10 Mar

La statue du sculpteur limougeaud Henri Couteillhas a quitté la ville de Limoges qu’elle orna durant des décennies pour celle de Saint-Junien!

Le sculpteur limougeaud Henri Coutheillas (né à Limoges en 1862 – décédé en 1927) revient dans l’actualité limousine à l’occasion du déplacement de son groupe Le Chêne et le Roseau des entrepôts de la ville de Limoges à la ville de Saint-Junien il y a un an. En 1900, l’Exposition universelle consacra le talent du sculpteur formé à Limoges et Paris (élève de Ch. Gauthier, Aimé Millet, Cavelier, Barrias. Expose à partir de 1890. Médaille de troisième classe en 1892, de deuxième classe en 1894, de première classe en 1900) pour son marbre remarquable Le Chêne et le Roseau. Sa République est dans les salons de la Préfecture de Limoges, depuis le 03/07/1905. Il réalisa aussi des médaillons commémoratifs de particuliers dans plusieurs cimetières limousins, ou celui qu’il propose à la ville de Saint-Junien en 1904 en hommage au peintre Corot qui séjourna régulièrement au bord de la Glane. Il est considéré dès les années 1900 comme le « vrai maître » de la sculpture limousine. À l’issue du premier conflit mondial il est retenu en Limousin pour de nombreux monuments aux morts dont il réalise les figures féminines tant à Guéret en Creuse, avec Paysanne, qu’à Bellac, Châlus ou Saint-Léonard-de-Noblat en Haute-Vienne. Il est l’auteur de différentes sculptures visibles en France et en Limousin, parmi lesquelles celle réalisée – par souscription des Limougeauds – pour rendre hommage à l’ancien maire François Chénieux, longtemps devant l’hôtel de ville de Limoges, aujourd’hui invisible par les habitants car, semble-t-il, en partie « perdue » et en partie à la clinique Chénieux. C’est dire si c’est un Limougeaud dont il conviendrait que la Ville (d’art et d’histoire) le mette en valeur, ainsi que ses œuvres. On imagine même qu’une exposition pourrait lui être consacrée au Musée des Beaux-Arts. Après tout, on vient d’y honorer, avec juste raison, Gustave Guillaumet, pourquoi pas un important sculpteur local ?

Preuves de l’attachement des Limougeauds à la statue: les nombreuses cartes postales la représentant. Ici au Jardin d’Orsay.

Le monument à François Chénieux (c) P. Colmar

Le baiser à la source, acquis par l’Etat au Salon de 1908 pour 10 000 F., pour le palais de l’Elysée, aujourd’hui à Bagnères-de-Luchon, parc du Casino

Parmi les monuments aux morts réalisés par Coutheillas, celui de Guéret (1923)

Monument au docteur Lagrange, devant la mairie de Pierre- Buffière, place de la Libération (toujours actuellement), 1910

La ville d’Issy-les-Moulineaux est propriétaire de la statue Repos du soir d’Henri Coutheillas (c) site Historim http://www.historim.fr/2011/02/le-repos-du-soir.html

Buste de Monsieur H. Lemasson.
Epreuve en bronze à patine brune signée, dédicacée  » à Monsieur H. Lemasson, en cordial souvenir. H. Coutheillas 1901 « . Fondeur Mariot. Sur socle de marbre.
H. totale : 67 cm. (en vente le 10 mars 2019 sur le site Interenchères)

 

La statue Le Chêne et le Roseau – l’une des préférées des habitants de Limoges – a longtemps orné le Jardin d’Orsay, puis celui de l’Evêché, avant de disparaître aux yeux des Limougeauds. Le site d’Orsay la situe même toujours dans un entrepôt de la ville, alors que ce n’est plus le cas depuis plusieurs mois. Faire l’histoire de ce groupe sculpté et de sa propriété n’est d’ailleurs pas si évident, car les documents se contredisent (ou se complètent ?) parfois. La propriété de la statue semble être originellement celle de la Ville de Limoges. Si l’on en croit la mention de l’Exposition universelle « acquis par la ville de Limoges ». Cependant, sur le site du CNAP, il est indiqué : « Achat à l’artiste en 1898. Inv. : FNAC 1579, Centre national des arts plastiques ».

Qu’est-ce que ce CNAP ? « Le Centre national des arts plastiques (Cnap) est un établissement public du ministère de la Culture. Il s’attache à soutenir et à promouvoir la création artistique contemporaine dans sa plus grande diversité, tant du point de vue des disciplines – peinture, sculpture, design, photographie, vidéo, design graphique, etc. – que des parcours professionnels. Il apporte son expertise et son soutien à l’émergence de nouvelles formes en accompagnant les artistes et les professionnels de l’art contemporain. Le décret no 2015-463 du 23 avril 2015 a fait évoluer ses statuts et a clarifié ses missions. Le Cnap intervient dans l’économie artistique en tant que collectionneur public et par des actions de soutien à la création. Il enrichit, pour le compte de l’État, une collection nationale dénommée Fonds national d’art contemporain. Prospective et unique par son ampleur, cette collection compte aujourd’hui plus de 102 500 oeuvres, acquises depuis plus de deux siècles, et forme l’une des plus importantes collections publiques d’Europe. C’est une « collection sans murs », le Cnap ne disposant pas de lieu d’accueil du public ou de présentation des œuvres. À travers les acquisitions, le Cnap soutient la création vivante, est en repérage permanent, attentif aux pratiques les plus actuelles. Par ailleurs, le développement de projets de recherche sur la collection se traduit par une implication dans plusieurs programmes de recherche et la mise en place d’appels à candidatures pour des bourses de recherche curatoriale. Une des vocations de l’établissement est de diffuser la collection dont il a la charge par une politique active de prêt, pour des expositions temporaires, et de dépôt auprès des institutions culturelles françaises et internationales – en premier lieu les musées –, auprès des administrations (ambassades, ministères, etc.), ainsi que par des manifestations en partenariat. Ces partenariats lui permettent de faire connaître les œuvres et les artistes, d’offrir des regards singuliers et des clés de compréhension de la scène artistique (…) ». Le site du CNAP précise que le dépôt est la mise à disposition d’une œuvre du Fonds national d’art contemporain, géré par le Cnap, destinée à être présentée au public, qu’elle soit installée dans une administration ou une institution muséale pouvant l’abriter pour une durée de plus d’un an. La convention de dépôt peut être conclue pour une période maximale de dix ans, renouvelable. Parmi les structures pouvant accueillir ces œuvres: les musées de l’État ou relevant des collectivités territoriales ou de leurs groupements, les parcs, jardins et espaces constituant des dépendances du domaine public, les immeubles affectés aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics dès lors que le public y a accès.

Sur la base de données Archim, il est fait mention d’un Album de photographies des œuvres achetées par l’Etat intitulé : « Direction des Beaux-Arts. Ouvrages commandés ou acquis par le Service des Beaux-Arts. Salon de 1900. Photographies de L. Mercier. » Œuvres exposées au salon annuel organisé par la Société des artistes français, en 1900, place de Breteuil à Paris. Et l’on trouve un tirage photographique sur papier albuminé représentant : – Le chêne et le roseau, d’après Jean de La Fontaine, sculpture par Coutheilhas [Henri Coutheillas], No 1908, groupe en plâtre. Mais la base de données Arcade (Archives Nationales) mentionne une subvention de 5 000 francs attribuée le 11 avril 1898 à la Ville de Limoges pour réparer un personnage endommagé sur le groupe en marbre « le chêne et le roseau », localisé à Limoges (« affectations diverses : ville »/ Cote F/21/4880 dossier 47 ; [Dossier par département (attributions, subventions et autres)]). Il y eut donc deux statues, un plâtre originel, puis le marbre, ce que confirme plus loin une assertion du maire de Saint-Junien.

Dans le compte-rendu du Conseil Municipal de Limoges du 22 août 1900, p 561, que m’a transmis un lecteur de ce blog, on peut lire : « Demande de crédit pour le transport et la mise en place du groupe en marbre « Le Chêne et le Roseau » acquis par la ville à M. Coutheillas ». Et dans celui du 12 octobre 1900, p 671-672 : « M. le Maire expose que le groupe en marbre de M. Coutheillas « Le Chêne et le Roseau », acheté au compte à demi avec l’Etat pour la ville est sur le point d’être expédié à Limoges. » Il apparaît donc que la Ville est bien propriétaire de la statue – au moins de moitié. Ce qui est corroboré par un article du Bulletin de la SAHL (réputée pour son sérieux) n°56, p. 422: «  – Au square d’Orsay: La Céramique, par Eug. Guillaume (don de l’Etat, 1882-1883); Le Chêne et le Roseau, par Coutheillas (acquis par l’Etat et la Ville, 1900). »

Cécile Vignial, documentaliste au Service de la documentation du CNAP m’écrit le 8 mars 2019 : « L’œuvre Le Chêne et le roseau d’Henri Coutheillas est bien inscrit sur l’inventaire du Fond national d’art contemporain, suite à un achat de l’État en 1898. Ce groupe sculpté a ensuite fait l’objet d’un dépôt à Limoges en 1900, avant d’être dernièrement déposé à Saint-Junien. » Voilà qui a le mérite d’être clair (mon mail à la mairie de Saint-Junien était demeuré sans réponse, tout comme mes messages aux élus limougeauds) ! Alors que certains – y compris dans les médias – disaient que la statue pourrait quitter Limoges pour Saint-Junien, le site du CNAP précise : « en dépôt depuis le 01/02/2018 : Mairie de Saint-Junien ». On ne comprend donc pas bien, si l’œuvre y est depuis un an, pourquoi lors de la séance de la commission municipale du patrimoine du 15 janvier 2019, où il a été question du sort des statues qui ornèrent la voie publique, M Pauliat-Defaye, maire-adjoint en charge du patrimoine, a annoncé que l’œuvre de Coutheillas « devait être envoyée à Saint-Junien » (source : site de Renaissance du Vieux Limoges).

La notice du CNAP indique, très précisément :

1900 Sculpture, Ronde-bosse Groupe relié Marbre blanc 220 x 170 x 160 cm S.D.DR. sur la plinthe : H. Coutheillas/1900 Achat à l’artiste en 1898 n° inv. : FNAC 1579

Centre national des arts plastiques

Cotes A.N.: F/21/2163 Dossier n° 25 (série artistes) F/21/7667 (*) Folio n°29 (série photos des salons). En dépôt depuis le 01er février 2018 : Mairie de Saint-Junien (Saint-Junien) décision du 05/04/2017 Expositions : •Salon des Artistes Français, n°1908. Paris : 1900

  • Exposition Universelle, n°161. Paris : 1900 Bibliographie : ◦ L’Etat et l’art (1800-1914) : l’enrichissement des bâtiments civils et militaires en Limousin : catalogue édité à l’occasion de l’exposition au Pavillon du Verdurier, Limoges, 7 juillet-24 septembre 1999 n° isbn 2-911167-22-8 – Reprod. et cit. p. 172.

Il avait effectivement été question de la sculpture Le Chêne et le Roseau lors du conseil municipal de la commune de Saint-Junien, le jeudi 16 mars 2017.

Etaient présents: ALLARD Pierre, ARNAUD Sylvie, BALESTRAT Claude, BALESTRAT Yoann, BEAUBREUIL Bernard, BEAUDET Hervé, BRANDY Claude,CHABAUD Mireille, CHAULET Christel, CHAZELAS Laurence, COINDEAU Lucien, COUTET Claudine,DESROCHES Bernadette, DUMASDELAGE Marie Jo,DURAND Patrick,FILLOUX Paulette, GANDOIS Philippe,GRANET Thierry, JËBAI Hassan,MALAGNOUX Bruno, NEBOUT LACOURARIE Martine,PFRIMMER-PICHON Joëlle,RATIER Joël, REVELON Angeline,ROY Didier,TRICARDStéphanie, WACHEUX Christophe.

Le conseil autorise notamment « le Maire à signer la convention de dépôt avec le Centre National des Arts Plastique [sic], propriétaire de l’œuvre « le Chêne et le Roseau » d’Henri Coutheillas ». Et il  autorise également « le Maire à signer les contrats à intervenir avec chacun des prestataires et de conduire les démarches utiles à la poursuite de ce projet. »

A Limoges, Emile-Roger Lombertie est le maire (Les Républicains) et Philippe Pauliat-Defaye l’adjoint chargé du développement de la politique culturelle de la ville, du patrimoine historique, archéologique, muséographique et archivistique. Certes, la politique de disparition ou d’ « abandon » des statues limougeaudes n’a pas été inaugurée par l’actuelle municipalité, mais comme on la croit sensible aux questions patrimoniales, on s’étonne d’autant plus du départ de la statue Le Chêne et le Roseau. Pour Michel Toulet, président de Renaissance du Vieux Limoges « la municipalité de Saint-Junien étant prête à rénover la statue, c’est une bonne opération pour celle de Limoges » qui ne mettra pas la main à la poche. Il a envoyé une lettre de protestation aux maires respectifs des deux villes, à savoir Émile Roger Lombertie et Pierre Allard, pour leur rappeler notamment que Le Chêne et le Roseau est « l’un des emblèmes de Limoges, largement représenté sur les cartes postales anciennes et présent dans tous les livres d’histoire locale ». Il suggère de l’installer au parc Victor-Thuillat. Pour ma part, je l’aurais bien vu également dans le jardin du Musée Adrien Dubouché , puisque celui-ci abrite Le Débardeur, autre œuvre du sculpteur limougeaud, ou dans la cour du Musée des Beaux-Arts, dont plusieurs salles sont dévolues à l’histoire de Limoges et à ses artistes.

Le Débardeur, H. Coutheillas, 1904, Musée Adrien Dubouché (C) RMN-Grand Palais (Limoges, Cité de la céramique) / Martine Beck-Coppola, Musée A. Dubouché, Limoges

 

Pierre Allard (c) Conseil départemental de la Haute-Vienne

 

Le 14 février 2019, M. Pierre Allard, maire de Saint-Junien (Alternative démocratie socialisme), conseiller départemental de la Haute-Vienne, a répondu à M. Michel Toulet, qui a publié la lettre sur le site de Renaissance du Vieux Limoges (c’est moi qui surligne en gras certains passages) :

« Monsieur le Président,

J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de votre récent courrier par lequel vous souhaitez que l’œuvre  du sculpteur Henri Coutheillas, dénommée  »Le chêne et le roseau » puisse retourner à Limoges.

Je comprends tout à fait votre intérêt patrimonial pour cette sculpture qui, depuis trop longtemps, végétait dans le dépôt des services techniques de la ville de Limoges, ainsi livrée aux intempéries et aux herbes folles.

C’est pourquoi c’est sans aucune volonté d’appropriation que la ville de Saint-Junien, poursuivant la mise en valeur de l’œuvre de Henri Coutheillas, a entamé des démarches pour valoriser cette sculpture en déshérence. Nous avons donc effectué toutes les démarches légales auprès du Ministère de la culture (CNAP) et à la ville de Limoges, pour demander la mise en dépôt de cette œuvre, propriété de l’Etat, à Saint-Junien, où nous avons pour projet son installation sur le domaine public, après avoir procédé à sa restauration selon les règles de l’art.

Il est donc dommage de constater que nul ne se souciait de cette statue, remisée au  »diable vauvert » sous le lierre et dans la boue, oubliée de tous, et qu’il a fallu que Saint-Junien s’en préoccupât en mémoire de Henri Coutheillas, pour procéder à sa restauration et lui rendre son intégrité. Saint-Junien est donc légitime dans son action de sauvegarde de cette œuvre.

Enfin et sur un plan culturel plus général, la municipalité de Saint-Junien a, depuis plusieurs années, marqué sa volonté de célébrer les artistes limousins et singulièrement Henri Coutheillas, l’ami de Jean Teilliet. Une voie de la ville, près de la place Lacote, a été dénommée rue Henri-Coutheillas en l’honneur de ce sculpteur.

Pour renforcer cette légitimité historique, il est important d’indiquer que, lors de la constitution du musée municipal par le même Jean Teilliet, un première salle fut inaugurée en 1927. Cette salle était exclusivement consacrée aux œuvres de Henri Coutheillas, léguées par sa veuve à la ville de Saint-Junien, en mémoire de l’attachement de son mari pour cette ville et son amitié pour Jean Teilliet. Dans la salle Coutheillas du musée, les visiteurs pouvaient admirer, entre autres, le plâtre original de la tête du  »roseau ».

Il n’y a donc nulle volonté de notre part de priver les habitants de Limoges de cette œuvre d’art. Mais au travers de ces quelques indications, le souhait de vous inviter à la conciliation sur ce dossier. Je vous prie, etc. »

J’apprends par ailleurs que le président de Renaissance du Vieux Limoges et M. Pauliat-Defaye devrait se rencontrer très prochainement pour évoquer cette épineuse question. Nous verrons sur quoi débouchera cette concertation et nous en reparlerons. Je ne sais s’il plie, mais Michel Toulet ne rompt pas dans sa défense obstinée du patrimoine limougeaud. Il est évident que les arguments avancés par le maire de Saint-Junien sont étayés et se justifient de son point de vue, tout à fait louable. Il est non moins évident qu’avoir négligé depuis plusieurs années (avant 2014) et laisser partir cette œuvre – qui appartient semble-t-il au moins à moitié à la Ville de Limoges – d’un sculpteur limougeaud reconnu nationalement est fort regrettable car, contrairement à ce qu’affirme l’élu saint-juniaud (« Il est donc dommage de constater que nul ne se souciait de cette statue… »), de nombreux défenseurs du patrimoine (dont moi) se sont inquiétés du sort du Chêne et le Roseau (et plus largement des statues de la cité) depuis une dizaine d’années !