13 Nov

Limoges été 1929

 

C’était il y a plus de 90 ans, avant le krach de Wall street qui allait survenir en octobre, et plonger le monde dans une crise économique et politique qui l’entraînerait vers la tragédie. La guerre de 14 s’était achevée une dizaine d’années auparavant et certains rêvaient d’une paix perpétuelle… Le radical Gaston Doumergue présidait aux destinées du pays, Raymond Poincaré laissait sa place à Aristide Briand à la présidence du Conseil. Limoges comptait alors environ 98 000 habitants, et ses usines tournaient encore à plein régime, les conditions de travail et de vie des ouvriers s’étaient améliorées et la nouvelle gare des Bénédictins – avec son quartier rénové – allait devenir un magnifique emblème.

Les fabricants se préparaient à organiser au Pavillon de Marsan, à Paris, une exposition rétrospective dans le cadre du cent-cinquantenaire de la porcelaine de Limoges, et dotaient de 30 000 francs de prime un concours ouvert à tous les artistes pour récompenser l’innovation dans la recherche des formes et des décors de services de table, à thé et à café. A Paris également, le flûtiste Jacques Honorat, 1er Prix du Conservatoire, remportait à l’unanimité celui de l’Ecole Nationale Supérieure de Musique. Le normalien Robert Meynieux, fils de l’industriel, était reçu 1er à l’agrégation de mathématiques. Et tandis que les escrimeurs de Limoges se classaient deuxièmes au tournoi international de Montluçon, la chorale Les Enfants de Limoges, composée de 55 exécutants et dirigée par M. Coiffe, brillait de tous ses feux à l’occasion d’un festival à Biarritz – ses solistes Dubois, Barriant et Gilles étant particulièrement remarqués. André Demartial, président de la Société Archéologique et Historique amènait les membres de l’association faire une excursion sur la rive gauche de la Vienne, entre Aixe et Rochechouart… A Saint-Priest-sous-Aixe, ils découvraient des vestiges archéologiques réunis par Aubert Berger dans un jardin embaumé par le parfum des roses et des clématites…

Dans la capitale limousine, les amateurs d’art pouvaient visiter la Galerie Dalpayrat, place de la République[1], où Mlle Soubourou et ses élèves proposaient émaux et céramiques et Mathilde Villoutreix ses beaux dessins et aquarelles, inspirés par Limoges, Cannes, Toulouse, Luchon, Avignon, Perpignan et Marseille. Le 1er août, c’étaient les obsèques du professeur de celle-ci, Auguste Aridas, ancien élève de Gérôme, artiste peintre et professeur à l’Ecole des Arts Décoratifs pendant plus de quarante ans, dont on peut admirer les tableaux au Musée des Beaux-Arts de Limoges.

Léon Betoulle, le maire et sénateur SFIO, posait, souriant et bon enfant, au milieu des rameurs « ponticauds » à casquette d’amiraux et des jeunes filles coiffées de leur somptueux barbichet. C’était les beaux jours du « socialisme municipal ». Au mois d’août, on avait bien besoin de la Vienne pour se rafraîchir ! Mon grand-père Eugène, qui habitait au 58 de la rue du Pont-Saint-Martial, n’avait qu’à descendre la rue pour aller faire trempette, comme le ferait son fils Jean-Marie quelques années plus tard avec ses copains. Un collaborateur du journal La Vie limousine écrivait : « Pavés secs, murailles sèches, rues poudreuses, pompes interdites, tramways acides, canalisations d’eau tarie ». Après un hiver très rigoureux sur tout le pays, la sécheresse et la canicule s’installaient! Alors c’était l’occasion de boire une bière Mapataud et, si l’on en avait le loisir, de s’attabler au Café Riche rue Saint-Martial, à L’Univers place Carnot ou dans tous les autres bistrots qui faisaient aussi que la ville était vivante, tout en rêvant de congés payés qui ne tarderaient plus.

[1] Ces miroitiers limougeauds vendaient des cadres puis transformèrent leur magasin en galerie d’art. En 1913, ils y organisèrent une grande exposition cubiste.