25 Oct

Limoges et le Limousin, terre d’auteurs dramatiques (1)

Description de cette image, également commentée ci-après

Tristan L’Hermite en 1648, portrait gravé par Pierre Daret pour l’édition originale des Vers héroïques

Le Limousin est une terre d’écrivains et de poètes depuis toujours – j’ai contribué à le montrer dans d’autres ouvrages. C’est aussi un pays d’auteurs dramatiques nombreux, d’importance variable, parmi lesquels des figures notables. J’ai essayé ici de rassembler nombre d’entre elles. En 1999, Richard Madjarev, conseiller pour le théâtre à la D.R.A.C. du Limousin, observait avec raison : « plus que le nombre de compagnies existantes dans une région aussi peu peuplée, la singularité de cette région, sa richesse, son dynamisme viennent du fait que les principales compagnies ont à leur tête des auteurs-metteurs en scène. » Il parlait pour son époque, mais c’est une remarque pertinente que l’on peut étendre à d’autres. Ce que je propose ici n’est pas une analyse critique, plutôt une recension la plus complète possible, pour donner envie de partir à la découverte de ces auteurs et – qui sait ? – de les mettre en scène ?

François dit Tristan l’Hermite (1601-1655), né au château de Soliers en Marche, gentilhomme du Duc d’Orléans, académicien (1649), poète, auteur d’ouvrages en prose, fut réputé pour ses pièces ; on le considère comme le précurseur de Racine. Sa vie débuta tragiquement puisqu’il se battit en duel à l’âge de treize ans avec un garde du corps qu’il blessa mortellement et fut contraint à l’exil en Angleterre. Il rejoignit par la suite la cour du roi et demeura attaché à Monsieur – Gaston d’Orléans –, frère du souverain pendant une vingtaine d’années. Sa Marianne (1636), soutenue par Scarron et le comédien Mondory, jouée au Marais, connut un succès comparable à celui du Cid. Ses contemporains le considéraient d’ailleurs comme un rival de Corneille. C’est le rôle d’Epicharis dans sa Mort de Sénèque qui valut à Madeleine Béjart sa réputation de très grande comédienne. Selon Nicole Billot, « Le théâtre lui permet d’exprimer son respect des règles classiques naissantes, et les représentations des sentiments obéissent aux préceptes aristotéliciens. La lutte entre la passion et une forme de stoïcisme se retrouve dans les adieux du philosophe Sénèque à son épouse Pauline »[1].

Le frère cadet de Tristan, Jean-Baptiste (1610-1688) épousa une comédienne, cousine de Madeleine Béjart. Il écrivit une tragédie, La Chute de Phaëton et fréquenta les acteurs du Marais. Il joua aux côtés de Molière lors des tournées de l’Illustre Théâtre, mais finit par délaisser l’écriture et le théâtre pour devenir généalogiste.

Signalons que la revue des Amis de Tristan L’Hermite fondée en 1979, les Cahiers Tristan L’Hermite a pour vocation d’éclairer l’œuvre de cet auteur et plus largement la culture du premier XVIIème siècle.

[1] Creuse, Christine Bonneton, 2007, p. 202.

Description de l'image François Hédelin.jpg.

François Hédelin

François Hédelin, plus connu sous le nom d’abbé d’Aubignac, petit-fils d’Ambroise Paré né à Paris en 1604, fut un Limousin d’adoption, puisqu’il fut un temps pourvu de l’abbaye de Meymac. Il écrivit quelques romans et tragédies (La Pucelle d’Orléans, Zénobie, Sainte Catherine, Erixène, Palène, Térence justifié), mais il est surtout connu pour avoir élaboré la règle des trois unités (unité de temps, unité de lieu, unité d’action) pour le théâtre classique. Il attaqua par ailleurs les tragédies de Pierre Corneille, et se querella avec l’historien et grammairien Ménage. De part et d’autre, on publia des épigrammes et des brochures, comme c’était la mode à l’époque.

L’Ancien Régime vit aussi fleurir quelques auteurs de langue limousine : Mathieu Morel, médecin à Limoges, composa de nombreuses pièces et mourut en 1704 ; à Tulle, vers 1780, l’abbé Sage écrit Las Ursulinas, dialogue où il rapporte les commérages du couvent !

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Versailles MV 2985.jpg

En 1706 (ou 1709 ?) est jouée par une compagnie amateur à Limoges la comédie en un acte et en vers Le père prudent et équitable ou Crispin l’heureux fourbe, sans mention de son auteur. Elle est imprimée à Limoges de manière anonyme (M***) puis à Paris en 1712 avec le nom du dramaturge : Marivaux – dont le père Nicolas Carlet, appartenant à la noblesse de robe, s’était installé en Limousin. Le jeune homme, d’abord élève chez les Oratoriens, latiniste émérite, fréquentait les salons littéraires de la bonne ville où il affirmait que Molière était dépassé. Il releva même un défi[1] : écrire une pièce en une semaine, qu’il ne renia jamais. Résumons la pièce : Crispin, valet de Cléandre, essaie d’éconduire divers prétendants à la main de la jeune Philine pour la conserver à Cléandre qu’elle aime. Ceux-ci sont au nombre de trois : Ariste, un propriétaire campagnard, un chevalier riche de son épée, et un financier. À l’un, Crispin présente, comme étant la demoiselle à marier, Toinette, sa femme de chambre, qui le scandalise par la hardiesse de ses propos. Puis il se présente lui-même à la jeune fille comme étant le propriétaire campagnard ; il la trouve trop parée et l’avertit que lorsqu’elle sera sa femme, il lui faudra prendre des sabots et des habits de ménage. Au financier, Crispin confie, sous le sceau du secret, que le père et la fille sont épileptiques. Il se déguise ensuite en femme et prétend être la femme légitime du chevalier, qui n’a pas le droit, dès lors, d’aspirer à la main de la jeune fille. Mais il est surpris et forcé d’avouer ses fourberies. Il n’en triomphe pas moins, car l’amoureux a gagné un procès qui le rend plus riche que ses rivaux, et Démocrite, le père prudent et équitable, n’hésite plus à lui donner sa fille. Pierre de Marivaux, âgé de dix-huit ans, dédie son œuvre à M. Rogier, seigneur du Buisson, conseiller du roi, lieutenant général civil et de police en la sénéchaussée et siège présidial de Limoges ; anonyme, il écrit : « le hasard m’ayant fait tomber entre les mains cette pièce comique, je prends la liberté de vous la présenter, dans l’espérance qu’elle pourra, pour quelques moments, vous délasser des grands soins qui vous occupent et qui font l’avantage du public (…) ».

 

[1] Selon l’imprimeur limougeaud de la pièce.