Depuis le 1er janvier, les vignerons qui le souhaitent peuvent planter des vignes partout en France, pour certaines sans indication géographique. Une tempête dans un verre d’eau (ou de vin) car même si la réforme européenne autorise de planter 8000 ha de vignes en plus, celles-ci seront surtout réservées pour des vignes à fort potentiel. A Bordeaux, les 450 ha de plantations nouvelles seront effectuées en AOC ou IGP, seulement 1 ha est réservé pour les VSIG.
On aurait pu craindre une libéralisation à outrance et une destabilisation des vignobles en France. Les organismes professionnels et syndicats viticoles ont veillé au grain et il n’en sera rien.
En effet, la réforme européenne inverse les autorisations de plantation: auparavant l’extension des vignobles était interdite et devait être justifiée par les demandeurs. Désormais les plantations sont autorisées a priori dans la limite de 1% du vignoble existant. Les producteurs ont toutefois obtenu des contingents pour limiter ces autorisations de plantation, principalement dans les zones d’AOC.
Marc Médeville est viticulteur à Cadillac en Gironde, à la tête avec son frère et son cousin de 180 ha en AOC Bordeaux, Bordeaux Supérieur, Cadillac-Côtes de Bordeaux et Graves: « 1% d’évolution, ce sera juste la surface compensée car naturellement par l’urbanisation outrancière qu’on peut avoir sur certaines communes le vignoble était en train de se rétrécir. Donc c’est juste un rééquilibrage pour que Bordeaux garde sa force de production. Les plantations, c’est déjà maintenir notre outil de production en l’état et c’est souvent des investissements collossaux pour nos entreprises. Moi ça fait 25 ans que je suis viticulteur, ça fait 25 ans que je plante 5 à 6 ha par an. Les règles administratives ont changé mais au final rien ne changera. »
Pour Bernard Farges, le Président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, il n’y a pas trop de crainte à voir l’ordre établi et le marché bouleversé : « Les vins sans IG sont des vins qui existent déjà sur le marché en Espagne, en Italie et en France bien sûr, un peu à Bordeaux entre 1 et 2% de la production bordelaise. Le nouveau système d’encadrement de plantations permet de planter quelques hectares de vignes de ce type-là, pour la Gironde ce sera très faible : 1 ha pour l’année prochaine, donc c’est vraiment très encadré. »
Très faible mais plutôt dérisoire, non ? « Pour la Gironde, c’est dérisoire car les professionnels ont décidé de ne pas accroître ce type de vignoble-là puisqu’il y a déjà 115000 ha de vignes en Gironde. S’il n’y a pas plus de production de vins sans IG, c’est parce que les producteurs ont compris que c’était plutôt une production parfois de misère et qu’il valait mieux investir dans l’AOC ou l’IGP mais surtout l’AOC en Gironde pour espérer gagner sa vie avec la production de vin. C’est peut-être un vignoble d’avenir mais sûrement pas à Bordeaux, pour des producteurs qui auraient un vrai partenariat avec le négoce, sur une logique industrielle qui n’est pas celle des AOC; donc ce sont des vignobles qui s’implanteront ailleurs que dans les vignobles traditionnels. Ce sont des produits qui sont à des prix très très faibles ,comme les anciens vins de table; le Languedoc Roussillon a arraché des dizaines de milliers d’hectares de vignes de production de vins de table…Aujourd’hui, il y a la possibilité de redévelopper ce vignoble-là, beaucoup de viticulteurs réfléchiront à deux fois avant de se lancer dans ce type de production. »
Depuis 15 ans à Bordeaux l’accent a été mis sur davantage de qualité, donc pas question de revenir à du vin de table façon années 60-80, toutefois il y a la place pour ceux qui souhaitent en faire comme c’est déjà le cas. Certains châteaux ont décidé parfois de se lancer dans ces vins de table pour éviter des contraintes, ou parfois retoqués comme le second vin de Pontet Canet en 2012 qui s’est transformé de Pauillac en Vin de France, ce qui lui avait valu un bon coup de pub au final et lui avait permis de vendre ces bouteilles collectors.
Ces vins sans indication géographique pourront être produits en Bretagne au pays de l’artichaut ou dans le Nord celui de la betterave, pour les entrepreneurs qui osent. D’autant qu’en Grande-Bretagne, à l’heure du réchauffement climatique, il y a déjà près de 300 viticulteurs…
Tout cela ne déstabilise pas Marc Médeville qui me confirme: « Nous, ça nous fait pas peur. A Bordeaux ça se faisait déjà, il y avait 100 000 à 200000 hectolitres de vins sans IG. Ils ne portent pas le nom Bordeaux, ils ne garantissent pas non plus d’un qualité… c’est du vin sans appellation géographique. Il y aura du vin pour tous les consommateurs, il faudra faire le tri dans tout ce qui va être produit, mais je ne crois pas qu’il y en ait énormément car on ne s’improvise pas viticulteur quand même. »
Une chose est sûre : aujourd’hui le consommateur préfère boire moins mais mieux qu’il y a plusieurs décennies. Une consommation souvent occasionnelle et festive qui donne libre court à l’évasion; des crus classés, de grands vins et petites pépites d’AOC ou d’IGP, et pourquoi pas des vins de table, délire parfois de certains vignerons. Les producteurs sont attachés à leur identité, à leur 60 AOC de Bordeaux et à leur terroir. Du moment que c’est bon tout le monde s’y retrouvera.