C’est l’événement du jour ! L’oeuvre de Le Corbusier, 17 réalisations, dont la Cité Frugès à Pessac est aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. La Ville de Pessac vient de dévoiler l’heureuse nouvelle ce matin
Sur Facebook, la Ville de Pessac vient tout juste d’annoncer : « Nous venons d’apprendre le classement des 17 œuvres de #LeCorbusierdont la cité Frugès de #Pessac, au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous sommes évidemment satisfaits de ce résultat, fruit d’un long travail avec les habitants et acteurs institutionnels.
Ce classement est la reconnaissance urbanistique de l’œuvre de #LeCorbusier. Les maisons de la #CiteFruges sont entrées dans l’histoire.
Le deuil national de 3 jours nous invite à la sobriété et à la modération sur les commentaires liés au résultat de l’UNESCO. #LeCorbusier »
« Ce classement couronne beaucoup d’efforts, il nous honore et nous engage. Un nouveau chapitre s’ouvre pour la Cité Frugès », Franck Raynal maire de Pessac
Pour le maire Franck Raynal : « Ces maisons qui sont le fruit d’une rencontre entre un industriel audacieux, Frugès, et un architecte visionnaire, Le Corbusier, sont entrées dans l’histoire mais ne sont pas figées dans le passé. Elles incarnent le présent et ouvrent une porte vers l’avenir. Et si les maisons pessacaises de demain s’inspiraient de la Cité Frugès-Le Corbusier ?»
Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit © Le Corbusier
L’HISTOIRE AVANT-GARDISTE DE LA CITE FRUGES
Il y a plus de 70 ans, Le Corbusier, mort voici un demi-siècle, se lançait dans la construction d’un lotissement avant-gardiste: la Cité Frugès, à Pessac (Gironde), une aventure architecturale méconnue, vingt ans avant la Cité radieuse, à Marseille.
Azur rappelant le ciel, vert tendre se fondant dans la végétation, blanc éclatant renvoyant la lumière: dans ce quartier pas tout à fait comme les autres, les façades polychromes émergent au milieu des frondaisons et des haies fleuries, laissant entrevoir les silhouettes épurées d’une cinquantaine de maisons aux formes géométriques.C’est là, à quelques encâblures du centre de Pessac, dans la banlieue bordelaise, que Charles-Edouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier (1887-1965), donne vie à son premier projet urbain à grande échelle. Cette aventure est le fruit de sa rencontre avec un industriel, Henry Frugès (1879-1974), héritier d’un groupe sucrier bordelais.
© La Cité Frugès – Le Corbusier – Ville de Pessac
« Frugès découvre le travail de Le Corbusier en lisant son ouvrage « Vers une architecture » paru en 1923″, explique Cyril Zozor, chargé de la médiation patrimoniale à la mairie de Pessac. « L’industriel est alors fasciné par les aspects techniques proposés par Le Corbusier: la standardisation qui permet de construire vite et pas cher en pleine période de crise du logement ». Les deux hommes se rencontrent, sympathisent. Le mécène propose alors à l’audacieux architecte de « passer de la théorie à la pratique » en construisant des logements pour ses ouvriers. Un galop d’essai a lieu avec la construction de six habitations individuelles à Lège (Gironde) afin d’y loger les employés d’une scierie.
A Pessac, un lotissement est aussi rapidement mis en chantier dès 1924: « Le projet initial prévoyait la construction de 127 maisons individuelles, des commerces, un fronton de pelote basque… », rappelle Cyril Zozor. Avec des aspects totalement révolutionnaires pour l’époque: l’existence d’un « plan d’urbanisme » et une double réflexion sur le « vivre ensemble » et « l’habitat individuel« .- « Rigolarium » –« Le Corbusier anticipe la ville moderne pour une société moderne et pense la modernité à tous les niveaux. Une véritable utopie urbaine », résume Cyril Zozor, rappelant le nom initial de la cité: « Les quartiers modernes Frugès ».
© La Cité Frugès – Le Corbusier – Ville de Pessac
En témoignent non seulement les équipements intérieurs (chauffage central, cuisine séparée, salle de bain, fumoir, buanderie, jusqu’au garage pour que l’ouvrier y gare la voiture… qu’il pouvait espérer acquérir un jour!), mais aussi le travail sur la lumière et la circulation intérieure, des toits-terrasses devant servir de solarium pour lutter contre la tuberculose…Grâce à l’introduction de techniques industrielles, 51 maisons, organisées autour de modules interchangeables donnant naissance à sept modèles différents, sont construites en deux ans. Mais le projet finit par coûter plus cher que prévu et s’interrompt.La municipalité ne voit pas non plus d’un bon oeil ces « maisons modernes accessibles aux ouvriers » qui n’ont à débourser qu’un an de salaire pour devenir propriétaires. Le raccordement à l’eau ne sera effectif que quatre ans après l’inauguration des habitations. Comme la Cité radieuse à Marseille (1947-1952), qui héritera du sobriquet de « Maison du Fada », l’ensemble girondin sera raillé. Les maisons deviennent les « morceaux de sucre » dans le « rigolarium Frugès »…
Le deuxième conflit mondial, la paupérisation des habitants malgré une certaine « mixité sociale dès l’origine », la difficulté à renouveler les matériaux abîmés, entraîneront une dégradation progressive des habitations. Des appentis, tuiles, vérandas, volets sont ajoutés, transformant le projet initial.Après plusieurs décennies de délaissement, la renaissance s’amorce dans les années 1970 avec les premières réhabilitations. En 1980, une maison est classée Monument historique. Une autre est achetée par la municipalité pour l’ouvrir à la visite.Désormais totalement impliquée dans la valorisation de ce patrimoine unique, visité en 2014 par 6.500 personnes, la mairie accompagne les habitants dans la rénovation des lieux, où cinq familles descendant des premiers résidents vivent toujours. « Il n’y a pas de délais pour faire les travaux. Mais, en parallèle, il est interdit d’entretenir les parties ajoutées », explique le médiateur.Après le lotissement de Pessac, qui fait partie des 17 sites soumis à une nouvelle candidature au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2016, Le Corbusier construira d’autres cités, dont la fameuse « unité d’habitation » marseillaise, avant-gardiste cette fois dans « l’habitat collectif ». Avec un même fil conducteur, selon Cyril Zozor, « le travail sur la qualité de l’espace ».
LES HABITANTS ET ASSOCIATIONS SE REJOUISSENT
Président de l’association de quartier du Monteil, Jean-Claude JUZAN se réjouit malgré les circonstances : « A l’heure ou notre pays vit des moments tragiques, l’inscription le 17 juillet sur la liste du patrimoine mondial, de l’œuvre architecturale de Le Corbusier sous l’intitulé : L’œuvre architecturale de Le Corbusier : une contribution exceptionnelle au mouvement moderne, nous parait très légitime. Cette association de quartier a soutenu depuis le début cette inscription au patrimoine mondial.
Celle-ci valorisera l’ensemble du patrimoine Pessacais et nous espérons qu’avec ce label l’œuvre d’architecture sera revalorisée. C’est l’ensemble des maisons et des jardins qui constituent l’œuvre de le Corbusier, non seulement architecturale mais aussi artistique, la polychromie étant l’expression du peintre et du poète Fruges », Jean-Claude Juzan président du Monteil.
Et de rendre hommage au président fondateur de l' »association du Monteil J Gabriel, qui demeurait 8 avenue Le Corbusier-Jeanneret « il fut dès le début de 1931 le plus ardent défenseur de l’œuvre de Le Corbusier. Il proposa en son nom propre et au nom du Syndicat de baptiser de noms définitifs les rues de la cité, de participer aux finitions des peintures de la cité, d’organiser des concours de jardins, de promouvoir la construction et la vente du secteur A entre l’actuelle cité et la place du Monteil. En outre il proposa la constitution d’une documentation bibliographique au sein du Syndicat, l’organisation de conférences et projections d’un film tourné dans la cité pour défendre les solutions avant-gardistes de Le Corbusier au problème du logement social ».
« Malgré l’enthousiasme de M. J.Gabriel et du Syndicat du Quartier Moderne du Monteil, l’acharnement d’Henry Frugès, l’aide des Ministres de Monzie et Loucheur, la réalisation de l’ensemble de la cité comportant 126 maisons, rencontra tant d’obstacles qu’il ne pu être fait. Toutefois, ce qui fut réalisé (51 maisons) reste encore d’avant-garde, si ce n’est par la technique, du moins par l’esprit, et a généré l’actuel Comité de défense et fêtes des Quartiers du Monteil ».
« Outre notre Association, ce sont les habitants avec leurs Associations qui ont pu permettre à ce que ce site puisse rentrer dans l’Association des villes comportant des sites de l’œuvre architecturale de Le Corbusier », déclare Jean-Claude Juzan.
Et de rappeler que cette inscription n’est pas définitive car « c’est un label délivré pour une durée de deux ans renouvelable si les engagements du cahier des charges sont effectivement respectés ». Les habitants, associations et la ville sauront sans nul doute se montrer à la hauteur de cette nouvelle responsabilité.
Une nouvelle qui va mettre à l’honneur cette commune de Gironde de plus de 60000 habitants ainsi que son vignoble de Pessac-Léognan et de ses crus classés déjà connus du monde entier.
Avec AFP, réactions recueillies par Côté Châteaux
Regardez le reportage de Glagys Cuadrat et Sébastien Delalot