Edouard Lecomte-Chaulet et sa femme, Rose Vinoy, Françoise Vinoy
(c) L. Bourdelas
Dès 1940, la Résistance s’est progressivement mise en place et organisée en Limousin et à Limoges ; on pourrait dire qu’elle avait commencé lorsque Léon Roche, député de la Haute-Vienne (Rochechouart), ne vota pas les pleins pouvoirs à Pétain. Dès le mois d’août, Alphonse Denis, membre du Parti Communiste, réunit les premiers volontaires au café de Bordeaux, boulevard Gambetta. Parmi eux, Charles Bach, franc-maçon, socialiste, fondateur d’une manufacture de confection. C’est dans une buvette de l’actuelle rue Emile de Girardin que Georges Guingouin aurait décidé de franchir le pas, avant de revenir à Saint-Gilles-des-Forêts pour constituer son réseau de maquisards. Des jeunes se regroupent aussi dans le quartier de la gare autour d’Henri Lagrange, dirigeant du P.C. clandestin à Limoges – celui-ci fut arrêté en janvier 1941 puis mourut en février 1943. Les cheminots résistants s’organisent. On commence à distribuer des tracts à travers la ville, on lacère les affiches de Vichy, on écoute Radio Londres – ainsi, rue du Pont Saint-Martial, « Chez Janicot », un bar tout droit sorti du XIXème siècle, avec sa devanture lie-de-vin à carreaux, son zinc, son plancher, ses tables et ses chaises. Dans l’arrière salle, un poste de radio. Mon père Jean-Marie, âgé d’une dizaine d’années, s’asseyait là en début de soirée, pour écouter Radio Londres avec les autres ; ce qui lui plaisait, c’était les messages codés énumérés par Franck Bauer. En 1941, le réseau Libération se met en place avec notamment Armand Dutreix, entrepreneur électricien à Limoges (fusillé en 1943 au mont Valérien), François Perrin, professeur d’anglais (fusillé en 1943 au mont Valérien), Valentin Lemoine, marchand de vins à Limoges (mort en déportation) et son fils Georges (tué à Saint-Sylvestre en 1944), Jean Gagnant, comptable (mort à Dachau), Gabrielle Sarre, Georges Dumas, socialiste, directeur des contributions à Limoges (fusillé en 1944), Henri Lafarge, fabricant de porcelaine, qui subtilise des armes. L’année suivante, les Groupes Francs du mouvement se constituent. Elève au lycée Gay-Lussac, Roland Dumas, fils de Georges, entre également en résistance. 1942 est l’année de la structuration. Combat est surtout constitué de chrétiens, parmi lesquels Martial Pradet, chef du service de renseignement des MUR (fusillé en 1944), Léon Rouberol, propriétaire d’une mercerie en gros rue d’Isly, chargé en particulier des faux papiers. Une des actions du groupe est la diffusion du journal Combat, dirigé par André Bollier – au début de 1944, un million et demi d’exemplaires et des tracts clandestins sont diffusés dans l’ancienne zone non occupée. Dans la cité des Coutures, en contrebas de la gare, c’est le Front National (proche du P.C.) qui se développe, avec Francis Demay, Marie-Louise Lagrange ou Maria Roche. Le mouvement Franc-Tireur s’organise sous la direction D’Edgar-Eugène Lecomte-Chaulet, marchand de tissus place des Bancs, avec l’aide de son fils Robert-Jean. Parmi les membres du réseau, Arsène Bonneaud, professeur à l’Ecole de médecine de Limoges révoqué par Vichy (mort en déportation à Buchenwald), secondé par Maurice Rougerie, instituteur – père de René, lui-même résistant et futur célèbre éditeur de poésie. Pierre Lavaurs, entrepreneur, gère la réception du journal Franc-Tireur (2 000 exemplaires distribués en 1943). En octobre 1942, le Front National organise une manifestation contre le S.T.O. qui regroupe des milliers de manifestants, prévenus par les tracts imprimés par Etienne Rivet et ses amis. Au lycée Gay-Lussac, des élèves créent le réseau du 17ème barreau, qui regroupe une quarantaine de membres rédigeant et distribuant des tracts. Plusieurs sont déportés en 1943. Michel Kiener et Pascal Plas leur ont consacré un ouvrage en 2008. De 1938 à 1944, Joseph Storck, le proviseur, sauve de nombreux pensionnaires juifs en leur donnant de fausses identités fabriquées dans son imprimerie clandestine. Il les cache lors des perquisitions de la Gestapo et de la Milice ; il place les jeunes en danger dans des familles d’accueil. De son côté, l’abbé Robert Bengel, prêtre à Solignac, cache dans la campagne des enfants qui lui sont confiés par le Dr Lévy, médecin d’enfants à l’O.S.E de Limoges. Le 11 novembre, les Allemands franchissent la ligne de démarcation et la répression s’intensifie. En 1943, Combat, Libération et Franc-Tireur fusionnent au sein des M.U.R. La lutte s’organise, à Limoges et dans la région, avec notamment les maquisards de Georges Guingouin. Parmi les résistants : Thérèse Menot, qui travaille et agit à l’usine Gnome et Rhône ; dénoncée, elle est arrêtée en janvier 1944 et déportée à Ravensbrück ; Suzanne Rodi-Boyer et Lucien Berdasé, fonctionnaires à la mairie, qui fournirent fausses cartes d’identité, divers papiers officiels ou des cartes d’alimentation (Berdasé entre ensuite en clandestinité et passe à l’action militaire). Le 1er septembre 1943, c’est la parution du journal clandestin Valmy !, imprimé rue de la Mauvendière sous la direction d’Alphonse Denis, avec l’équipe d’Etienne Rivet. La Résistance-Fer se développe sous la direction de René Deville et effectue des sabotages de plus en plus nombreux. Les F.T.P. de Jean Sautour font sauter les pylônes électriques de l’usine Gnome et Rhône, route du Palais, spécialisée dans la construction de moteurs d’avion (à l’intérieur oeuvraient déjà des saboteurs). En 1944, les maquis sont présents, organisés et entraînés, actifs, partout en Haute-Vienne ou presque. Maurice Rousselier a pris le commandement des Forces Françaises de l’Intérieur de la Région 5, dont le Délégué Militaire Régional est Eugène Déchelette. Georges Guingouin est le commandant pour la Haute-Vienne. A Limoges même, la résistance agit, relayée par diverses personnes en de multiples lieux, privés, commerciaux (Marcel Vinoy imprimant par exemple de faux-papiers dans la cave de son magasin de vin place des Bancs) et administratifs. Parmi les résistants (dont plusieurs nommés ci-dessus), on compte de nombreux francs-maçons (dès l’automne 1940, le Temple de la rue des Coopérateurs avait été placé sous séquestre ; les travaux des Artistes réunis ne reprendront qu’en janvier 1945). Le poète Georges-Emmanuel Clancier participe à la résistance littéraire en contribuant à la revue Fontaines. Le futur maire de Limoges, Louis Longequeue, âgé de 30 ans, pharmacien aux Coutures, membre du parti socialiste clandestin, et de nombreux personnels infirmiers et médicaux ont rejoint la Résistance. Les actions des maquis qui entourent la ville sont de plus en plus nombreuses et efficaces. La population accomplit aussi des actes de résistance en apparence anodins, mais qui révèle son état d’esprit : ainsi n’est-il pas rare que les spectateurs du « Ciné-Union » sifflent les actualités filmées qui servent la propagande allemande et vichyste.