Au milieu des volcans enneigés des Andes et de forêts millénaires, le réchauffement climatique a rendu possible l’impensable: la Patagonie chilienne, connue pour son climat froid et pluvieux, commence à produire du vin, qui ait les délices d’amateurs chinois et américains.
Dans cette région située au bout de l’Amérique du sud, des raisins de cépage Pinot noir ont trouvé leur place là où le soleil arrive à percer suffisamment pour qu’ils mûrissent.
C’est ainsi qu’est née en 2014 la cuvée « Puelo Patagonia », un vin rouge haut de gamme.
Nous avons réussi à trouver un microclimat où, certains jours, les températures varient de 14 à 32 degrés l’été », Sergio Subiabre, directeur commercial du vignoble Villaseñor.
Une telle chaleur permet que « le raisin parvienne à une maturation forcée pendant les deux ou trois derniers mois de sa croissance », explique-t-il, donnant naissance à un vin qui a « les mêmes caractéristiques, le même degré d’alcool et la même quantité de sucre que celui que nous pourrions obtenir dans la zone centrale » du Chili, terrain traditionnel de la viticulture chilienne.
Ces vignes poussent sur les rives du fleuve Puelo, loin de toute civilisation et entourées de moutons. Pour s’y rendre, comptez trois heures de route depuis l’aéroport le plus proche, puis une demi-heure de navigation en barque jusqu’à la petite commune de Puelo, à 1.000 kilomètres au sud de Santiago.
L’ETIQUETTE « PATAGONIE », ARGUMENT DE LUXE
Les premiers raisins ont été plantés il y a six ans, sur une surface d’un hectare et la première cuvée a vu le jour en 2014: 1.500 bouteilles, toutes vendues au marché chinois.
Sur l’étiquette, le nom « Patagonie » est une arme de séduction efficace pour les acheteurs. Dégustant ce vin, ils peuvent rêver aux paysages à couper le souffle d’une région qui attire chaque année des milliers de touristes.
La prochaine cuvée est déjà réservée par des clients chinois et américains, à environ 120 dollars la bouteille, un tarif très élevé pour le Chili, qui est le huitième producteur mondial de vin et quatrième exportateur. « Le Chili a toujours eu un point faible, en étant connu comme un producteur de vins pas chers », rappelle à l’AFP Maximiliano Morales, ingénieur agronome et consultant en marketing du vin. « Avec ce genre d’initiatives, on a une valeur ajoutée qui multiplie par dix le prix moyen à l’export de la caisse
de bouteilles ».
Les oenologues du vignoble Villaseñor expérimentent déjà d’autres cépages, comme le Sauvignon gris ou le Pinot gris, dans cette zone où les températures ont grimpé de deux degrés et les pluies diminué de 30% en dix ans et où la minéralisation apportée par le paysage environnant est un bon atout.
« Nous sommes entourés de volcans, de montagnes (…) les vins sont chargés de nombreux minéraux », explique Sergio Subiabre. Ils ont « plus de saveurs, plus de fruits » que ceux du centre du Chili, affirme-t-il.
CAPRICES DU CLIMAT
Si le réchauffement climatique fait les affaires des viticulteurs en Patagonie, il n’est toutefois pas une bonne nouvelle pour l’écosystème de la région en général, relève le chercheur José Luis Iriarte, spécialiste des écosystèmes marins en hautes altitudes, à l’Université australe du Chili. « Dans le fleuve Puelo, il y a eu une baisse des débits en raison de la diminution des précipitations et de la moindre formation de neige », explique-t-il à l’AFP.
Dans d’autres régions, le vin lui-même souffre des caprices du climat: en 2016, la production mondiale a été une des plus basses de ces 20 dernières années, notamment en raison des fortes intempéries en Amérique latine, selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV). En Amérique du sud, l’Argentine, le Chili et le Brésil ont ainsi vu leur production diminuer.
Le vignoble Villaseñor envisage, lui, l’avenir d’un oeil plus optimiste, prévoyant d’étendre et de diversifier sa production sur une quarantaine d’hectares, au lieu d’un seul hectare aujourd’hui.
D’autres producteurs tentent aussi leur chance avec plusieurs cépages dans la Patagonie chilienne, encouragés par les succès de leurs homologues de la Patagonie argentine, où une douzaine de vins sont déjà élaborés. « En Amérique du sud et dans l’hémisphère sud en général, il y a toujours eu une course vers le sud pour produire du vin », observe Maximiliano Morales. « Le réchauffement climatique fait que certaines variétés s’acclimatent désormais et c’est en train de générer une nouvelle activité économique ».
AFP