De plus en plus de Chinois viennent à Bordeaux étudier tant à l’INSEEC qu’à l’IPC Vins ou au Cafa, école privée de restauration. Des étudiants qui retournent en Chine avec un sérieux bagage ou une expertise, certains restent travailler en France.
La première fois qu’il a bu du vin, il l’a mélangé avec du Sprite. Après deux années passées à Bordeaux, Zhizie Wu, un étudiant chinois de 23 ans, peut reconnaître au nez différents cépages. Comme lui, de plus en plus de jeunes Chinois accourent dans la métropole girondine pour se former dans un domaine en pleine expansion dans leur pays.
Il y a dix ans, c’était original pour un Chinois de travailler dans le vin. Aujourd’hui, c’est pour eux un secteur comme un autre, plus mûr en termes de business », Laurent Bergeruc, directeur de l’Inseec, école de commerce à Bordeaux.
Dans son établissement, la présence d’étudiants chinois (13% des effectifs dans la filière commercialisation du vin en 2014) est en « croissance régulière » depuis le milieu des années 2000 et il doit refuser chaque année des candidatures. Même constat à l’Institut de promotion commerciale (IPC) Vins et Spiritueux, qui travaille avec le négoce bordelais: si le niveau élevé de sélection, notamment en langue, fait pour l’heure plafonner les effectifs chinois à 10%, les demandes d’inscriptions ou de partenariats ne cessent d’affluer.
Dans certains cursus, les étudiants chinois sont même les plus nombreux. Ainsi au Cafa, école privée de restauration créée en 1986, les Chinois représentent 48% des effectifs de la formation « conseiller en sommellerie », qui comprend un apprentissage de la dégustation, de la commercialisation et de l’oenotourisme.
« Les premiers étudiants au début des années 2000 étaient des passionnés ayant déjà vécu en France. A partir des années 2008-2009, nous avons vu arriver des jeunes poussés par leur famille pour venir faire des affaires« , relève le directeur de l’établissement, Patrick Portier. Une tendance qui reflète l’évolution du marché: en 2013, la Chine est devenue le premier consommateur mondial de vin rouge (+136% en 5 ans) et le cinquième pour le vin en général.
Ma première expérience du vin en Chine, c’était avec du Sprite, alors que je découvre ici qu’il faut cinq cents ans pour faire un bon vin! » Zhizie Wu, en formation au Cafa.
« Le vin c’est magnifique, c’est élégant! », renchérit son camarade Zhize Zhou, 23 ans, qui suit la même formation après des études de biologie en Chine. Il se félicite surtout de pénétrer à Bordeaux le monde du vin français, signe de prestige social dans son pays. « En Chine, j’avais goûté du vin argentin ou australien, pas de vin français, trop cher ».
Sur place, l’entrée dans l’univers du vin réserve des surprises aux néophytes: la découverte, par exemple, qu’il existe du vin blanc à côté du vin rouge, de loin le plus consommé chez eux; que les vins doux, tels les Sauternes, peuvent être sucrés « comme des bonbons »; que la dégustation est très codifiée… La notion de « terroir » intrigue aussi beaucoup. « Dans un même village, on peut avoir différentes appellations, des châteaux très proches peuvent produire desvins très différents, c’est très surprenant », témoigne Difan Guo, 25 ans, en stage dans une célèbre oenothèque de la ville.
Mais les formateurs constatent à l’unisson une grande motivation et une « vraie soif de connaissances ». « Il y a ce sentiment qu’ils sont passés à côté de quelque chose pendant des années », témoigne Christophe Grosjean, responsable pédagogique au lycée agricole (EPLEFPA) de Bordeaux-Gironde, qui propose depuis deux ans une formation sur mesure à destination d’étudiants chinois.
Remise des diplômes à © l’Inseec en 2013
Les étudiants savent qu’étudier le vin en France, et en particulier dans le bordelais, premier des vignobles français à s’être lancé dans une conquête offensive du marché chinois, est un véritable « sésame » pour leur carrière future. Et les rachats de châteaux par de riches Chinois telle l’actrice Zhao Wei à Saint-Emilion, n’a fait que renforcer ce prestige, suscitant un intérêt croissant chez les jeunes, souligne Yann Chaigne, responsable des enseignements à l’IPC.
« C’est vrai que dans le vin, on travaille avec les riches », reconnaît Yuchen Zhou, une Pékinoise de 28 ans, venue d’abord à Bordeaux suivre un master en finances, sans aucun lien avec le vin. Mais c’est l’omniprésence du nectar dans la vie sociale bordelaise qui l’a rapidement amenée à s’y intéresser. Après des stages en marketing et oenotourisme dans différents châteaux, elle est aujourd’hui chargée par le Cafa de nouer des liens à Pékin pour l’ouverture d’une antenne chinoise.
Si la plupart des étudiants sont issus de milieux sociaux aisés, voire très riches pour quelques-uns – ils ont souvent déjà fait plusieurs années d’études en Chine et suivi des cours de langue à l’Alliance française – les profils se sont diversifiés ces dernières années. Certains viennent de milieux plus modestes et travaillent pour payer leurs études, dont le coût annuel varie de 3.800 à 20.000 euros, hors hébergement.
« Les étudiants profitent d’être à Bordeaux pour nouer des contacts, certains envoient des conteneurs de bouteilles en Chine », explique Valérie Cholet, formatrice au Cafa, surprise par leur « opportunisme exacerbé en matière d’affaires ». « Ils cultivent les contacts, ils sont dans une logique de conquête: tout leur semble possible », analyse Christophe Grosjean, du lycée agricole Bordeaux-Gironde.
Parallèlement, la présence de ces étudiants suscite un double intérêt sur place: celui des viticulteurs qui souhaitent exporter et ont besoin de médiateurs les aidant à mieux appréhender les pratiques commerciales et les goûts de cette nouvelle clientèle; celui aussi des nouveaux propriétaires chinois, qui gardent l’équipe d’oenologues français mais s’entourent de compatriotes connaissant le vin.
Jean-Luc Thunevin, propriétaire de Château Valandraud, 1er grand cru classé Saint-Emilion, emploie ainsi deux jeunes Chinoises en CDI qui l’aident pour la commercialisation. « Cela permet d’accéder à ce monde, sans passer par l’anglais, de comprendre les subtilités de la négociation », explique-t-il, se réjouissant de voir enfin ses ventes décoller en Chine. Même constat au Château des Tourtes (Blaye-Côtes de Bordeaux), qui recrute deux stagiaires chinois par an – sur une quinzaine de demandes annuelles – pour « faciliter la communication » et organiser les déplacements en Chine. Commerce, marketing, événementiel, formation, conseil: les étudiants savent qu’ils n’auront aucune difficulté à trouver un emploi de retour dans leur pays. D’autant que la consommation évolue vite: au-delà de l’élite avide de grands crus prestigieux, toute une classe moyenne découvre le vin et s’adonne à une dégustation plus individuelle.
« En Chine, les spéculateurs vont disparaître », prédit Zhizie Wu, qui se destine à l’import-export. Selon lui, les consommateurs vont réclamer « des conseils sur la qualité » et la « transparence sur les prix ». Yuchen Zhou confirme: « La dernière fois que je suis rentrée chez mes parents, le voisin m’a demandé de lui donner mon avis sur les vins qu’il avait dans sa cave ». Quant à Difan Guo, il sait déjà qu’il veut lancer une entreprise proposant « les meilleurs vins du monde, mais pas les plus chers! »
Leur formation achevée, vont-ils rester en France ou rentrer en Chine? « La plupart des étudiants du Cafa rentrent à l’issue de leur formation », indique Yuchen Zhou, qui comptabilise 300 anciens étudiants dans le pays. D’autres se voient bien vivre en France, mais connaissent les obstacles administratifs. Luyu Zeng, 24 ans, en stage au Château des Tourtes, souhaiterait travailler en France pendant deux ans pour devenir « plus concurrentielle sur le marché du travail chinois ».
Lors des séances de dégustations dans les châteaux, les étudiants ne cessent de se prendre en photo. Séquences souvenir bien sûr, mais aussi intérêt stratégique: ils pourront ainsi prouver à leurs futurs employeurs qu’ils sont allés dans le Saint des saints.
JB – Agence France Presse.