André Lurton est l’une des figures emblématiques de Bordeaux. Il a créé l’appellation Pessac-Léognan en 1987, après 23 ans de travail et s’est fait le défenseur des terroirs face à la pression immobilière…Il laisse une empreinte forte tant dans ses 7 châteaux que dans le vignoble de Pessac-Léognan et de l’Entre-deux-Mers.
André Lurton, c’est aujourd’hui le patriarche. Il vient de fêter, en ce 4 octobre, ses 90 ans, dont plus de 70 de vendanges à château Bonnet. C’est lui l’aîné des 4 enfants qu’ ont eu François Lurton et Denise Recapet, 3e enfant de Léonce Récapet le fondateur de cette dynastie. Il porte d’ailleurs le même prénom que le fils aîné de Léonce Recapet, fauché à Douaumont (Verdun) en 1916…une époque où dans les familles, on donnait le même prénom que le père, le grand-père ou un membre important de la famille.
André Lurton se souvient: « moi, j’ai bien connu mon grand-père…c’était moi le chauffeur ! J’étais chargé de le déplacer car vers l’âge de 80 ans, on lui avait interdit de conduire. Alors en le déplaçant, j’ai appris un tas de choses… »
On sent chez André Lurton une grande complicité avec ce grand père qui lui a appris beaucoup, tant sur le métier de viticulteur, que sur celui de chef d’entreprise et aussi sur le milieu bordelais: il lui a raconté le phylloxéra, cette période douloureuse où les vignes du bordelais, comme d’autres en France, avaient été ravagées par ce minuscule puceron. Il fut responsable, dans la deuxième partie du 19e siècle, d’une terrible catastrophe causant d’épouvantables dégâts sur les vignobles français et européens. L’agriculture française n’avait jamais connu un tel désastre. Léonce Recapet n’a pas cessé d’acheter des propriétés, des vignobles, d’arracher, de replanter. André Lurton, fera de même bien des années plus tard, relançant des vignobles disparus ou en mauvais état comme le fit son grand-père.
André Lurton se remémore également cet épisode où « quand on passait sur les quais (de Bordeaux), il me disait: « ça, c’est le palais du raisin sec » car « pendant tout le temps où il y a eu le phylloxéra, il n’y avait pratiquement plus de récolte…Alors les négociants achetaient des raisins secs (comme du raisin de corinthe) et ils les mettaient à tremper dans l’eau. Ils faisaient boire ça aux gens. C’était le « vin » à l’époque, naturellement ça n’était pas le meilleur ! » André Lurton précise que le grand-père s’est toujours refusé à faire cet ersatz de vin.
Si Léonce Recapet lui a montré la voie, André Lurton a aussi tracé son propre chemin. Son père François Lurton était juriste, il a été confronté à assurer la transmission, marié à Denise qui malheureusement a été emportée par une maladie à seulement 33 ans. Le grand-père disparu en 1943, François Lurton et ses 2 fils aînés, André et Lucien, vont continuer à entretenir ces châteaux et vignobles, jusqu’au partage en 1953, quand le 4e enfant Dominique est devenu majeur.
Passé l’épreuve du gel de 1956, André Lurton a eu ce bon sens paysan de se diversifier avec la polyculture. Quand le vignoble allait mal, il produisait de la luzerne deshydratée pour l’alimentation du bétail. Une entreprise florissante qui lui a permis d’acheter des terres et de planter du vignoble dans l’Entre-deux-Mers à château Bonnet: parti de 50 ha, il en compte aujourd’hui 300 ce qui fait de lui le plus gros château du bordelais.
Une force de la nature et un caractère bien trempé…André Lurton va se lancer tous azimuts. Il va prendre la tête du Cercle National des Jeunes Agriculteurs, va être maire de Grézillac durant 45 ans , créer le centre oenologique de Grézillac et faire reconnaître l’identité des Graves du Nord. Ce combat pour consacrer l’appellation « Pessac Léognan » par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) va durer 23 ans. Ce n’est pas une invention de sa part, c’est le prolongement du travail effectué par ses prédécesseurs dans les années 1902-1904: en 1905, leurs frontières historiques ont ainsi été fixées lors de la création du Syndicat Viticole des Graves de Bordeaux, qui comprenait exactement les mêmes communes que celles composant aujourd’hui l’Appellation d’Origine Contrôlée Pessac-Léognan. « J’allais au ministère, je mettais un pied dans la porte, et je leur disais, il faut faire passer ce dossier ! »
« Cette région en 1953 et 1959 fut la seule à accueillir les vignobles les plus méritants comme Crus Classés de Graves. Son identification comme AOC devint pour moi une évidence. »
L’identification de Pessac-Léognan était « justifiée par les qualités spécifiques de son terroir, la typicité de ses produits, son micro-climat, ses croupes de graves parfaitement dessinées par des ruisseaux qui assurent un bon drainage, les compétences et le savoir-faire de ses viticulteurs. » André Lurton
Il aurait pu se contenter d’acheter ce petit château à des parisiens et d’y faire un vin sympathique, non, il va l’élever comme un grand cru classé de graves sachant s’entourer d’équipes de professionnels comme Vincent Cruège, oenologue-maître de chai puis directeur des équipes des vignobles d’André Lurton ou Michel Gaillard, directeur oenologue (à qui Vincent Cruège a succèdé) et très récemment Michel Rolland comme consultant. Champion en communication, il sera parmi les premiers a créer un poste spécifique confié à Véronique Bouffard chargée dès son entrée en 1997 des « 100 ans de Viticulture à Château Bonnet », dans le cadre de Vinexpo, puis des fêtes à la Louvière et de l’inauguration de Couhins-Lurton. Il va faire connaître et reconnaître en France et partout dans le monde l’AOC Pessac-Léognan.
La Louvière sera un peu sa « danseuse », il va la restaurer dans les règles de l’art comme au XVIIIe, retrouvant les grisailles qui avaient été enlevées ou dérobées à une époque, la remeublant avec des antiquités. « Peut-être que j’ai eu le nez creux pour la Louvière », me confie-t-il. Il va ainsi collectionner les châteaux Cruzeau, Rochemorin, Couhins-Lurton (cru classé acheté en 1990), 50% de Barbe-Blanche en Lussac-Saint-Emilion, 42 % du château Dauzac à Margaux (dont il vient de revendre ses parts à la MAIF: le directeur général des Vignobles André Lurton, Pascal Le Faucheur, a déclaré il y a quelques mois que l’entreprise avait décidé de céder sa participation en tablant sur un recentrage « stratégique » sur le domaine familial comptant une dizaine de châteaux et 600 hectares dans le bordelais. ).
Il ne va jamais cesser de restaurer (Couhins-Lurton dans les années 2000), construire comme ce gigantesque chai à Rochemorin ou le chai enterré de la Louvière (2009), à un âge où certains auraient décidé de rester tranquille…
Son plus grand regret, c’est que la Louvière ne soit pas classée parmi les crus classés de Graves en 1855: « la Louvière n’était pas classée, elle ne l’est toujours pas. Elle a des potentialités égales et souvent supérieures à la plupart des crus classés de graves. Maintenant, j’aimerais qu’elle soit classée. Ca lui apporterait d’un point de vue de l’image, ça permettrait d’attirer des consommateurs du fait que ce soit classé. »André Lurton espére pour son château, mais aussi il reconnaît la qualité et les efforts d’autres de l’AOC comme Larrivet-Haut-Brion et château de France qui mériteraient selon lui d’être aussi classés. Et de conclure avec ce regard de sage sur ses entreprises et ses combats: « Dans ma vie, je me suis bien amusé…On va encore se marrer, ils vont dire: tiens! Lurton maintenant, il veut le classement de tout… »
Ne manquez pas cette saga le 24 octobre vers 23h05 sur France 3 Aquitaine et le samedi 25 à 15h25. La « saga Lurton » réalisée par Jean-Pierre Stahl, Didier Bonnet, Eric Delwarde, Vincent Issenhuth, Xavier Granger, Emmanuel Cremese et Véronique Lamartinère. (regardez ci-dessous le 1er volet). Les plateaux d’Enquête de Région seront enregistrés à château Bonnet et assurés par Eric Perrin avec Jacques Lurton, Bérénice Lurton et Marc Lurton comme invités.