Deux personnalités de la viticulture bordelaise ont été récemment mis en examen pour « prise illégale d’intérêts », soupçonnées d’avoir été à la fois juge et partie
dans le classement de grands crus, a-t-on appris lundi auprès du parquet de Bordeaux, confirmant une information de Mediapart.
En toile de fond, la question du classement de Saint-Emilion sur lequel la justice va se prononcer à nouveau © JPS
Hubert de Boüard, copropriétaire du Château Angelus, l’un des quatre premiers grands crus classés A de Saint-Emilion, et Philippe Castéja, propriétaire du château
Trottevieille, ont été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts par charge de mission de service public dans une affaire dont il assure l’administration ou la surveillance », a indiqué le parquet. Une information judiciaire avait été ouverte dans cette affaire par le parquet le 29 novembre 2013.
Selon Mediapart, les deux hommes, mis en examen respectivement les 18 et 19 septembre, sont soupçonnés d’avoir participé à l’élaboration d’un nouveau règlement relatif au classement 2012 des Saint-Emilion grand cru. Ils sont également soupçonnés d’avoir participé au processus de classement lui-même, alors qu’ils avaient des « intérêts directs ou indirects » dans ce classement, ajoute le site d’information. Selon la même source, pendant la procédure de classement entre 2007 et 2012, M. de Boüard a cumulé des fonctions importantes dans le monde du vin bordelais dont la présidence du comité régional de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), de même que M. Casteja pendant l’élaboration du classement 2012 (membre du comité national de l’INAO).
Trois vignerons, contestant le classement où ils étaient évincés ou rétrogradés, avaient porté plainte en 2013. Ce classement décennal créé en 1955, véritable enjeu commercial et financier pour les propriétés viticoles, est révisé tous les dix ans par l’INAO dépendant du ministère de l’Agriculture.
Les deux hommes sont « soupçonnés d’avoir été juge et partie intéressée à la décision, ce qui a des conséquences économiques considérables » dans la valeur des vins, a
précisé à l’AFP¨une source proche du dossier. Contacté par l’AFP, M. Casteja s’est déclaré « serein dans ce dossier ». « Je ne me suis jamais occupé de classement de Saint-Emilion », a-t-il encore dit.
AFP
Regardez le reportage d’Elise Galand et Bertrand Joucla-Parker :
La réaction de Pierre Carle du château Croque-Michotte (château qui n’avait pas été classé en 2012) et qui avait déposé plainte, recueillie par Elise Galand et Bertrand Joucla-Parker:
« C’est une étape importante, on commençait à trouver l temps long, simplement les magistrats travaillent en toute discrétion. (…) Beaucoup de travail a été fait. Je rappelle qu’on avait déposé plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et ce sont les officiers de police judiciaire de la gendarmerie qui ont montré du doigt ce qui ne fonctionnait pas. Un certain nombre de personne ont commandé l classement à l’INAO Aquitaine, il est chapeauté par un comité régional dont elles font partie, les épreuves ont été organisées sous leur contrôle et tout a été validé au comité national de l’INAO dont ils font également partie, la prise illégale d’intérêt est constitué dès lors qu’on fait partie de l’INAO et qu’on est intéressé par les décisions qui sont prises ».
La réaction d’Hubert de Boüard au micro d’Elise Galand et Bertrand Joucla-Parker :
« C’est fort prise illégale d’intérêts. A 62 ans, je pense avoir beaucoup travaillé pour la profession. Plus que beaucoup d’autres pendant plus de 40 ans. Jeconteste formellement cette prise illégale d’intérêts, je fais mon travail; je n’ai jamais participé ni de près ni de loin à l’élaboration du classement de Saint-Emilion, ni participé au vote, donc voilà je vais continuer à me battre. (…) Le jour du vote Hubert de Bouard était dans l’avion, j’ai mon ticket d’enregistrement et mon tag de bagage, donc moi je ne peux pas être tenu responsable des manquements de l’INAO ».
« Evidemment on va réagir, je ne peux pas laisser faire cela. Il y a une 1ère réaction de justice il y a 3 ans et demi et le juge a considéré qu’il n’y avait rien de particulier à me reprocher, j’ai été entendu au bout de 5 ans et demi, je réagis aujourd’hui en disant que c’est totalement anormal, j’ai simplement comme depuis plus de 40 ans fait mon métier collectif et c’est un peu dommage qu’en faisant du collectif on se retrouve dans cette situation. (…) Cela va permettre de demander les notes de dégustation, on va savoir quelle était la réalité dans ce classement et quelle était la note des autres. La réputation d’Angélus, elle est historique elle ne date pas d’aujourd’hui, ce n’est pas ce classement qui a fait l’image d’Angélus, il était 1er cru classé B, l’image d’Angélus était internationale, donc moi à 62 ans je continue à faire mon métier avec bonheur, j’ai simplement un peu d’amertume d’avoir tant donné, tant donné à cette profession pour se retrouver là. Mais pour moi la vie n’est pas finie, elle continue, mais elle va continuer en me défendant car je ne peut pas laisser dire des choses de cette nature.
Moi j’ai juste fait de défendre le métier qui était le mien de défendre l’appellation, de défendre les vignerons quels qu’ils soient partout, depuis que je suis tout petit qu’ils s’appellent vignerons de Bordeaux ou de Saint-Emilion. Je n’ai pas d’état d’âme j’ai continué et je continue à le faire. Donc j’ai un peu d’amertume après tant d’années de me retrouver dans cette situation mais je ne vais pas laisser faire. »