Christophe Coin, Violoncelliste, gambiste, chef d’orchestre, fondateur du Quatuor Mosaïques et directeur artistique de l’Ensemble baroque de Limoges
Limoges n’est cependant pas qu’une ville de jazz – loin s’en faut. Elle a toujours abrité en son sein des groupes de différents styles. Ainsi, dès la deuxième moitié des années 1950, des chanteurs et musiciens de rock’n roll. Gérard Frugier s’en est souvenu pour moi : ainsi, à l’occasion de Noël 1956, les Nouvelles Galeries accueillent-ils une vitrine animée sur ce thème. L’année suivante a lieu un concours exhibition au Cirque-Théâtre. En 57 : le rock débarque au lycée des jeunes filles avec l’orchestre de Pierre Guyot ; la même année est organisé un championnat de rock à l’amicale des Carmes. En 63, les Black Birds sont à l’école immobilière. En 65 a lieu une conférence sur les groupes anglais. Dans le même temps, chanteurs rock mais aussi yéyés se produisent dans divers endroits de la ville (notamment au Paris ou à la Locomotive), comme Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et les Chaussettes noires, Danyel Gérard et les Champions, Gene Vincent et les Sunligths, Richard Anthony, Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Ronnie Bird, Dany Logan (sans les Pirates), Sheila et les Guitares, moustique et les Pénitents, Frankeinstein and the Monsters, et d’autres. Gérard Frugier note l’existence, dans les années 60-70, d’une trentaine de groupes locaux, avec « personnel souvent interchangeable », reprenant des succès anglo-saxons, généralement de façon instrumentale.
Les années 1970 puis 1980 virent l’apparition de plusieurs groupes et chanteurs de rock et/ou de variétés, qui bénéficièrent parfois de l’aide de certains disquaires d’alors, comme Point Show et Arpèges, de studios comme celui de David Mascunan, de l’arrivée des premières radios dites libres, du travail d’associations – L’e-music box, précieux site web de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges en a recensé une grande partie sur une frise avec extraits musicaux je renvoie le lecteur. Il faut toutefois signaler Pascal Leroux, docteur en pharmacie, un des musiciens les plus talentueux de Limoges (également plasticien sous le nom de Xuorel) qui possédait un groupe de renommée nationale, Médikao – dont la chanson Détective était un modèle du cold wave underground (publié par Radio Trouble-Fête). La compilation Des jeunes gens modernes (Naïve 2008) l’a placé aux côtés de Taxi Girl, Marquis de Sade ou Etienne Daho. Leroux est par la suite devenu la Veuve electro faisant des performances electro post punk ; il est aussi à l’origine de Diamants éternels. Le groupe Les Ejectés qui débuta en grosse formation en 1988 dans un style festif, ska, reggae, rock. Au fil des années et des albums, Steff Tej auteur/compositeur et créateur du groupe a épuré sa formation, qui devient un trio (guitare/basse/batterie), un vrai groupe rocksteady, style dérivé du ska qui donna ensuite naissance au reggae. De belle qualité musicale, avec des chansons créant une atmosphère cinématographique, Les Ejectés ont sorti plusieurs disques et tournent toujours en France et à l’étranger. Leur leader a aussi été celui du groupe punk-rock Raff (où joua le comédien Philippe Labonne). Denis Violet qui est, sur Limoges, un des musiciens électro très créatif. Il a démarré dans les années 90 avec un groupe nommé Fjord (où il chantait ses compositions accompagné d’Anne-Sophie Michaud), puis, en solo, il a créé le groupe Saint-Louis dont il fut pendant plusieurs années le seul membre, et désormais, avec Christophe Deloménie, il a fondé Ramirez.
Plusieurs chanteurs ont aussi ponctué la vie musicale limougeaude ; parmi eux, dans des styles différents : Jacques-Emile Deschamps, remarqué par la critique en 1972, dont les disques sont édités par Vogue ; il compose des musiques de films publicitaires et de sitcoms, collabore avec divers magazines à la fois comme critique de jazz et de musique classique et comme spécialiste des soins énergétiques, puis se consacre à l’écriture. L’auteur-compositeur-interprète Joël Barret, est aussi un guitariste et parolier de talent, poète de l’intime. Il y eut encore Eric Erday ou André Gauchon qui, au début des années 1980, mit en musique et chanta des poètes limougeauds. Issu du Conservatoire de Limoges, Dominique Desmons est chanteur lyrique et de variétés, excellent comédien, pianiste et auteur-compositeur. Il se consacre à la chanson, au cabaret et au music-hall en fondant, avec Marie-Françoise Rabetaud, en 1978, le duo Rabetaud et Desmons, parrainé en 1989 par les Frères Jacques, qui se spécialise dans le répertoire de Jean Villard dit Gilles du duo Gilles et Julien, chansonnier suisse vaudois ainsi que des chansons d’auteurs du milieu du XIXe siècle à nos jours. Martin Mazo, C.P.E. au Lycée Gay-Lussac, a également écrit nombre de chansons interprétées en concert et sur disques. Dans les générations plus jeunes, se remarquent Philippe Lars, qui débuta en 1995 – également comédien –, Valérie Costa, ou le groupe La Java des Gaspards (théâtre musical).
Marc-Antoine Million, Frédéric Bousquet, Maëlle Vivares, Xavier Blumh-Soubira et Sae-Jung Kim sont les musiciens actuels de l’Ensemble Hope, structure à géométrie variable. Le Cristal et les Sculptures Sonores Baschet sont la base du parc instrumental et les créations produites sont axées autour de ce patrimoine encore méconnu. Hope travaille régulièrement en partenariat avec les sociétés Structures Sonores et Titanium Sound, ainsi qu’avec différents organismes de recherche acoustique fondamentale (CNRS/LAM/IRCAM).
De 1995 à 2004, Limoges accueillit un festival expérimental hors du commun : Artooz, à l’initiative du collectif Wild Shores, comprenant Evelyne Hebey, Fred Nouveau et Marc Roques. Différentes formes d’expressions artistiques – performance, écriture, lecture, musique, lumières et images – coexistent dans les réalisations du collectif de musiciens-plasticiens créé au début des années 90 à Limoges, toujours en activité, comme en atteste la liste de leurs créations et activités. Le festival, à dimension internationale, accueillit expositions et créations, installations et créations electro, projections, d’artistes renommés ou à découvrir, notamment à la galerie Res Reï et au Centre culturel John Lennon. Il est particulièrement regrettable que cette manifestation printanière, qui contribua à donner de la ville une image résolument contemporaine, n’ait put se maintenir faute de moyens suffisants et que le collectif se soit installé à Paris.
En 1984 débuta une belle aventure musicale, portée par des passionnés, des mécènes, des subventionneurs institutionnels : la création de l’Ensemble Baroque de Limoges par Michel Kiener avec le musicien Jean-Michel Hasler. A partir de 1991, c’est le violoncelliste et gambiste Christophe Coin qui dirigea cet orchestre international qui explorait, diffusait et fit partager l’univers musical de l’époque allant de Marin Marais au XIXème siècle. L’E.B.L. Est invité des grands rendez-vous internationaux (Salzburg, Leipzig, Innsbruck, Londres, Madrid, Berlin, Lisbonne, Bruxelles, Vienne, Eisenstadt, Graz, Tokyo, Bremen, Cologne), des grandes scènes françaises et de nombreux festivals européens. Implanté en Limousin et résident permanent du château de La Borie, ses sorties discographiques furent régulièrement récompensées par des prix comme les Victoires de la musique classique, Choc du Monde de la Musique, ffff de Télérama. Les amateurs conservent le souvenir de concerts exceptionnels et émouvants. Des travaux de recherche, d’édition, de diffusion et d’enregistrement de manuscrits inédits des XVII, XVIII et XIXème siècles furent aussi l’occasion d’organiser des rencontres fructueuses entre musiciens et chercheurs, au travers de colloques internationaux. Le dynamisme de l’E.B.L. et de l’équipe de direction permit d’étendre les activités dans le cadre de la Fondation La Borie : concerts jazz, baroque, musique traditionnelle, musique d’aujourd’hui ; label discographique ; studio d’enregistrement ; lieu accueillant des résidences d’artistes (chaque année, 250 artistes venus du monde entier) ; lieu de spectacle vivant ; sonothèque de plus de 40 000 sons, enregistrés par le concepteur et designer sonore Louis Dandrel ; mise en sons et en lumières des jardins. Malheureusement, en juin 2013, Christophe Coin et la Fondation La Borie ont mis fin à leur collaboration, entraînant de facto la disparition de L’Ensemble Baroque de Limoges.