur locale lui prêtait même le désir d’un « sac à main en peau de maquisard ». En 1944, Jean de Vaugelas est à la tête du mouvement dans la région (mais il a aussi autorité sur la Garde mobile, les G.M.R. et la gendarmerie). Avec lui, Jean Filliol, cofondateur de La Cagoule, est chargé de la Franc-garde et du renseignement. Il a investi, avec ses séïdes, le Petit Séminaire, près de l’Hôtel de Ville : les tortionnaires opèrent au deuxième étage du bâtiment B, chambre 19. Entre deux beuveries, avec acharnement, ils cravachent, frappent à coups de gourdins, de matraques, de nerfs de bœuf, brûlent à la cigarette, lardent de coups de couteau. Parmi les victimes, un Juif meurt défenestré, le résistant Louis Cacaly succombe à une hémorragie interne, des femmes sont violées. On fusille des résistants dans la cour de la prison, place du Champ de Foire. A la fin de la guerre, la Milice s’installe au Petit Quartier du lycée Gay-Lussac. Dans la biographie qu’il a consacrée à l’écrivain limousin Robert (Bob) Giraud, auteur du célèbre Le vin des rues, Olivier Bailly a raconté comment celui-ci, âgé de 23 ans, maquisard, est arrêté en juin 1944 par un ancien camarade du lycée, milicien, et envoyé au Petit Séminaire où il est torturé. Il croise là et réconforte André Schwarz-Bart (futur Prix Goncourt 1959), adolescent résistant lui aussi torturé. Les prisonniers sont sauvés d’une mort certaine par la libération de la ville.

A suivre…

12 Mar

Quand l’écrivain Pierre Bergounioux se souvient de son passage en hypokhâgne au lycée Gay-Lussac

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Editions Gallimard

« Rien n’a plus compté dans mon existence que le passage par Gay-Lussac. Jusqu’au printemps de l’année du bac, j’envisageais de devenir instituteur dans la campagne voisine. C’est à quoi tout me poussait, l’isolement, l’arriération, l’indigence de la Corrèze natale. A quelques semaines de l’examen, mon professeur de lettres a rendu visite à mes parents pour les presser de m’inscrire en hypokhâgne, à Limoges. Je n’avais pas dix-sept ans. Je ne croyais pas avoir mon mot à dire et me suis rangé, la mort dans l’âme, au décret des adultes.

    Gay-Lussac fut, l’espace d’une quinzaine, la négation de la vie champêtre, rétrograde, rêveuse que j’aurais menée sous le béret noir et la blouse grise légendaires des maîtres d’école. Je porte la blouse grise, mais c’est celle des internes en classe préparatoire. Et puis je m’avise très vite, au contact de mes petits condisciples, de l’ignorance morne à laquelle le désert vert dont je sors, réduit ses occupants. J’ai franchi, à mon insu, les seuils géographique, démographique, donc social, scolaire qui sépare une métropole de cent mille habitants des chétives sous-préfectures de l’arrière-pays rural, Tulle, Guéret. Après les cours, dont la teneur a changé, plus élaborée, plus exigeante, je parle librement avec de délurés compatriotes, au fond de la grande cour fermée, dans les réduits, sous les combles. Ils vont se charger de m’édifier. C’est là, grâce à eux, que j’ai accédé à l’univers second, merveilleux, de la culture lettrée. Mieux, que j’ai reçu les premiers éléments d’une conscience politique dont rien n’a plus modifié les contours ni l’orientation.

    Le régime auquel nous étions soumis, en 1967, restait celui, spartiate, carcéral, des lycées du Premier Empire. Mais – me croira-t-on?-, dès l’instant où m’est révélée la rayonnante perspective de la connaissance approchée, savante, les grandes salles austères, le triste réfectoire, l’immense dortoir, les sonores et froids corridors changent de signe. Ils deviennent le cadre nécessaire, heureux, bienfaisant où travailler sans relâche ni cesse à dépouiller l’âme ombreuse, anachronique que m’avait faite la vieille Corrèze pour devenir, s’il se peut, le contemporain de mon âge, être au monde, en conscience, vivre au présent.

    Parce que les gens du Ministère de l’Education, rue de Grenelle, à Paris, nous tiennent toujours pour une ethnie grossière, disgraciée, inégale aux vertus et capacités nationales – des « escholiers limozins »-, il n’y a pas de khâgne, à Limoges. C’est un maître d’internat dont le nom me reste, M. Berthelemot, qui nous en parle, un soir de juin, dans la salle d’eau. Le lendemain, à la première heure, je frappe à la porte du bureau du proviseur. On me donne un dossier d’inscription. La rentrée suivante me trouvera à Bordeaux.

    Mais tout ce qui a pu m’arriver, par la suite, se déduit des dix mois passés à Gay-Lussac. Je n’ai plus rien fait que transférer, si loin que mes pas m’aient conduit, les habitudes contractées, une bonne fois pour toutes, entre ses quatre murs. Si quelque chose m’amuse et m’effraie, les deux, c’est de voir le vieux monsieur que je suis devenu obéir aveuglément à l’injonction qu’un adolescent lui adresse, de Limoges, du fond du temps. »

 

(c) L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.

 

05 Mar

Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale (1)

03-B - Occupation - Denis-Dussoubs (pl) 01-2 - blockhaus (photo Lascaux) - Photothèque Paul Colma

Blockhaus pendant l’Occupation, place Denis Dussoubs

(c) P. Colmar et Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

Le 3 septembre 1939, c’est la déclaration de guerre au IIIème Reich. Ceux qui sont mobilisés le sont sans joie – le souvenir de 14-18 hante encore les mémoires. La « drôle de guerre » commence. Progressivement, les réfugiés d’Alsace et de Lorraine arrivent à Limoges, le plan d’évacuation des régions frontalières le prévoyant depuis avant le conflit. A Brachaud, quatre canons de 75 sont installés pour assurer une éventuelle défense anti-aérienne. Rue Jules Noriac, on prévoit la distribution de masques à gaz, qui n’a finalement pas lieu. On attend.

Et puis, le 10 mai 1940, c’est l’attaque allemande, la percée du front, L’étrange Défaite, pour reprendre la célèbre expression de Marc Bloch. Des prisonniers originaires de Limoges sont envoyés en Allemagne, pour travailler dans les usines et les champs. Les réfugiés belges, hollandais, français venus du Nord, de Picardie, affluent. La population de Limoges double, ce qui ne va pas sans créer des problèmes et des tensions : on s’installe comme on peut, où l’on peut : square des Emailleurs, certains vivent dans leurs voitures, ailleurs, on couche sous tente ou à la belle étoile. Le 31 mai, sous un chaleureux soleil, Léon Betoulle, le maire, accueille à l’Hôtel de Ville les ministres et parlementaires belges qui fustigent (dans la salle des mariages) la capitulation du roi Léopold III. Ceux-ci – qui étaient environ 170 – se sont retrouvés là, avec femmes, enfants et divers assistants, après bien des vicissitudes ; on leur a concédé des bureaux à la mairie, des locaux dans un casino désaffecté, le président du Sénat occupe à la Préfecture la chambre réservée au Président de la République. On a pavoisé l’Hôtel de Ville avec les drapeaux français et belges. Le 19 juin, trois avions allemands larguent des bombes sur et autour de la gare : trois personnes sont blessées dans la cité des Coutures ; sur un quai de la gare, un sous-officier est tué, d’autres victimes blessées. Le 22, c’est la signature de l’armistice entre l’Allemagne et la France, selon la volonté de Philippe Pétain. Le 25, une cérémonie est organisée à Limoges : à 11 heures, les autorités déposent une gerbe au monument aux morts de 1914-18 encore situé square de la Poste. Le clairon sonne Aux morts. Une délégation de Belges réfugiés est présente, la foule nombreuse. Le 10 juillet, l’Assemblée Nationale (Chambre des députés et Sénat) attribue les pleins pouvoirs constituants au maréchal Philippe Pétain. La nouvelle constitution devant « garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie. » 649 suffrages sont exprimés, dont 80 contre – parmi eux, les corréziens Jean-Alexis Jaubert (Parti radical), François Labrousse (Gauche démocratique), le Haut-Viennois Léon Roche (S.F.I.O.). Léon Betoulle (S.F.I.O.) vote pour, comme d’autres parlementaires limousins et parmi 90 de la S.F.I.O. Beaucoup accueillent l’appel à Pétain – dont les portraits et affiches ornent bientôt la ville – puis l’armistice du 22 juin comme un soulagement, d’autant plus que Limoges se situe dans la zone non occupée par les Allemands. Mais en mars 1941, Vichy substitue à Betoulle le candidat de droite aux municipales d’avant-guerre : André Faure. En visite dans la ville les 19 et 20 juin 1941, le vieux maréchal reçoit un accueil en apparence triomphal de la population, comme le montrent les films tournés à cette occasion, où l’on voit les Limougeauds massés tout au long du parcours (on avait amené par bus des habitants de toute la Haute-Vienne, et les scolaires n’avaient pas le choix…). La propagande peut alors s’en donner à cœur joie, comme dans Le Courrier du Centre du 18 juin (Le Populaire a cessé de paraître), qui affiche un portrait du Chef de l’Etat accompagné d’un « Vive Pétain », et affirme que « La France a enfin un homme à aimer ». Georges Jubin évoque le « miracle Pétain », R. Maroger précise que la corporation des bouchers remettra les clefs de la ville au maréchal, et appelle la population à venir nombreuse : « Que vos clameurs lui montrent que Limoges et le département aspirent à prendre largement et loyalement leur place dans l’organisation de la France nouvelle. » Le programme est annoncé, comprenant les visites des usines Haviland (porcelaine) et Heyraud (chaussures), les associations de jeunesse et professionnelles se mobilisent, les enfants des écoles répètent leurs chansons de bienvenue. Le voyage semble être une réussite. L’avenue qui mène du Champ de Juillet à la place Denis-Dussoubs porte le nom de Maréchal-Pétain. En octobre 1942, c’est l’amiral François Darland qui visite la ville : une foule nombreuse assiste à la prise d’armes au champ de Juillet, tout comme à son arrivée à l’hôtel de ville – mais les commentaires privés, parfois défavorables, vont bon train. Les premiers convois de prisonniers rapatriés commencent à arriver gare des Bénédictins. En 1942 a également été inaugurée, place Fournier, la statue de Jeanne d’Arc, œuvre du royaliste d’Action Française Maxime Real Del Sarte, Grand Prix national des Beaux-Arts en 1921.

Limoges accueille dès l’été 1940 trois quotidiens parisiens : Le Journal et L’Action Française – sur le départ pour Lyon – et La Croix. Ce dernier est de fait dirigé par Alfred Michelin, qui a noué des liens amicaux avec Georges Ardant, le vicaire général de l’évêque Rastouil. Du 15 juillet 1940 au 20 juin 1944, l’imprimerie Charles Lavauzelle permet la parution du journal. Une cinquantaine d’employés sont venus s’installer dans la ville avec leurs familles. La rédaction est installée 3 place de l’Ancienne-Comédie. Il faut souvent jouer avec la censure, exercée à Limoges par Marcel Pays, ancien journaliste du quotidien Excelsior, et remédier à la pénurie de papier. Le 17 janvier 1941, le Ministère de l’Intérieur  supprime Le Populaire du Centre – qui ne renaîtra que le 7 septembre 1944 – et le 7 février, apparaît L’Appel du Centre, favorable au régime, dirigé par Jean Clavaud.

A suivre …

20 Fév

Limoges et la « Grande guerre » (1914-18)

02-D - Hôpitaux 02-1 - hôpital n° 2 - lycée Gay-Lussac - salle d'opération (02.01.1915) - Phototh

Hôpital militaire au lycée Gay-Lussac, Limoges

(c) Paul Colmar et L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

02 A - 63e RI - départ 01-1 A - drapeau et garde - Champ-de-Juillet (05.08.1914) Photothèque Paul

Départ du 63ème R.I., Champ de Juillet, août 1914

(c) Paul Colmar et L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

A la veille de la Grande Guerre, Limoges compte 93 000 habitants. Le 1er août 1914, dans une chaleur étouffante, ceux qui sont en âge de partir au combat sont mobilisés. La majorité de la population semble acquise à l’idée du conflit, une position confortée par l’Union sacrée. Le maire de Limoges, Léon Betoulle déclare : « Une seule chose importe maintenant : défendre le sol national, sauvegarder la République. Nous verrons ensuite.» Ceux qui partent au combat sont acclamés à la gare. Un passant ayant crié « A bas la guerre » est passé à tabac par la foule. Le Populaire se met à publier la liste des tués et blessés socialistes. Néanmoins, le 31 juillet, Jean Jaurès a été assassiné. Le 6 août, dans Le Populaire du Centre, Paul Faure écrit qu’il faut maudire la guerre, « de toutes nos douleurs et de toutes nos larmes de demain. » Il rédige bientôt des articles hostiles à la guerre sous le pseudonyme de Pax. Sous son influence, la fédération S.F.I.O. de la Haute-Vienne est gagnée par les idées pacifistes, défendues aussi par le député Adrien Pressemane. Le 1er mai 1916, le petit-fils de Karl Marx, Jean Longuet, assure à Paris la direction d’un journal imprimé à Limoges, le Populaire-Revue, où s’exprime cette tendance. Par la suite, certains limougeauds demeurent sensibles à ces idées, lors des grèves de 1917, de la conférence de Stockholm – dont les parlementaires Parvy, Betoulle, Pressemane et Valière rendent compte devant 5 000 personnes – ou encore des manifestations de permissionnaires.

Le XIIème corps d’armée (45 000 hommes), qui comprend notamment les trois départements limousins, est placé sous le commandement du général Roques, en garnison à Limoges. On y trouve le 63ème régiment d’infanterie de Limoges, deux bataillons du 78ème également dans la capitale régionale, le 20ème dragons et le 21ème chasseurs à cheval. Le XIIème corps d’armée est envoyé dans la Marne, non loin de Verdun, pour percer le front allemand, ce qu’il ne peut faire, subissant de lourdes pertes. Les régiments limousins combattent à Verdun, dans la Somme, en Champagne, au Chemin des Dames, en Italie. Ils sont mis à dure épreuve, avec leurs tués, blessés, gazés, disparus – parfois ensevelis par une explosion sans qu’on les retrouve ou que leurs camarades ont juste le temps de sauver, comme le ponticaud Emile Bourdelas. Pour le Limousin, la différence entre les recensements de 1911 et 1921 est de – 108 537 personnes. 40 000 soldats sont morts pour la France. Beaucoup sont aussi devenus des « gueules cassées ». A l’automne 1918, la pandémie de la grippe espagnole frappe aussi la population limousine et donc limougeaude.

A la fin août 1914, Joseph Joffre prend la décision de sanctionner environ 150 officiers ayant été jugés inefficaces. Parmi ceux-ci, quelques-uns sont envoyés à Limoges. Dans ses souvenirs parus en 1937, Adolphe de Messimy, ministre de la guerre en 1914, a revendiqué l’invention du limogeage : « … Le général Michel, pour la deuxième fois « limogé » – le mot n’existait pas encore, puisque c’est moi qui en ait enrichi la langue française… ». Il poursuit : « Il fallait aviser à ne pas laisser se créer, dans la capitale, un centre d’intrigues contre le chef de nos armées. Guillaumat, d’après mes ordres, leur enjoignit de quitter Paris (…) Il me fallait opter : Limoges fut choisi. Cette belle ville du Sud-Ouest a dû à ce choix non seulement un supplément passager de garnison, mais une célébrité qui a survécu à la guerre : le verbe « limoger » est entré définitivement dans le vocabulaire français. » C’était là un moindre mal pour les exilés, puisque Messimy avait proposé la peine capitale à Joffre pour les officiers en question.

La ville s’organise pour accueillir les blessés ; en Haute-Vienne, on compte 65 hôpitaux à la fin de la guerre. On réquisitionne divers bâtiments, casernes (3 000 à 4 000 lits), établissements d’enseignement et même le musée de l’Evêché. L’usine de porcelaine Haviland du Mas-Loubier, des maisons religieuses, se transforment en centres de soins. On opère au lycée Gay-Lussac. Aux côtés des médecins, chirurgiens, étudiants, des infirmières religieuses ou de la Croix Rouge se dévouent pour soigner et réconforter.

Limoges a vu partir ses enfants vers le front. Elle voit parfois arriver des convois de prisonniers allemands, comme celui photographié par Jean Jové (photographe catalan installé dans la ville) en 1914 : il pleut, les hommes en uniformes passent au milieu des limougeauds massés là pour les observer, sous de sombres parapluies. De même voit-elle passer les troupes coloniales en route vers le front, comme ces Indiens voyageant en train de Marseille à Saint-Omer, à qui la population offre en gare des boissons et de la nourriture. Certains blessés des hôpitaux appartiennent d’ailleurs aussi bien aux troupes françaises, des colonies (Afrique Noire et Maghreb, Indochine), ou allemandes. Des habitants de la ville découvrent ainsi d’autres couleurs de peau, physionomies et cultures. En particulier, peut-être, les Américains qui s’y installent de la fin de 1917 à mai 1919, après l’entrée en guerre des Etats-Unis. Si l’Etat-Major s’installe près d’Aixe-sur-Vienne, le nouveau séminaire en construction rue Eugène-Varlin accueille une partie du service de santé américain, ce qui permet l’achèvement rapide de sa toiture ; les Haviland étant d’origine américaine, ils mettent à disposition un espace qui compte 510 lits dans leur usine ; dans le quartier Montjovis, un camp de baraques dépend du 28ème hôpital principal des services de santé américain ; un centre de loisirs s’installe au cinéma-théâtre de la rue Croix-Mandonnaud ; des locaux sont mis par la Ville à disposition pour la Coopérative militaire américaine. D’ailleurs, les Editions Ducourtieux impriment un guide en anglais, avec un drapeau américain sur la couverture, où fleurissent les publicités pour séduire les Sammies. Des histoires d’amour ou d’amitié voient le jour. Le 4 juillet 1918, on organise des jeux et un concert. Lorsque la population limougeaude fête l’armistice, elle défile à travers la ville et passe devant les hôpitaux américains pour faire part aux blessés qui les regardent aux fenêtres de leur reconnaissance.

La guerre affecte l’industrie de la porcelaine qui tourne au ralenti, la clientèle française et étrangère se faisant plus rare, les transports étant désorganisés. Dès 1914, l’entreprise du très patriote Alfred Lanternier – bientôt imitée par d’autres fabriques – se met à produire des têtes de poupées au regard bleu alors qu’avant le conflit, elles étaient toutes allemandes. Les moules sont adaptés à la main-d’œuvre féminine, qui a pris de l’importance après le départ des hommes. La fabrication dura surtout jusqu’au milieu des années 30, parfois 70. Les usines de porcelaine fabriquent aussi des objets patriotiques : ainsi Haviland réalise-t-elle des assiettes où l’on voit un poilu ou un blessé. Lanternier produit une statuette de Clémenceau. La manufacture Jules Teissonnière réalise des couronnes mortuaires en porcelaine. L’industrie, comme partout dans le pays, s’oriente vers la production de guerre : métallurgie avec la confection d’obus, draps pour les uniformes, chaussure avec les commandes de brodequins pour l’armée – ce qui va permettre l’accumulation de capitaux profitables par la suite, la chaussure connaissant son apogée à Limoges dans les années 20.

Suite à l’armistice du 11 novembre 1918, la liesse gagne progressivement la population limougeaude, même si beaucoup déplorent la perte ou les blessures d’un proche. Le 17, Cecilio Charreire, l’organiste de Saint-Pierre-du-Queyroix, interprète La Marseillaise sur les grands jeux de l’orgue, après la messe. Le 14 juillet 1919 revêt une solennité particulière. Par la suite, des cérémonies sont organisées pour accueillir le retour des troupes. Ainsi le 17 août 1919, défilent-elles en passant sous un arc de triomphe de verdure. Des jeunes filles en barbichet leur jettent des fleurs. Ils passent ensuite au Champ de foire puis poursuivent jusqu’à l’hôtel de ville où les attendent les gueules cassées, les veuves et les orphelins. Le mois suivant, la foule se presse à nouveau pour saluer le retour du 63ème régiment d’infanterie.

En 1925, le conseil municipal décide d’apporter son soutien à un comité constitué afin “d’ériger un monument qui serait non pas une commémoration des souffrances de la guerre, mais un monument à la gloire de la paix”. Ainsi est-il inscrit : « Aux enfants de Limoges morts pour la France et la paix du monde ». La liste des victimes n’apparaît pas. Une femme figure la Paix tandis qu’un dragon terrassé représente la Guerre ; la femme à genoux personnifie la Douleur. De chaque côté, un ouvrier de la porcelaine et un de la chaussure, représentés au travail, rappellent les principales activités de la ville. En 1931, le monument qui a coûté 188 000 francs est inauguré square de la Poste, où il est bien mis en valeur, avant d’être transféré en 1963 place Jourdan. L’architecte en est Henri Vergnolle, le sculpteur André Augustin Sallé. Au lycée Gay-Lussac, face à l’entrée principale, un monument aux morts de diverses guerres rend hommage aux personnels et élèves disparus. Ceux de la guerre de 14-18 sont environ 220. Un bas-relief est réalisé en 1921 : la victoire ailée couronne les orphelins et les veuves, ainsi que le poilu couché. Deux plaques avec les noms l’entourent. Chaque mois de novembre – toujours aujourd’hui – le lycée (représenté par des élèves de classes préparatoires) et l’association des anciens élèves, rendent hommage aux morts lors d’une cérémonie avec dépôt de gerbes.

05 Fév

1870: la guerre oubliée

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Le 18 juillet 1870 éclate la guerre franco-prussienne, dite « guerre de 1870 », qui oppose le Second Empire français au royaume de Prusse et ses alliés. Le conflit, qui dure du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871, et dont les origines sont multiples, marque le point culminant de la tension entre les deux puissances, résultant de la volonté prussienne d’unifier l’Allemagne. Il se termine par une défaite française qui entraîna la chute du Second Empire français et de Napoléon III ainsi que la perte du territoire français de l’« Alsace-Moselle » (appelée parfois Alsace-Lorraine).

Le Limousin et Limoges prennent part à la guerre : un bataillon entier de la garde mobile est constitué dans la ville sous la direction du capitaine Duval. Les engagements volontaires se multiplient, comme celui de M. Etienne, alors âgé de 67 ans ou de Louis Dutour, qui avait 17 ans. Le 23 septembre, les soldats du 71ème Mobiles partent au combat avec seulement 102 cartouches par homme pour tout le conflit, les autres accessoires de la vie des camps lui arrivant peu à peu, tout au long de la campagne. Lorsque le 10ème régiment de Dragons quitte Limoges par le train au petit matin, des habitants nombreux viennent l’encourager. On chante La Marseillaise, on crie : « Vive l’armée ! Vive Limoges ! Vive la France ! Au revoir ! ».

Dans un livre publié en 1897 pour rendre hommage aux soldats, le comte de Couronnel, ancien capitaine, a raconté en détail la tragique épopée. Il indique par exemple qu’aucune carte du département dans lequel le 71ème Mobiles devait opérer n’avait été mis à la disposition des combattants. Il précise que tout manque : les vivres, les ustensiles, les couvertures, les sacs à dos, les chaussures aux bonnes pointures, l’expérience des soldats qui font « partir leurs armes en voulant les charger. » Celles-ci sont d’ailleurs de piètre qualité, d’anciens modèles. Voulant se procurer du bois pour réchauffer la troupe, un homme fait une chute mortelle en tombant d’un arbre. Les bataillons stationnent sans abri plusieurs heures sous la pluie et dans la boue. Ils se couchent parfois sans rien manger. Les ordres reçus par les capitaines sont imprécis. Le 2 décembre, dans un froid glacial, après une nuit passée à faire brûler tout le bois disponible et à marcher pour se donner un peu de chaleur, le 71ème Mobiles est engagé dans la bataille de Loigny (il a été complété par un petit contingent arrivé la veille de Limoges). Pour parvenir au contact de l’ennemi, il faut progresser en ligne de bataille, à travers les champs et les chemins bordés de fossés ; certains s’égarent. Malgré l’enthousiasme initial des Limousins, l’artillerie adverse fait bientôt de gros dégâts, les canons français étant démontés, la plupart des chevaux sont tués ou blessés. « L’impression d’un combat d’artillerie est toujours profonde sur de jeunes troupes, autant à cause du vacarme que des blessures horribles qui en sont la conséquence », remarque le comte de Couronnel. « Nous restions sous une pluie d’obus telle que nos vieux troupiers disaient n’en avoir jamais vu de pareille. » Le lendemain, ce qui reste du bataillon se replie en direction d’Orléans, où des ordres contradictoires sont donnés ; malgré des combats sporadiques, l’armée est en pleine retraite. « La route qu’il nous fallut prendre (…) était encombrée de caissons et de cavaliers de toutes armes (…) Nous étions tous exténués. » Le bataillon est accroché par l’ennemi qui lui envoie une volée d’obus – des victimes tombent à nouveau. La neige vient, les hommes vont nu-pieds en raison de la mauvaise qualité de leurs chaussures, leurs vêtements en lambeaux, ils sont blessés, fatigués. Ils ont faim. Pourtant, il faut repartir vers Chambord d’où les soldats sont chassés par les Prussiens, puis se réfugier à la gare de Salbris, où passent sans interruption des voitures, des fuyards et des blessés. Le 11 décembre, un millier d’hommes environ restant du 71ème Mobiles est dirigé vers Limoges, le voyage en train durant deux jours et deux nuits. Le séjour au chef-lieu du département dure près de trois semaines pendant lesquelles arrivent les blessés transportables ainsi que des soldats ayant pris des chemins différents. Les nouveaux mobilisés sont quant à eux cantonnés au Champ de foire dans un froid toujours exceptionnel qui cause la mort de certains d’entre eux. Le 71ème Mobiles est installé dans une brasserie du faubourg Saint-Martial, puis dans la caserne des Vétérans et au manège de la cavalerie. Le 31 décembre, il est renvoyé vers le Mans où certains contractent la petite vérole. Il faut à nouveau progresser dans la neige, alterner marches et retraites, se contenter pour manger de graisse étalée sur des tranches de pain, jusqu’au 29 janvier où les hommes apprennent l’armistice à Laval avant de regagner enfin leurs foyers. Une ambulance avait suivi les combattants, sous la direction de M. Raymondand, alimentée en dons divers, concentrés à la préfecture, sous la présidence de Mme Vandenmarcq. L’ambulance fut prisonnière des Prussiens, ses fourgons pillés. Certains soldats furent prisonniers des Allemands, parmi eux quelques-uns parvenant à s’échapper, comme le commandant Champcommunal, blessé à la poitrine, qui revêtit un costume de prêtre pour l’occasion.

Camille Leymarie a souligné combien les Limougeauds avaient été solidaires des soldats, les soignant, leur envoyant même des bonnets tricotés ou des chaussettes : « Je pourrais citer les noms de quelques femmes mortes de la variole contactée en donnant des secours à de malheureux soldats frappés par la terrible maladie. » Des centres de soins furent installés à Limoges, en particulier par la Loge maçonnique des Artistes Réunis : 44 lits rue Gaignolle, sous la direction du docteur Mandon, une infirmerie à la gare pour les premiers soins. Diverses souscriptions furent ouvertes durant la guerre au profit des soldats mobilisés, des prisonniers et de l’ambulance, une loterie dotée par les industriels et commerçants de la ville pour offrir des mitrailleuses, des dons furent faits pour acheter une épée d’honneur au maréchal de Mac-Mahon. Au total, ce sont environ 40 000 souscripteurs qui se manifestèrent à ces diverses occasions – les dons en nature étant très nombreux.

Parmi les morts du Limousin, on compte 79 Limougeauds. En 1892, un comité se constitue pour honorer les deux bataillons du 71ème Mobiles de la Haute-Vienne morts pour la défense de la patrie. Au mois d’avril, une souscription (laborieuse) est ouverte sous le patronage des autorités publiques, relayée par les instituteurs. En août 1899, c’est la mise en place des sculptures en bronze d’Adolphe Thabard, à l’angle de la place Jourdan et de l’avenue de la Gare, et le 1er octobre, l’inauguration en présence des ministres socialistes Alexandre Millerrand, ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et télégraphes et de Baudin, ministre des Travaux publics, invités par le maire radical-socialiste Emile Labussière, ce qui ne plut pas aux conservateurs. Une figure féminine rappelant Marianne personnifie la Haute-Vienne, avec ses sabots et sa coiffe (barbichet), entraînant les soldats au combat dans un mouvement très dynamique. A ses pieds, le blason de Limoges. On peut lire sur le piédestal : « A la mémoire des enfants de la Haute-Vienne morts pour la défense de la patrie en 1870-1871 ». Au lycée Gay-Lussac, une plaque de marbre noire où sont gravés en lettres d’or les noms des anciens élèves morts pour la France, encastrée dans un monument mettant en parallèle les études au lycée et la mort violente sur le champ de bataille, est réalisée par Gardien et Champrenet, d’après des dessins d’Alfred Charles, directeur de l’Ecole municipale de Limoges. L’ancien aumônier du lycée, l’abbé Rousier, qui connaissait les disparus, célèbre la messe d’inauguration dans la chapelle décorée pour la circonstance, en présence des anciens et actuels élèves et des familles des disparus.

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