11 Fév

Olivier Bernard : « Les grands vins, c’est des grands fruits ! Tout le reste, c’est du blabla… »

Tout le monde était suspendu à ses lèvres…Son jugement sur le 2013 est tombé: « un millésime inégal ». « Exceptionnel en Sauternes, bon en blanc et inégal en rouge. » Parole d’expert a interviewé Olivier Bernard, Président de l’Union des Crus Classés de Bordeaux.

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Olivier Bernard, propriétaire du Domaine de Chevalier et Président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux © Jean-Pierre Stahl

Jean-Pierre Stahl : « Quelle est votre réaction sur le coup de filet des gendarmes suite à l’opération « cassevin » de cambrioleurs qui écumaient les châteaux du Bordelais ? »

Olivier Bernard : « Il était temps que ça s’arrête ! J’ai entendu qu’il y avait 15 propriétés ou négociants qui ont été dévalisés…Quand il y a un gang organisé, c’est bien que ça s’arrête. C’est vrai que la tentation est grande, parce que ces vins sont liquides, ils sont vendables assez facilement. Dans la profession, on doit mieux regarder nos systèmes de défense, mais après on a du mal à contrer des gens qui veulent voler à tout prix. La gendarmerie peut nous informer, nous dire comment ils sont rentrés, il y a peut-être une information à faire passer au niveau de la Fédération des grands vins pour des mesures de protection. »

JPS : « Ce qui explique ces cambriolages, c’est que ces vins sont devenus excessivement chers, est-ce qu’ils ne sont pas devenus trop chers ? »

OB : « Bordeaux, c’est 10 000 châteaux, parmi ces châteaux, il y en a 50 qui ont connu ces dernières années une certaine flambée par le marché. Mais attention, ce n’est pas la faute des châteaux s’ils sont sortis chers, c’est le marché qui a fait qu’ils sont devenus chers ! C’est pas le propriétaire qui a décidé de les vendre chers, c’est le marché qui a décidé qu’une bouteille qui au départ était à 300 euros, très chère, allait être vendue 1 000 euros. Donc le marché a été très fort, très spéculatif, trop spéculatif sur un certain nombre de vins car ils sont produits en petite quantité. Et il y a un certain nombre de pays qui sont capables d’avaler ces grands crus. Moi, je n’aime pas la spéculation dans le vin. J’aime les vins de consommation. Alors voilà on parle de ces 50 crus de façon permanente, j’aimerais aussi qu’on parle des 9 950 Bordeaux qui eux sont à un prix raisonnable et dans leur prix de consommation. Sur ces 50 crus il y a eu des périodes très chaudes, à cause de la Chine notamment, à cause de la spéculation, j’espère qu’on va revenir à des valeurs normales ! »

Le Domaine de Chevalier © interestinwine.co.uk

JPS : « ça va peut-être être le cas pour le 2013, car le 2013 est pas mal décrié et notamment pour les grands crus classés, ça risque de les faire baisser, non ? »

OB : « Oui, 2013 se présente d’une façon assez compliquée parce que sa réputation n’a pas été portée parmi les grands millésimes et ce n’est pas un grand millésime. Il est dans la lignée de 2011 et 2012. Mais, ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de spéculation et que les Chinois sont à l’arrêt donc on va revenir aux vrais prix ! Et moi les vrais prix qui donnent des Bordeaux de consommation, ça me va bien, ça va bien aux Français et aux Européens de façon générale. Donc peut-être que pour ce millésime 2013, on va retrouver des acheteurs avec le sourire. »

JPS : « On a parlé de « Bordeaux bashing » pour ce 2013…Est-ce qu’il faut l’enterrer ou pas ? »

OB : « Non, non, faut pas l’enterrer ! Moi, je suis un amateur de vin, et dans ma cave, il y a de grands millésimes et des millésimes à boire. Moi, quand j’ai commencé en 83, j’ai bu pendant des mois et des années du millésime 80 et on s’est régalé ! Et puis plus tard on a bu du 87; et puis du 2002, les 2002, ils sont délicieux ! Ouvrez une bouteille de 2007, il y a 90 % des Bordeaux qui sont juste délicieux. Et 2013 est un peu dans cette série là. Un millésime à boire certes, pas compliqué certes. Ce n’est pas un grand millésime de garde, il va pas rester dans la légende de Bordeaux, ça je peux vous l’assurer. Mais s’il avait ce côté un peu sexy d’un millésime généreux, bon à boire dans 5 ans, ça m’irait très bien »

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Olivier Bernard dans le chai à barriques du Domaine de Chevalier © Domaine de Chevalier

Et de préciser un peu plus tard lors de sa conférence de presse au Club de la Presse de Bordeaux:

« A Sauternes, c’est une année d’exception, je donne 5 étoiles ! En blanc, c’est pas mal, 4 étoiles. En rouge, il y aura de très grands mais aussi d’autres moins grands. Le mot que je retiens pour le 2013: c’est inégal. C’est un millésime jaloux. Il y a des gens qui ont pris plus d’eau que d’autres, donc c’est inégal. Imaginez, en 15 mois à Bordeaux, on a pris 1,6 mètres d’eau alors qu’on pend en un an 800 mm. »

« D’habitude, les propriétés de grands crus classés sortent 60 % de 1ers vins et 40 % de seconds vins, là il y en aura qui sortiront 25 % de 1ers et 75 % en seconds vins…Si Bordeaux veut vendre ses vins, il va falloir les vendre au bon prix du marché. »

Et d’estimer une baisse d’environ 20 à 30 % pour les plus grands crus classés lors de la prochaine campagne des primeurs.

Interview d’Olivier Bernard par Jean-Pierre Stahl et Jean-Michel Litvine au Club de la Presse de Bordeaux

Et pour aller plus loin : Domaine de Chevalier