Dans les vignes du château de Pommard, un homme retourne la terre entre les pieds de pinot noir à l’aide d’une charrue et d’un cheval. Le prestigieux domaine bourguignon, racheté en 2014 par l’entrepreneur américain Michael Baum, se convertit à la biodynamie.
Au bout du rang, Emmanuel Sainson, chef de culture du domaine, tient dans une main un bloc de terre compacte d’une parcelle encore travaillée au tracteur. Dans
l’autre, celle qui vient d’être labourée coule entre ses doigts comme de la semoule. Avec un cheval, « on ne tasse pas comme avec un tracteur, donc la vie microbienne du sol n’est pas abîmée », explique-t-il. « On est vraiment sur le respect de la plante, du terroir. On en revient à ce que nos ancêtres faisaient avant ».
De cette terre fraîchement retournée émergent des vers de terre ou des fourmis, que le labour a dérangés en plein travail. Un écosystème a repris possession des
lieux.
« La biodynamie, c’est la vigne, le sol, la plante, les raisins. C’est un tout, du bourgeon d’hiver jusqu’à la récolte », ajoute le responsable de la vigne, désormais traitée avec des préparations à base d’orties, d’osier ou de bouse de vache fermentée dans une corne.
Un traitement « très proche de l’homéopathie », fait valoir le directeur technique Emmanuel Sala, destiné à activer les défenses naturelles de la plante et à se passer de produits chimiques de synthèse. Le soufre est toujours utilisé, notamment dans la vinification, mais en très petite quantité.
Le calendrier lunaire et les forces astrales rythment aussi les traitements de la vigne, la mise en bouteille et même les périodes idéales pour déguster le vin.
De quoi basculer dans un registre trop ésotérique pour certains esprits cartésiens. « On a du mal à être pris au sérieux parce que ça paraît un peu surréaliste mais
pourtant c’est la vérité », répond Emmanuel Sala, qui affirme ne plus s’en inquiéter et préfère mettre en avant le contenu de ses flacons.
« Finalement, est-ce qu’on demande à un vin de sentir la fraise ou la framboise? », interroge le maître de la vinification, qui préfère « une fragrance de fraise qui passe puis, derrière, une framboise, puis d’un seul coup de la ronce, puis un peu de champignon… » Ses vins sont « plus complexes » et reflètent davantage le terroir, résume-t-il. « On le met en bouche et on prend une baffe parce que c’est un bol d’énergie qui arrive », décrit-il, goûtant sur fût un Simone 2016, issu de l’une des premières parcelles cultivées en biodynamie.
En 2014, Michael Baum, jusqu’ici entrepreneur à succès dans la Silicon Valley, a pris possession du clos de 20 hectares – le plus grand « monopole » (domaine privé d’un seul tenant) de la région. Et Emmanuel Sala lui a immédiatement parlé de biodynamie. « J’ai été convaincu très vite que c’est ce qu’il fallait faire », raconte le nouveau propriétaire, qui roule en voiture électrique et se dit emballé par cette « façon naturelle de faire du vin ».
En termes de main d’oeuvre, c’est « sans doute 3 à 4 fois plus cher les premières années« , reconnaît-il. Mais à long terme, « c’est en fait moins cher, cela permet de conserver un vignoble pendant 150 ans, contre 40 ou 50 avec des cultures commerciales », affirme l’homme d’affaires devenu vigneron.
Il affirme aussi, sans vouloir le chiffrer, que le produit des ventes a déjà presque doublé, en particulier grâce à de nouveaux clients « qui apprécient vraiment cette approche ». Fin 2018, toutes les parcelles du domaine seront labourées à cheval et le directeur technique espère obtenir en 2019 la certification « Demeter », qui est avec « Biodyvin » l’un des deux labels biodynamiques.
En Bourgogne, quelques dizaines de domaines se sont déjà convertis, dont des grands noms comme la Romanée-Conti, le Clos de Tart ou Bonneau du Martray. Ils sont un peu plus de 400 dans toute la France et la tendance va croissant.
AFP