04 Sep

« Le Goût Retrouvé du Vin de Bordeaux » : le livre qui pourrait faire bouger les lignes ?

Ce 5 septembre sort en librairie ce livre écrit par Jacky Rigaux et Jean Rosen aux éditions Actes Sud. Un bouquin qui s’inspire de la démarche de Loïc Pasquet, l’électron libre ou plutôt l’OVNI du bordelais, qui s’est mis en tête de retrouver le goût d’autrefois, d’avant-phylloxéra, à Bordeaux. Retour sur son initiative qui le place désormais en tête des vins les plus chers de Bordeaux.

Loic Pasquet met en avant « le goût du lieu » avec ses cépages oubliés © JPS

C’est pour certains un hurluberlu, pour d’autres un génie. Souvent décrié, toujours envoûté, Loïc Pasquet a continué depuis plus de 10 ans sa mission qu’il s’est fixée en 2006 de « retrouver le goût du vin d’autrefois, d’avant phyloxéra »

Pour Stéphane Derenoncourt, figure de Bordeaux et de Saint-Emilion, qui conseille une centaine de domaines dans le monde et signe la préface de ce livre : « c’est une mission bien singulière à laquelle s’accroche avec acharnement Loïc Pasquet », c’est presque un moine-soldat au service du terroir, qui a pourtant eu des déboires suscitant jalousies et vacheries comme avoir rasé ses pieds de vigne. (une plainte avait été déposée aussitôt).

En fait Loïc Pasquet, ce buté incompris, s’est mis en tête de planter sur un terroir de graves des cépages locaux, ancestraux plantés en franc de pied, c’est-à-dire non greffés, le tout avec en toile de fond « une viticulture qui s’inspire de vieilles pratiques respectueuses de l’environnement », comme le soulignent les auteurs Jacky Rigaux et Jean Rosen. Le premier auteur a précédemment écrit « Ode aux grands vins de Bourgogne » à propos du célèbre vigneron disparu Henri Jayer, dont les bouteilles s’arrachent partout dans le monde en salle des ventes à des prix incroyables. Le second, docteur en histoire de l’art et directeur de recherche au CNRS, est vice-président de l’association Rencontres des cépages modestes.

D’emblée les auteurs précisent que « le but de ce livre n’est pas de lui faire une publicité dont il n’a nul besoin, mais de démontrer que, en dehors des pratiques actuelles, sans l’apport d’intrants plus ou moins nuisibles au vigneron, au consommateur et à la planète, et sans le secours de l’oenologie, le nouveau vigneron pourra non seulement faire parler son terroir et produire de l’excellent vin en pratiquant une autre viticulture, mais aussi y gagner sa vie correctement. »

Des cépages de Saint-Macaire, Castet, tarnet, Petit-Verdot, Prunelard, Cabernet Franc, Carménère, Pardotte, Merlot, Cabernet Sauvignon et Malbec, en tout 11 cépages assemblés dans le Liber Pater rouge © JPS

Le hic, c’est que ce vigneron têtu qui s’est levé un beau matin pour reprendre ces cépages plantés en franc de pied est aujourd’hui suivi par les plus grands amateurs de vins étrangers chinois, russes, américains ou des émirats, et même Michel-Jack Chasseuil (le plus grand collectionneur de vin au monde).

Dans son vignoble de Landiras, il nous dévoile ainsi ces cépages très divers qui font sa fierté : « ici on a du petit verdot, là-bas du tarnay coulant, et de ce côté-ci du saint-macaire », nous montre-t-il sur ses parcelles de 3 ha en situées dans les Graves.

Ce sont des cépages qu’on a retrouvé dans des conservatoires nationaux ou dans les vieilles parcelles, ces cépages constituent Liber Pater ; pour les rouges on a 11 cépages assemblés et pour les blancs 3 cépages », Loïc Pasquet.

Ses bouteilles en blanc et en rouge se vendent à prix d’or ! 4300 € la bouteille chez Millésima par exemple, qui vend ce Liber Pater Collection « la Feuille » 2007, l’Orage 2009″ ou encore « la Scène » 2010 à ce prix là. Le pire c’est que paraît-il ces bouteilles se sont déjà revendues à l’étranger bien au-delà. « Vers l’infini et au-delà », Buzz l’Eclair sait que sur la planète vin parfois, c’est « no limit », on touche là au monde du luxe, à l’oeuvre d’art, aux choses dignes du surnaturel…

L’idée, c’est de retrouver le goût du lieu ! Ces cépages-là étaient associés à un lieu typique…Quand on remet la vigne franche de pied sur son terroir qui l’a vu naître, on retrouve le vin du lieu, le cépage sert simplement de fusible qui exprime le terroir », Loïc Pasquet

Loîc Pasquet dans les chais de Millésima à Botrdeaux © JPS

Quand on se pose un instant et qu’on tente d’analyser l’histoire de la viticulture depuis l’arrivée du phylloxéra et la chimie mise sur un piédestal à une certaine époque, ça donne le tournis. C’est en fait ce que retrace ce bouquin : il y a eu l’arrivée de « potasse et d’engrais azotés de synthèse vantés par des agronomes bien formés qui sont devenus commerçants » explique Stéphane Derenoncourt, « sans parler des herbicides, pesticides et autres insecticides, utilisés à des doses à peine avouables de nos jours. On en mesure aujourd’hui les dégâts : appauvrissement de la vie bactérienne de nos sols, comme de la faune et de la flore…baisse de la durée moyenne de nos vignes, perte de goût. »

Loïc Pasquet a donc tout repris à l’envers, se documentant sur les anciennes pratiques, les anciens cépages, pour retrouver « le goût du lieu ». A l’inverse du mouvement de fond du XIXe avec « le négoce triomphant qui se focalisa davantage sur la marque que sur la recherche du goût du lieu », écrivent les auteurs du livre. Néanmoins ceux-ci pondèrent le propos reconnaissant aussi le réveil des vins fins dès la 2e moitié du XIXe à Bordeaux, en Bourgogne et en Champagne. C’est ainsi que Bordeaux vu le naître le classement de 1855 de grands vins fondés sur les notions de château, de terroir, de cépage et de prix bien sûr ou de notoriété pour ne pas froisser. Les auteurs reconnaissent que ce « classement s’avère encore pertinent aujourd’hui », prenant pour exemple Pontet-Canet, 5e cru classé, converti en biodynamie. (bon là on sent une petite tendance à soutenir ce type de profil…). Quelques paragraphes plus loin, retraçant les petits coups de canifs dans le classement avec Cantemerle (5e ajouté très tôt) et Mouton passé de 2nd à 1er crus classé en 1973,même si un Jean-Paul Kaufmann est favorable au statu quo, on relate que Loïc Pasquet serait plutôt favorable à un réexamen comme celui de Graves de 1959, tant il est vrai que « le foncier n’est plus le même qu’en 1855, donc le terroir n’est plus le même » dixit Loïc Pasquet (ça risque de tousser dans le landerneau). Mais on n’y est pas encore, il y a de la marge…

Un exemplaire de Liber Pater rouge La Scène millésime 2010

Revenons à nos moutons, la force du vigneron en recherche de vin fin, c’est en somme miser sur un fabuleux terroir. Ce fut le pari de Loïc Pasquet, ce Poitevin, qui trouva dans les Graves et ses sols drainants, « un terroir plutôt froid la nuit et chaud le jour où les vignes mûrissent harmonieusement leurs fruits,  avec des baies petites aux peaux épaisses qui libèrent peu de jus en vinification, synonyme de grand vin à venir » permettant la digne expression de ces cépages autochtones.

Fabrice Bernard, le PDG de Millésima est l’un des rares négociants de la place de Bordeaux à commercialiser Liber Pater © JPS

A l’heure où certains reviennent de l’ère industrielle et de la standardisation du goût, la typicité, qui n’a jamais disparue mais dont le terme avait peut-être été dévoyé, utilisé pour des raisons de marketing, fait ou pourrait faire son grand retour, exprimant pleinement le goût du lieu et du raisin. Bordeaux peut-elle suivre cet exemple ? Peut-être… ou pas.

En tout cas, la célèbre maison Millésima, leader de la vente de grands vins sur internet et en primeurs, possède quelques flacons de Liber Pater parmi ses 2,5 millions de bouteilles dans ses chais, quai de Paludate à Bordeaux. Pour Fabrice Bernard, le PDG :  « la clientèle n’est peut-être pas à Bordeaux, c’est plutôt une clientèle internationale… »

Ce vin là aujourd’hui, c’est vrai qu’on va plutôt aller le vendre sur des marchés américains, russes, asiatiques, et pourquoi pas le faire découvrir à ceux qui en ont envie :le tout est de trouver les amateurs qui ont envie de redécouvrir un vin tel qu’il était produit, c’est vrai que c’est une histoire, quelque chose de différent et c’est cela qui m’a plu dans cette histoire », Fabrice Bernard PDG de Millésima.

Christophe Château du CIVB © JPS

Le CIVB accueille ce livre sereinement « pour moi on n’avait pas perdu le goût des vins de Bordeaux, le goût des vins de Bordeaux il évolue », commente Christophe Château. « Je n’ai jamais vu des vins de Bordeaux d’il y a 1000 ou 2000 ans, donc je ne peux pas vous dire si les vins d’aujourd’hui sont très différents.

Le goût du consommateur a évolué, les vignerons, et le climat, ont évolué, c’est une évolution perpétuelle et ce dont je suis sûr c’est que la qualité des vins de Bordeaux est bien meilleure qu’il y a 10 ans, il y a 20 ans et encore plus qu’il y a 50 ans » Christophe Chateau CIVB.

Et de compléter :  « bien sûr, c’est une expérimentation et toutes les expérimentations sont intéressantes, et aujourd’hui le consommateur a besoin qu’on lui raconte de belles histoires et ça c’est une très belle histoire à raconter. C’est un joli coup marketing et ça fait parler de Bordeaux, on sera vigilant à ce que les règles de l’AOC soient respectées ou si c’est pas le cas qu’il fasse son vin sans IG (indication géographique) ». Quant à la critique formulée dans le livre sur l’uniformisation du goût, Christophe Chateau répond: « je ne suis pas d’accord avec cela. Oui il y a des modes où les consommateurs aimaient les goûts liés au feu, au bois, à la vanille, au réglisse dans les vins, et on allait avec plus de bois neufs, des bois chauffés, et aujourd’hui le consommateur il préfère le fruit, la fraîcheur, l’équilibre. »

« Le Goût retrouvé du Vin de Bordeaux » écrit par Jacky Rigaux et Jean Rosen aux éditions Actes Sud © JPS

Le nombre d’initiatives individuelles ces dernières années ne manquent pas, de plus en plus de propriétaires, viticulteurs retrouvent le sens du mot vigneron, ce paysan au service de la terre qui réussit à faire s’exprimer avant tout le goût et l’authenticité de la vigne. De là à dire qu’il n’ya  pas de bonnes choses à boire à Bordeaux, c’est faux, en revanche le goût de ce Liber Pater est bel et bien atypique, un grand vin fin de Bordeaux, avec des arômes de fruits, des notes florales assez exceptionnels. Dommage qu’il soit si cher, le grand public serait intéressé de le découvrir aussi mais la production en général avoisine 1500 bouteilles à 2000 bouteilles. Et comme ce qui est rare est cher…voilà aussi l’explication, mais pas seulement car si ce n’était pas un grand vin fin, il ne s’arracherait pas.

En août dernier, Wine Searcher a dévoilé le classement des 50 vins les plus chers au monde : Liber Pater se classe à la 17e place, avec un prix moyen de 4.321 dollars, devant Petrus mais juste derrière la Romanée-Conti. 

« Le Goût Retrouvé du Vin de Bordeaux » aux éditions Actes Sud par Jacky Rigaux et Jean Rosen. A paraître le 5 septembre. 21 €

Retrouvez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Pascal Lécuyer et Boris Chague :