La Baronne Philippine de Rothschild a disparu à la veille de la vendange 2014. Elle avait écrit, avec son père le Baron Philippe, la légende de Mouton Rothschild. Une pièce en 3 actes puisque ses enfants ont pris aujourd’hui la relève avec Philippe Sereys de Rothschild, sa soeur aînée Camille et son plus jeune frère Julien de Beaumarchais de Rothschild.
Tout le monde connaissait la Dame de Pauillac : la Baronne Philippine de Rothschild, une personnalité hors du commun, une aisance et parfois même un brin d’exubérance dans le monde quelque peu feutré du vin. Il faut dire que cette grande Dame avait l’art et la manière. Elle avait d’abord exercé une première carrière en tant que sociétaire de la Comédie Française, ce qui lui donnait une certaine facilité à être l’ambassadrice de ses vins. Une carrière largement saluée par ses pairs le 1er septembre 2014, pour ce dernier au revoir sur ses terres de Pauillac.
Le public connaît moins ses héritiers qui lui ont succédé. Pourtant, ils sont dans la droite ligne familiale, dans ce sillon creusé dans cette grave du Médoc, par leurs aïeuls. Il y a d’abord Philippe Sereys de Rothschild, le 2e enfant de Philippine, qui aujourd’hui est à la tête du conseil de surveillance de la société Baron Philippe de Rothschild, mais aussi Camille Sereys de Rothschild sa soeur aînée (tous deux enfants du célèbre metteur en scène et acteur Jacques Sereys, sociétaire honoraire de la Comédie Française) et puis Julien de Beaumarchais de Rothschild (fils de Jean-Pierre de Beaumarchais).
Ces enfants s’inscrivent donc dans les pas de leur mère mais aussi du Baron Philippe, le grand-père, qui déjà avait cette exigence de faire le plus grand vin à Mouton. Depuis deux ans, Philippe Sereys de Rothschild, diplômé d’une école de commerce et d’Harvard, a donc pris la présidence du conseil de surveillance de la société Baron Philippe de Rothschild, qui emploie 360 personnes à Pauillac et 600 dans le monde.
« Ce n’est jamais facile de succéder à quelqu’un, c’est difficile, mais ce n’est pas le sujet, le sujet c’est de savoir si on a envie de le faire ou pas et ce qui était très clair depuis le début, c’est que j’avais envie de le faire », explique Philippe Sereys de Rothschild.
« Elle m’a transmis les rênes d’un patrimoine extrêmement solide et n’oublions pas que je ne suis pas tout seul, j’ai mon frère et ma soeur qui m’aident énormément dans la gestion de cette société. »
Le leg de la Baronne Philippine et de son père est immense, ils ont contribué à faire de Mouton Rothschild ce château connu du monde entier grâce à la qualité de ce 1er cru classé de Bordeaux mais aussi facilement reconnaissable par l’originalité de ses étiquettes : hormis l’emblème de Mouton, le Baron Philippe avait eu cette idée de génie de donner carte blanche chaque année à un artiste mondialement connu pour dessiner l’étiquette de Mouton. Le précurseur fut l’affichiste Jean Carlu en 1924 ( le Baron imposa alors la mise en bouteille au château, jusque-là livré en barriques aux négociants (une première dans le Bordelais)) ; depuis 1945, les plus grands se sont succèdés tels Chagall, Dali, Picasso et bien d’autres. Une collection unique que l’on peut visiter à Mouton Rothschild.
Ce sont aussi trois grands châteaux : outre Mouton, il y a le château d’Armaihlac (5e cru classé), juste à côté, et un peu plus loin Clerc Milon.
S’il fallait trouver un trait de caractère commun à ces 3 générations, Philippe Sereys de Rothschild avance « on est probablement une famille de gens plutôt tenaces avec l’envie que les choses marchent ». Cette branche anglaise des Rothschild détient aujourd’hui 200 hectares de vignes sur le fameux terroir de Pauillac, 3 châteaux dont l’un des 5 premiers crus classés avec Lafite Rothschild, Latour, Margaux et Haut-Brion ».
Mon grand père a planté le décor et écrit la pièce, et sa fille la Baronne Philippine l’a jouée et a eu un succès extraordinaire. » Philippe Sereys de Rothschild.
« Il y avait un vieux maître de chai qui avait l’habitude de dire Mouton, c’est comme Versailles ! On ne va quand même pas exagérer… mais c’est vrai que :
Mouton, c’est un mélange d’art, de vin, de culture, c’est un terroir, ce sont des gens formidables qui travaillent sur cette terre. »
En 2013, les enfants de Philippine, qui était encore présente, ont veillé à l’édification du nouveau cuvier scénarisé par Richard Peduzzi. Un cuvier de 70 mètres de long avec les dernières innovations techniques et d’énormes cuves en bois dont une bande transparente laisse entrevoir les étapes de la vinification. Ce sont 150 000 à 200 000 bouteilles de 1er vin qui sont produites chaque année, selon les millésimes.
« Là, nous dégustons notre 1ère parcelle de merlot de Mouton Rothschild qui a été vendangée lundi de la semaine dernière et dont la fermentation vient de se terminer, » explique Philippe Dhalluin, le directeur général, qui propose un verre à l’ensemble des négociants venus pour cette journée festive de vendanges à Mouton.
Julien de Beaumarchais de Rothschild commente « nous avons de grands spécialistes, techniciens, oenologues, en qui justement nous avons confiance. Ils connaissent parfaitement ces terroirs et cet art de la vinification. »
Philippe, mais aussi Camille et Julien, sont effectivement très reconnaissants aux vignerons, coupeurs, porteurs, salariés viticoles ou vendangeurs occasionnels, sans qui Mouton ne serait pas ce grand vin. Durant ces semaines de vendanges, ils offrent et partagent aussi le repas avec eux, dont beaucoup sont Médocains et fidèles depuis de nombreuses années : pour Nadia Frémont « ça fait 6 ans cette année, ça va l’ambiance, le repas est impeccable »
» C’est une tradition, chaque année, notre mère le faisait beaucoup mieux que nous, mais on essaie de continuer. »explique avec le sourire Julien et Camille de renchérir : « c’est la fête, les vendanges, en tout cas pour moi, c’est un moment merveilleux. Il y en a beaucoup qui me disent, c’est la dixième année que je viens, c’est la vingtième année pour d’autres, c’est touchant. »
Autre instant d’émotion, ce mercredi 6 juillet où la famille Rothschild reçoit à Clerc Milon (château acheté par le baron Philippe et que Philippine aura totalement transformé). Une réception pour le lancement de la fondation d’entreprise Philippine de Rothschild, avec la création du 1er Prix Clerc Milon de la Danse.
Cette fondation et ce prix honorent celle qui fut aussi sociétaire de la Comédie Française (compagnie créée sous Molière). Cette récompense est attribuée cette année à deux jeunes artistes méritants du ballet de Charles Jude de l’Opéra National de Bordeaux, l’anglais Ashley Whittle et la française Claire Teisseyre : « c’est génial de recevoir cette reconnaissance et ces encouragements. »
Chacun de ces jeunes espoirs s’est vu remettre une dotation de 5000 €. « Absolument, elle aurait été très fier, elle adorait tous les arts du spectacle », commente Julien de Beaumarchais de Rothschild. Et Camille de compléter : « elle aimait la danse, elle aimait l’opéra, la musique, elle aimait les artistes ! »
Et c’est par un fabuleux coucher de soleil sur Lafite-Rothschild (juste en face de Clerc Milon), propriété de la branche cousine celle du Baron Eric de Rothschild, que se poursuit cette soirée et la légende des Rothschild « à travers cette fondation, on récompense les talents de demain, vous savez on est juste là de passage, comme disait ma mère, et donc on est là aujourd’hui on ne sera pas là demain, ce sera une autre génération, c’est cela qui est important à comprendre » explique Philippe Sereys de Rothschild. « Au-delà des générations, l’histoire continue, les propriétés aussi, on continue à faire les meilleurs vins du monde, c’est cela qui est fondamental et c’est cela que l’on veut faire pendant les prochaines années. »
Leur société Baron Philippe de Rothschild S.A. commercialise aujourd’hui 23 millions de bouteilles au total, ils sont les 1ers en terme de commercialisation de vins de Bordeaux AOC. Mouton Cadet est d’ailleurs vendu dans 150 pays dans le monde. Quant à la légende, Mouton Rothschild, ce château est passé de second à 1er cru classé en 1973, la seule et unique fois où le classement de 1855 a été corrigé, la devise l’a été par la même occasion : « Premier je suis, second je fus, Mouton ne change. »
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Sylvie Tuscq-Mounet et Thierry Julien :