19 Mar

Jacques Dupont sur le 2013: « honnêtement, on est sur un petit millésime. La nature a toujours raison, ce n’est pas la peine de dire qu’on est sur un grand millésime ! »

Une interview exclusive de Jacques Dupont, en pleine dégustation des primeurs 2013, réalisée à la Maison des Vins de Cadillac. Le célèbre journaliste critique du Point nous parle, sans détour, des petits vins qu’on peut toujours dénicher à moindre coût. Des vins de bonne facture, par rapport à la facture parfois salée de grandes écuries…Il évoque également ce fameux millésime 2013, pour lui « il va y avoir de belles choses, mais aussi beaucoup de déchets… »

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Jacques Dupont, le célèbre journaliste du Point © Jean-Pierre Stahl

Jean-Pierre Stahl : « Jacques Dupont, est-ce qu’il faut véritablement mettre le prix pour se faire plaisir et trouver un bon vin ? »

Jacques Dupont : « Non, je suis formel non. Il y a un tel différentiel de prix entre les vins qui sont fortement demandés et ceux qui le sont moins, que c’est la notoriété qui joue. On n’a pas 100 fois plus de plaisir en goûtant un premier grand cru classé, qu’en goûtant un côte de Bourg ou un Bordeaux Supérieur. On a des plaisirs différents, mais cela ne s’échelonne pas comme cela. »

« Là, aujourd’hui, c’est la demande internationale qui fait les prix, mais ce n’est pas le plaisir. Si c’était le plaisir, on le saurait, mais c’est pas le cas. Et on peut avoir beaucoup de plaisir avec des vins en dessous de 10 euros, et être très déçu par des vins qui sont au-dessus de 150 euros ! »

« On a fait une dégustation à l’aveugle, il n’y a pas très longtemps à Bordeaux, avec différents crus classés. C’était amusant de voir comment les gens se répartissaient entre les différents types de vins, modernes, ou anciens ou classiques. On s’aperçoit qu’il y a des vins qui sont faits pour plaire internationalement mais qui ne sont pas des vins comme nous on les déguste, c’est-à-dire en mangeant. Le repas à la française qui a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco, c’est un ensemble de choses qui va avec le vin et la nourriture. Aux Usa, on sert du vin plutôt à l’apéritif et pas forcément en mangeant. Nous on a un rapport vins-mets qui est très important. Et les vins qui sont les mieux notés parce qu’ils sont très puissants ne conviennent pas du tout aux aliments. Donc le rapport plaisir prix est très important quand on rapporte les vins au fait qu’on mange avec ! »

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Jacques Dupont en pleine dégustation du millésime 2013 donne ses premières impressions et ses notes… © JPS

JPS : « Est-ce qu’on peut trouver des pépites à moindre coût ? »

JD : « Partout à Bordeaux ! Faut pas oublier que les vins chers à Bordeaux, c’est au maximum 5 % des volumes. Dès qu’on s’éloigne du centre bdu cercle, on goûte de très, très belles choses qui ne sont pas chères du tout. C’est pour cela que je suis ravi de venir chaque année, et que je fais ce métier. Si c’était pour regoûter tout le temps les grands crus classés, je ne joue pas les blasés, je pense que je m’ennuierais un peu, parce que ce serait très répétitif comme métier. »

« Aujourd’hui, ce qui fait le bonheur de mon métier de journaliste, c’est de trouver chaque année des nouveaux vins, des jeunes dans des appellations, c’est pour cela qu’on reste 5 semaines à Bordeaux pour les primeurs et qu’on en goûte autant ! »

« Dès qu’on s’éloigne un peu, on goûte des bonnes choses dans le Médoc avec les Crus Bourgeois et les Crus Artisans, dans les appellations satellites autour de Saint-Emilion, dans les Côtes, dans les Bordeaux et Bordeaux Sup, on goûte chaque année de très belles choses et qui ne sont pas chères. »

JPS : « Est ce que cela signifie que les grands crus classés, ceux qui sont hors de prix, il ne faut plus les acheter ? »

JD : « Peut-être qu’il faudra les acheter avec le millésime 2013, justement. Vous m’auriez posé la question, il y a 2-3 ans, j’aurais répondu oui. Mais là, en 2013, on va avoir une vraie cassure entre ceux qui ont les moyens de faire de très bons vins, en faisant une grosse sélection, et puis les autres donc.

« Et puis on sait qu’en 2013, les prix des crus classés vont baisser. Il y a un vieil adage bordelais qui dit « dans les petites années achète les grands crus et dans les grandes années achète les petits crus », c’est pas faux ! Là les prix vont baisser sans doute fortement, je l’espère du moins sinon, cela relèverait de l’escroquerie. Si on vend les 2013 très chers dans les crus classés, c’est pas normal ! Et, il y aura sans doute pour ceux qui ont un peu les moyens des achats à faire dans crus classés, pour se faire plaisir, parce qu’ils y auront accès. »

« C’est vrai que dans une propriété où la marge est faible, c’est beaucoup plus difficile de faire du bon vin en 2013 que dans une propriété où on a une trésorerie forte, parce que les années précédentes, on a réussi à vendre très chers les vins. »

20140317_122827JPS : « Le 2013 ? Qu’est-ce qui le caractérise ? »

JD : « Là, je suis au début. Ce qui le caractérise, c’est que cela a été difficile de faire des choix à partir du moment où la vendange était en train de pourrir, et au moment où elle commençait à mûrir.Donc les choix sont là. Est-ce qu’on attendait un peu plus longtemps, mais on risquait de perdre la récolte…Ou est-ce qu’on ramassait un peu plus tôt, on avait peut-être du fruit mais des tanins pas mûrs…On est sur un petit millésime, honnêtement on est sur un petit millésime. Il faut beaucoup plus trier que dans les 2009 ou les 2010;

JPS : « C’est inégal, comme avait tendance à le dire, Olivier Bernard ? »

JD : « C’est beaucoup plus qu’inégal. La nature a toujours raison, hein…C’est pas la peine de dire qu’on est sur un grand millésime, on est sur un petit millésime. Et c’est plus qu’inégal: il va forcément y avoir des jolies choses, mais il faut trier et il va y avoir beaucoup, beaucoup de déchets cette année ! »

« Mais c’est comme cela, il faut accepter les millésimes. On ne peut pas avoir que des 2005, 2009, 2010 ! Ca nous ramène un petit peu à la raison. On avait tendance à dire: on ne peut plus rater le vin maintenant. Ben oui, c’est pas parce qu’on a internet, que tout le monde parle anglais,et qu’on voyage de par le monde, qu’on fait des bon vins et qu’on a une oenologie performante. Il y a un moment donné, la vigne, elle donne ce qu’elle peut, en fonction de la météo…et de temps en temps, la météo se rappelle à nous et dit: « non, c’est moi qui commande ! » »

Ecoutez et regardez l’interview de Jacques Dupont réalisée par Jean-Pierre Stahl et Olivier Prax