C’est l’histoire d’une famille qui a lancé à Podensac, dans cette petite bourgade des Graves proche de Sauternes, un apéritif à base de vin blanc, aujourd’hui mondialement connu. A 98 ans, Pierre Lillet revient sur cette success story très française avec une recette toujours tenue secrète, souvent imitée ou concurrencée mais jamais égalée.
La Maison Lillet a beau appartenir aujourd’hui à la Société Ricard, Pierre Lillet l’un des 4 dirigeants de l’après 2e guerre mondiale continue à venir voir les quelques 8 employés de la célèbre maison Lillet. Il entretient d’ailleurs une grande complicité avec Jean-Bernard Blancheton, maître de chai depuis 1995, et aussi Cécile Bernhard responsable administrative chez Lillet depuis 2001.
Quand je viens là, une à deux fois par semaine, ça me fait énormément de plaisir, je rentre dans les chais où je suis rentré pendant 50 ans, l’atmosphère me trouble un peu et j’ai l’impression que mes parents nous regardent et sont heureux de voir le succès de Lillet », Pierre Lillet.
C’est en 1872 qu’a été fondée la Maison Lillet par Raymond et Paul Lillet, négociants en vins fins, liqueurs et spiritueux. « Deux frères qui ont inventé l’apéritif Lillet. Mon grand-père était négociant en vin et liquoriste » explique fièrement Pierre Lillet, le dernier représentant des 8 enfants d’André et petits-enfants de l’un des fondateurs Raymond Lillet.
Drôle, Pierre Lillet qui était chargé de la fabrication, aime à rappeler aussi ces réflexions qu’on lui faisait sur le ton de la plaisanterie :« J’ai goûté votre Lillet, il est sensationnel. Ca fait plaisir à entendre, absolument. C’est le bon produit. On nous reprochait même : vous savez Mr Lillet, votre Lillet il est sensationnel mais quand j’ouvre une bouteille, heureusement j’en ai une autre. » Et d’ajouter devant le nouveau directeur de la Maison Lillet Alexandre Defrance: « pendant 50 ans je fabriquais, je suis imbibé d’alcool » avec malice comme pour faire un clin d’oeil aux hygiénistes.
Pierre n’aime pas se mettre en avant, il veut avant toute chose associé l’ensemble de ses frères au succès et à l’histoire Lillet: « Il y avait mon frère Raymond qui était le PDG, mon frère René qui était le chef comptable et mon frère Paul Lillet (chef des ventes) qui voyageait et moi qui fabriquait. » Et il y avait encore un cinquième frère, qui n’était pas associé, magistrat il était aussi maire de Podensac
Nous étions très très unis les 5 frères, nous faisions beaucoup de sport, beaucoup de football. Nous avions battu les Girondins de Bordeaux en coupe du sud-Ouest à Cérons et c’était mon frère Raymond qui avait marqué les 3 buts contre les girondins de Bordeaux qui devenaient professionnels l’année d’après » Pierre Lillet
Dans les années 20-30, Lillet est servi dans les réceptions officielles et lors d’occasions, il devient très vite « l’apéritif à la mode », un succès amplifié par la publicité à l’époque plus facile. La famille a tout de suite compris comme tous ces grands noms que la commercialisation passait par cette forme de communication : ce sont alors de magnifiques affiches, des verres, des plaques émaillées et des éventails rigolos qui vont étre édités et participer ainsi de la renommée du produit. C’est d’ailleurs Robert Wolff, artiste français connu sous le pseudonyme de Roby’s qui crée en 1937 la première grande campagne pour le marché américain et le marché français.
Dans les années 40-50, la petite entreprise familiale décide d’exporter la marque et de se concentrer sur le marché américain. Lillet devient la coqueluche des stars branchés de New-York et de la duchesse de Windsor Wallis Simpson (épouse de l’ancien roi d’Angleterre Edouard VIII) qui va l’imposer dans les palaces parisiens au Ritz, au Georges V et chez Fauchon.
En 1962, Pierre Lillet va d’ailleurs lancer à cette époque le Lillet rouge :« les Etats-Unis, c’était le gros marché à l’époque, on en passait des milliers de caisses. C’était pour concurrencer Dubonnet. »
James Bond a énormément contribué à faire connaître au plus grand nombre le Lillet avec le Vesper, le plus connu de tous les cocktails à base de Lillet ; dans Casino Royale et Quantum of Solace, James Bond invente et commande un « Kina Lillet Martini », qu’il nomme « Vesper » et qui reprend, à la virgule près, la recette écrite par Ian Fleming dans Casino Royale (1953), roman d’où est tiré le film. Il demande au barman : « 3 doses de Gordon, 1 de vodka, 1/2 de Kina Lillet ».
En 1972, une cuvée « Lillet vieux » millésimée 1961 est lancée ; Lillet va définitivement s’appeler ainsi comme aux USA après avoir longtemps porté le nom en France de Kina Lillet.
Tout en se remémorant l’histoire de la Maison, Pierre Lillet et Jean-Bernard Blancheton entrent dans ce que le maître de chai appelle « la cathédrale des senteurs »: « nous avons 22 cuves de 200 hectolitres bois », c’est le seul apéritif qui soit comme ça et nous n’achetons que du chêne français ». « Oh que c’est beau putain… »
Et de goûter ce fameux Lillet, récemment mis en cuve bois entièrement neuve: « Oh là, il est jeune ». « Il va dormir pendant 6 mois, dans nos cuves et il va se réveiller en début d’été », commente Jean-Bernard qui ajoute : « on est sur l’orange, des notes orangées, citronnées, pamplemousse. » et Pierre Lillet : « chapeau, ça me rajeunit de 80 ans »
Pierre Lillet, c’est la mémoire de l’entreprise, s’il n’y avait pas eu Pierre on ne serait pas là. On a pu continuer notre travail parce que Pierre Lillet est là » Jean-Bernard Blancheton maître de chai chez Lillet
Jean-Bernard Blancheton explique :« Lillet c’est 85% de vin de la région de Podensac avec 15% de fruits toutes les liqueurs sont élaborées chez Lillet. Y a un petit secret qui est bien enfermé dans un coffre fort, on n’est que trois à le connaître. »
Pierre Blancheton : »On s’est toujours bien entendu tous les deux, oui c’est une idylle en fait », et Pierre de rétorquer « ah oui ah oui absolument. » « 5 millions de bouteilles non de Dieu, de litres ? Pff, c’est un paquet ça, c’est du boulot Jean-Bernard. ». « Oui mais c’est pas une charge, c’est un sacerdoce » (JB Blancheton), « c’est ça, c’était pas du travail mais du plaisir qu’on donne aux autres. »(Pierre Lillet)
Et pour conclure, Pierre Lillet se remémore cette phrase de l’un de ses concurrents : »Lors des réunions de notre corporation, le Conte Rossi de Martini Rossi, chaque fois qu’il nous voyait arriver, il venait vers nous et nous disait voilà le Lillet, le meilleur des apéritifs ! »
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Pascal Lécuyer, Emilie Jeannnot et Thierry Culnaert :