21 Sep

Jalons pour une histoire des arts à Limoges (3)

Pierre Jarraud, autoportrait

 

Parmi les artistes de tous genres ayant créé à Limoges, il faut citer (que l’on me pardonne de n’être pas exhaustif) Ramon Aguillela, professeur aux « Arts Déco », frère de Cueco, peintre, céramiste, photographe, sérigraphe, graveur, lithographe, créateur, qui réalise de magnifiques « boulots », selon son expression. Dès 1968, il eut les honneurs de la documenta IV à Cassel en Allemagne. Né à Casablanca, Roger Vulliez a enseigné la photographie de 1974 à 1980 à l’École des Beaux-Arts de Nice. Aujourd’hui, il vit et travaille à Limoges où il enseigne la photographie à l’École Nationale Supérieure d’Art de Limoges – Aubusson. Il privilégie dans son œuvre le paysage et le noir et blanc – il a notamment réalisé une très belle série consacrée à Limoges la nuit. L’artiste, auteur et sculpteur Jean-François Demeure a exposé pour la première fois à la galerie municipale de Limoges en 1976. Il a également réalisé des aménagements urbains, des vidéos, a participé à des livres d’artistes – ses œuvres figurent dans diverses collections à travers le monde. La création de Patrick Jude, professeur à l’E.N.S.A.D. de 1968 à 1995, est très bien exprimée par François Bazzoli : « Que peint-il d’autre que son sens de la peinture en maintes occasions, occultant le sérieux de sa quête sous un humour impertinent. » Henri-Louis Lacouchie (L.A.C.) – homme de théâtre, on l’a dit – descendant de père en fils de peintres sur porcelaine de Limoges, continua à peindre parallèlement à son métier et bénéficia d’une formation artistique avec des restaurateurs de tableaux (en particulier son maître Rikke Van Den Bergh, un peintre belge, lui-même ayant travaillé à Paris avec Anquetin) ; primé plusieurs fois, il a exposé en France, en Europe et aux Etats-Unis. Né à Limoges, Roch Popelier fait des études artistiques à l’Ecole Nationale d’Arts Décoratifs de Limoges de 1952 à 1955. Il est créateur, céramiste, décorateur, peintre, cartonnier ; artiste éclectique, il a participé à des expositions à travers le monde entier ; en 2005, à 70 ans, il entame ce qu’il considère comme l’œuvre de sa vie et qui le porte pendant trois ans : la représentation de la vie de Saint François d’Assise à la chapelle des Chauveix, sur la commune de Vicq sur Breuilh. Le peintre Pierre Jarraud, ancien élève de l’E.N.A.D., puis des Beaux-Arts de Saint-Etienne, à la fois graphiste et artiste-peintre plusieurs fois primé, fit des paysages puis orienta progressivement sa recherche picturale avec beaucoup de talent sur le thème de la poupée, humanisée, érotisée. Jean-Marc Siméonin est un graphiste (et émailleur) de grand talent, dont l’œuvre puissante et évocatrice se nourrit de réminiscences médiévales et de fantastique, il a illustré de nombreux livres en occitan.

La jeune génération limougeaude est tout aussi créative : par exemple Florent Contin-Roux, né en 1975, qui travaille en particulier sur le paysage envisagé comme un lieu de l’indécis poétique – entre figuration et abstraction.

Comme ce fut le cas un peu partout en France, les « institutions » culturelles ont ensuite pris le pouvoir, avec leurs « commissions » et leurs « experts », après 1981. En 1986, Georges Chatain racontait déjà cela dans un article paru dans L’Echo du Centre intitulé « Barbarella chez les ploucs » s’amusant de l’auteur d’un livre paru chez Autrement qui s’était entendu dire à la D.R.A.C. du Limousin qu’avant 1981 il n’y avait rien : « Quelques associations autour de l’E.N.A.D. … bref, un passé vierge pour ce qui est des arts plastiques » (ou l’art de réécrire l’histoire). Et Chatain de poursuivre en évoquant déjà l’existence d’une « nomenklatura culturelle qui a stérilisé l’effervescence créatrice si vivace en Limousin avant 81, et s’arroge l’exclusivité de la parole dans les médias. »

Créé en 1982, le Fonds Régional d’Art Contemporain possède plus de 1 500 œuvres d’artistes français et internationaux ; la sculpture y est largement représentée, ainsi que la photographie. L’association Limousin Art Contemporain & Sculptures est implantée en Limousin depuis 1983 ; elle a ouvert un espace d’exposition – Lavitrine – rue Raspail à Limoges qui se veut un relais de la création internationale. Le Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement de la Haute-Vienne dispose également d’une salle d’exposition près de la cathédrale. Depuis 1986, l’Artothèque offre la possibilité d’emprunter une œuvre (un fonds de plus de 3700 œuvres est maintenant accessible aux municipalités de la région Limousin). Le Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre est un lieu expérimental et artistique entre industriels et designers, architectes et plasticiens, dont le projet est de transcender l’art de la céramique. Le céramiste et sculpteur Pierre Digan a réouvert sa galerie d’Enfer rue du Paradis à Limoges. Nicole Depagniat, de nationalité franco-allemande, ancienne chargée de production de l’Ensemble Baroque de Limoges, est art-thérapeute, artiste peintre-plasticienne, « coach par les arts » et dispose d’un atelier boulevard Louis Blanc.

Se souvient-on que le couturier et designer Jean-Charles de Castelbajac, né en 1949 à Casablanca, est passé par Limoges ? Il rejoint sa mère à Limoges, où celle-ci dirige l’entreprise de confection Valmont, d’une trentaine de personnes. Il se souvient : « Il y avait une vitrine dans la grande rue de Limoges où les vêtements étaient mis n’importe comment. Je suis allée dans cette boutique, j’ai fait de la vitrine une sorte d’écran de cinéma, une scénographie. C’était mon premier acte créatif. » Jean-Charles, qui traîne aux Beaux-Arts, croise Raoul Hausmann, commence par réaliser pour sa mère des petits croquis avant de devenir, à la veille de Mai 1968, le directeur artistique de la société. Il se lance, rebaptise l’usine de sa mère Ko & Co (le « chaos » de 68) et en profite pour créer avec elle sa propre collection ; dès son premier défilé l’année suivante, c’est le succès pour celui qui, par la suite, s’installa à Paris.

On le constate : Limoges est bien, depuis toujours, une « ville culturelle » et littéraire où la création bouillonne. C’est sans doute l’une de ses singularités.