Propriétaires du célèbre château Carbonnieux à Léognan en Gironde, les Perrin affichent l’une des histoires les plus extraordinaires parmi les familles de vignerons en France. Partis de Bourgogne au XIXe siècle, ils ont fait du vin en Algérie jusqu’à l’indépendance, pour finalement s’établir définitivement dans les Graves de Bordeaux.
Tout est parti du dénommé Philibert Perrin…non, pas celui que vous connaissez aujourd’hui, mais son aïeul ! Philibert était Bourguignon et même du Mâconnais, issu d’une famille de vignerons de Nuit-Saint-Georges. Philibert travaillait pour Alphonse de Lamartine, écrivain et homme politique marquant, dans ce XIXe siècle qui cherchait ses marques après les guerres napoléoniennes. Ainsi le voilà envoyé en Algérie, rattachée à la France en 1830, pour prospecter des terres pour le compte de Lamartine.
Il a eu le nez creux. C’était un des pionniers. Lamartine l’a envoyé en Algérie pour voir à quoi cela ressemblait, pour le compte d’un groupe d’investisseurs. Mais ils se sont retirés. Lui a senti qu’il y avait quelque chose à faire. Il s’y est installé et a fait des céréales, des olives, des artichauts, il était en polyculture…et bien sûr de la vigne ! » Philibert Perrin
Cette page d’histoire s’est écrite dans la région d’Oran, à Siddi Bel Abbès. Son fils Antony, diplômé et major de l’Institut Agricole de Montpellier va faire prospérer la propriété et en faire l’un des plus grands domaines de la région: pas moins de 250 ha. Ce passé est quelque peu lointain pour Eric et Philibert. Mais les racines sont bien là. Eric est né lui même à Oran en Algérie en octobre 1963, un pays un domaine qu’il a quitté avec sa famille en décembre de la même année. »Moi, je suis né ici à Talence », renchérit Philibert le petit dernier (âgé de 45 ans) car il y a aussi Christine, leur soeur qui vit à Toulouse.
« On ne peut qu’être admiratif de cette aventure humaine, d’avoir bâti sur des territoires où il n’y avait rien, et ce malgré les incertitudes. On peut aussi regretter la façon dont ça s’est passé… » explique Philibert un brin nostalgique, évoquant ce passé qui pour eux et pour bon nombre est une déchirure.
Eric continue: « On avait un père (Anthony Perrin) qui en parlait très peu. Il avait tourné une page. L’arrivée n’a pas été facile. Ils ont travaillé dur pour remettre le vignoble en l’état ! »
Mais celui qui a acheté château Carbonnieux, c’est Marc Perrin, leur grand-père. « Il a eu de la chance car il a acheté en février 1956 », raconte Eric Perrin. « A l’époque, il avait été exproprié d’une partie de ses terres par les américains pour faire une base pour l’armée, il avait alors quelques liquidités. Et puis, il a été bien conseillé par des amis ici. Il avait alors un régisseur d’exploitation et il venait quatre fois dans l’année. Ils ont quitté l’Algérie au moment de l’indépendance et notre père y est resté un peu plus tard. »
Au début des années cinquante, le vignoble était mal entretenu, clairsemé et les bâtiments, inhabités depuis la première guerre mondiale, dans un état de grand délabrement. Le vin se vendait mal, l’accès au marché intérieur était étroit et les marchés internationaux n’étaient pas encore vraiment tracés. C’est dans ce contexte qu’en 1956, la famille Perrin a acheté le château Carbonnieux.
Leur histoire est aussi partagée par de nombreux algériens qui sont arrivés un peu plus tard sur la propriété « ils sont venus ici car ils n’avaient plus de travail et aussi ils risquaient de se faire trancher la gorge… » Ce sont donc plusieurs générations de vignerons qui ont été hébergés sur la propriété et qui y ont travaillé.
Avec l’aide de son jeune fils, Antony, il a entamé un long travail de réhabilitation qu’il poursuivit sans relâche jusqu’à sa disparition, en 1982.
Antony Perrin, lui, a œuvré activement pour la promotion des vins de Bordeaux et pour la création de l’appellation Pessac Léognan en 1987 avec André Lurton. Successivement président de l’Union des Crus Classés de Graves et de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, il a plaidé pour l’ouverture des propriétés vers l’étranger. Il fut le premier à emmener des délégations en Chine et en Russie.
« Il a contribué à faire connaître particulièrement Carbonnieux et a fait partie des générations à être sur les marchés mondiaux, notamment aux USA, en Asie et au Japon, alors que ça n’était pas encore habituel pour les producteurs » confie Eric Perrin.
L’une des images les plus mémorables pour la famille aura sans doute été l’organisation de la Fête de la Fleur en juin 2001 au château Carbonnieux, cru classé de Graves. Peu de temps après, les médecins vont découvrir un cancer à Anthony: « c’est le dernier souvenir de mon père, » raconte Eric; « il avait vu des voitures anciennes sur internet, il s’est dit pourquoi ne pas associer ces voitures anciennes dans le cadre des visites d’amateurs de vins, ça pouvait avoir un intérêt. »
Souvent les visiteurs ont les mêmes souvenirs dans les châteaux, et là, on voulait qu’ils se souviennent de Carbonnieux et de ses vieilles voitures », Eric Perrin rappelant les paroles de son père Anthony.
Et ce sont ainsi 8 voitures de collection qu’Anthony et son fils Eric sont allés chercher un peu partout en France, de 2006 à 2008. En entrant dans une des ailes du château, le visiteur est accueilli par la plus vieille voiture, une Phaeton 3 chevaux de 1904 par Wacheux, suivie d’une Citroën Torpedo de 1922 digne de Tintin dont le propriétaire avait accepté de se dessaisir après avoir marié ses 2 filles à bord. « A chaque fois, on allait les chercher ensemble, c’était une échappatoire vis-à-vis de son cancer. On est allé à cavaillon, Orléans, Béziers… »
« La plupart de ces pièces de collection étaient en bon état », elles trônent désormais fièrement dans ce musée qu’a imaginé Antony Perrin, qui a sans doute voulu laisser une autre pierre à l’édifice Carbonnieux, déjà connu pour ses grands vins de par le monde.
(A suivre, Eric et Philibert les frères Perrin, piliers du château Carbonnieux; « on est indépendant tout en étant complémentaire »)