On a assisté hier à une passe d’armes entre d’un côté Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran et de l’autre Bernard Farges, avec en toile de fond les traitements phytosanitaires que celui-ci effectue sur sa propriété. Les deux responsables d’associations Alerte aux Toxiques et Info Médoc Pesticides ont fait analyser une cuvée 2014 de la production du viticulteur et vice-président du CIVB, et ont trouvé 16 molécules de pesticides. Bernard Farges de son côté a écrit une lettre ouverte à ces deux militantes où il regrette cette attaque mais confirme que le monde viticole et sa propriété sont en train de changer. Voici leurs échanges musclés.
Bernard Farges au bar à vins du CIVB à Bordeaux © JPS
En début d’après-midi, ce vendredi Bernard Farges, figure de Bordeaux, puisqu’ancien président du CIVB, et vice-président actuel, envoie une lettre ouverte à Valérie MURAT et Marie-Lys BIBEYRAN : « Vous avez diffusé ce matin un communiqué de presse me mettant en cause personnellement. Cette attitude est regrettable sur la forme, mais plus encore sur le fond, puisque vous faites état de résultats d’analyses mettant en évidence des traces de 16 pesticides dont 4 CMR retrouvés dans mon domaine le Château de l’Enclos 2014. »
Le matin même, ces responsables d’associations qui luttent contre les pesticides, dont un père et un frère sont décédés des suites de traitements qu’ils effectuaient dans les vignes, n’y étaient pas allées avec le dos de la cuillère et faisaient une attaque plutôt virulente : « Stupéfaites d’entendre M. Farges assumer encore, à l’été 2017, l’utilisation de produits phytosanitaires classés CMR sur son propre domaine,* nous avons donc fait analyser les résidus de pesticides du Château de l’Enclos 2014, cuvée phare de la cave de Sauveterre et propriété de « Mrs. Farges ».Après lecture des résultats d’analyse, nous nous frottons les yeux. On en a pour son argent ! 16 molécules de pesticides retrouvées dont 4 cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ».
Valérie Murat m’explique aujourd’hui :« on n’a pas choisit Bernard Farges comme un vigneron comme les autres, mais à 3 titres en tant que vice-président du CIVB, représentant des Grands Vins de Bordeaux et Président de la Fédération Européenne des vins sous Appellation. Il a un devoir d’exemple ».
Bernard Farges leur rétorque que « vous souhaitez disqualifier mon engagement réel et sincère de réduction et de sortie à terme de l’usage des pesticides, engagement que j’ai pris publiquement en avril 2016 lorsque j’étais Président du CIVB. Je voudrais vous rappeler avec force que le monde viticole est en train de changer répondant ainsi aux attentes de la société dont il fait naturellement partie. Oui, je ne suis ni meilleur ni plus mauvais que la plupart des vignerons de notre région. Je suis même tout à fait représentatif des profonds changements en cours. J’ai fortement diminué l’utilisation de pesticides depuis 2016 et j’ai également limité le recours aux CMR à chaque fois que c’était possible. J’espère bien réussir, en 2018, à n’en utiliser aucun. »
Et de confirmer « ce sujet est aujourd’hui dans la tête de tous les viticulteurs, on sait que l’utilisation globale va beaucoup baisser en Gironde et globalement que la transition est en cours. Le mouvement aujourd’hui est plus rapide. La communication de Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran leur appartient ».
Et les militantes de dire : « Quelle crédibilité reste-t-il à des responsables qui tiennent un discours et agissent autrement ? » Bernard Farges de leur rétorquer : « Votre attitude Mesdames est d’une rare mauvaise foi. Délibérément vous choisissez un vin de 2014 alors que vous savez pertinemment que mon engagement au nom de la filière viticole bordelaise date d’avril 2016. Pourquoi me déniez-vous le droit de changer ? Le droit de faire mieux ? Pourquoi ne regardez-vous pas la réalité telle qu’elle est ? Pourquoi ne m’accordez-vous aucun crédit alors que précisément je mets en accord mes actes avec mes discours ? »
Bernard Farges confirme aujourd’hui que « le mouvement est enclenché, massif et puissant. »
Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran terminent en disant « Nous attendons, que derrière l’enfumage du double discours, apparaisse enfin une vraie stratégie offensive de sortie des CMR à Bordeaux. Les riverains, les salariés et les vignerons méritent bien cela. Leur santé ne peut se contenter d’un simple « principe » d’évitement ».
Enfin la parole à la défense : « Je sais Mesdames que vous avez eu à souffrir à titre personnel de ces pratiques anciennes, nous avons d’ailleurs eu l’occasion d’en parler à Bordeaux à maintes reprises. Plutôt que d’alimenter une polémique vaine et injuste par médias interposés, et de choisir la voie de l’attaque personnelle, je trouverais plus constructif de mettre nos énergies et nos compétences en commun pour accompagner la dynamique engagée à Bordeaux. Je vous le propose à nouveau ».
Ce vif échange intervient près d’un mois après l’enquête de Que Choisir qui avait analysé 40 châteaux à Bordeaux et montré qu’en 4 ans, il y avait eu une diminution par 3 des résidus, molécules et traces de pesticides. (« Enquête bidon » selon Valérie Murat, le protocole d’analyses est insuffisant; il n’y a pas de législation pour établir une LMR limitation maximale de résidus, il y a un vide juridique ».) L’émission Cash Investigation sur France 2 remonte à 2 ans, pour ces militantes la vitesse à laquelle les changements interviennent n’est pas suffisante, elles réclament l’abandon des produits avec CMR les plus dangereux.
Une chose est sûre le dialogue serein est à privilégier, alors de part et d’autre, laissez retomber la pression et parlez-vous, dans un respect mutuel.