L’Envers du Décor a ouvert il y a presque 30 ans à Saint-Emilion. Il faisait figure d’Ovni, et aujourd’hui c’est « the place to be ». De Paris à Bordeaux, des States au Japon, l’endroit est très connu et son gérant en est la figure emblématique. François des Ligneris a bousculé les codes à l’époque et s’est imposé avec son ouverture d’esprit avant-gardiste. Il fut ainsi le premier vigneron à faire des assiettes et des vins au verre, avec des productions viticoles de toute la France et du monde entier.
François des Ligneris, c’est l’empêcheur de tourner en rond. Quand il lance l’Envers du Décor, « c’est un vendredi 13, le 13 février 1987″. Et pourtant, François des Ligneris, âgé de 32 ans, avait un avenir tout tracé comme le sillon dans la terre de Saint-Em, car sa famille détenait depuis des générations Château Soutard. « A l’époque, j’étais vigneron à Soutard, je travaillais la vigne, sur les tracteurs, je faisais tout le travail de base du vigneron. Mais je rencontrais aussi pas mal de monde en France, en Belgique et aux Pays-Bas quand ils faisaient des portes-ouvertes dans leurs châteaux, et je me disais que ça serait sympa de faire un lieu à Saint-Emilion pour tous ces gens, sans compter que le soir après ma journée de travail vers 22h, il n’y avait aucun endroit pour prendre une assiette avec un verre de vin, par rapport aux restaurants traditionnels avec un menu entrée-plat-dessert et une bouteille de vin…Aujourd’hui, cela paraît bizarre de dire cela car tout le monde le fait. J’ai ouvert ce lieu avec Pascal Fauvel, 1er salarié qui est parti par la suite chez Legrand à Paris. »
Je l’ai appelé l’Envers du Décor pour rappeler l’univers du spectacle, les coulisses du spectacle, que je fréquentais beaucoup; j’appréciais ces spectacles très rodés, à la note près, et je voyais cette vie dans les coulisses complètement autre.
L’Envers du Décor, c’est comme un théâtre avec des acteurs sur scène, qui disent des choses devant un public. Mais ce qui m’intéresse, c’est cette forme de réalité de la vie et non des choses apprises par coeur, car la réalité est toute autre. Et puis dans Envers, il y a vers… » François des Ligneris
Gérard Descrambe, viticulteur « en bio depuis toujours » à Saint-Sulpice de Faleyrens, un des piliers de l’Envers, se souvient des débuts : « au départ, c’était un échafaudage, il faisait des tartines avec un mec qui avait vendangé chez moi, la limonade ça n’était pas sa spécialité, les gens n’y croyaient pas du tout, il était un peu comme nous : on n’était pas dans l’axe ! » Gérard Descrambe est en effet le vigneron de château « La Renaissance » fournisseur officiel de Charlie et du Professeur Choron depuis 1974.
Gérard lui a dit un jour « si tu me fais une commande, je l’encadre et je la mets dans mes chiottes, elle y est toujours, je tiens mes promesses. » Et pour la petite histoire, les auteurs de Charlie et d’Hara Kiri ne disaient jamais sers-nous un verre de vin ou un canon mais » attrape-moi une bouteille de Descrambe. »
C’est vrai que ce bar unique a été réalisé à partir d’étais de chantier sur lesquels on a mis des étampes de caisses de vin. u début j’avais soudé moi-même ces étais. On était toujours en chantier, et puis on s’est agrandi en 1998, on s’est même beaucoup agrandi avec 3 salles différentes dont une avec cheminée, mais :
« La tour de contrôle reste ce grand bar qui accueille 7 jours sur 7 les gens pour prendre un verre » François des Ligneris
Avec ce nom hors des sentiers battus, François des Ligneris, ce polisson de Saint-Emilion, aimait croiser dans les ruelles les gens et entendre « tiens, ce soir, on va dîner à l’envers… ». Il se souvient aussi » des reproches de gens haut placés dans la hiérarchie : c’est un scandale de servir des vins autres que Saint-Emilion ou Bordeaux « , lui disait-on. Un pionnier, je vous dis ! « Je ne m’attendais pas à ce genre de reproches, je faisais découvrir du Bandol ou des Côtes du Rhône. Même Robert Parker n’était pas un familier des Côtes du Rhône, alors que moi j’étais déjà persuadé que c’était des grands vins. J’ai été le premier à servir des assiettes de fromages et de charcuteries et du vin au verre, avec un procédé qui s’appelait cruover, des vins sous azote c’était la grande nouveauté ! »
Et d’expliquer la brèche ou cette nouvelle tendance à découvrir la richesse des crus de l’ensemble des terroirs français et du monde entier : « il y avait des gens qui ne venaient plus que là pour découvrir les vins d’ailleurs. Dire cela aujourd’hui, cela paraît évident. Aujourd’hui, il y a aussi plein de sites « off » où l’on présente des vins en primeur : Espagne, Italie, Loire, Alsace…au moment des primeurs de Bordeaux. En 95, on avait aussi fait le 1er off avec Gérard Bécot. »
Tenanciers d’une maison d’hôtes à Moulon, » 5 Lasserre « , qu’ils viennent juste de céder à Frédéric et Christina Simon et de fêter cette cession à l’Envers du Décor, Anna et Pascal Bihler dressent le portrait du patron :
C’est l’emblème, l’icône de Saint-Emilion, un passionné jusqu’au bout des ongles », Anna Bihler gérante de maison d’hôtes à Moulon
» Ce lieu a été une vitrine extraordinaire, aussi pour château Soutard. Je n’avais pas besoin de billet d’avion ou d’attaché de presse, ici j’ai pu être en relation avec le monde entier des importateurs, des journalistes, des vedettes du théâtre, de la chanson, de la musique. Jean-Louis Trintignan aimait passer. La semaine dernière j’ai eu un rédacteur en chef de France Inter, une vedette du Top 14, ou l’ambassadeur du Mexique. Au début personne ne mesurait l’importance de cette vitrine pour Saint-Emilion et ses crus classés aussi. Depuis, tous les grands châteaux ont aussi fait cette alliance de la table et de leurs produits viticoles. J’ai aussi été un des premiers à faire un magasin comme les wineries américaines où l’on pouvait acheter des affiches de l’Envers du Décor, ou liées à mes vins ou produits dérivés ».
L’R de rien, François des Ligneris a instillé sa patte à Saint-Emilion, celui qui aime souvent à se présenter comme » ancien élève de l’école maternelle de Saint-Emilion « pour se moquer parfois des élites qui peuvent s’enorgueillir de sortir de l’ENA, s’est forgé son propre style, en dehors des codes, du merchandising, constamment il livre sa vision des choses comme son engagement » RESPECT : Répertoire Élémentaire de Simples Pratiques Environnementales, Culturelles et Techniques avec des produits frais et rien d’autre ; chez lui on y sert la soupe du marché, du poisson de la criée, une cuisine du marché qui varie tous les jours, avec toutefois des plats indémodables comme l’andouillette, les côtelettes de canard, le foie gras et la crème brûlée ».
Croisé également en terrasse Stéphane Derenoncourt consultant en vin : » j’étais un de ses premiers clients, quand je suis arrivé à Saint-Emilion en 90, ça a tout de suite été un repère ».
» François, c’est le mec le plus original, qui casse les codes bordelais, c’est un grand défenseur des produits du terroir au sens noble « , Stéphane Derenoncourt.
» C’est le 1er mec qui m’a accueilli à Saint-Emilion, et depuis on est toujours resté copains, » confie Stéphane Derenoncourt, le consultant en vin autodidacte. » » Le concept n’existait pas, il a fait cette ouverture qui fait que c’est devenu un repère dans le monde de la viticulture, des vignerons. Tout le monde rêve d’avoir son vin à la carte ici. «
François des Ligneris n’oublie pas de rendre grâce à sa grand-mère qui a acheté cette maison au départ pour faciliter la restauration de la petite chapelle car » on est vraiment au le coeur de Saint-Emilion, entre la chapelle du chapitre et l’église collégiale. Ce sont des bâtiments du XIVe siècle… » Puis à son père, « un homme très cultivé, qui n’était pas beaucoup axé mondanités. Il m’a permis de louer ce lieu et d’y faire des travaux, il m’a permis de faire ce projet ». Aujourd’hui, il reconnaît que sa fille Jeanne l’aide beaucoup depuis 6 ans, « elle s’occupe de la gestion, de la facturation, de tout ce qui est administratif » pour lui permettre de faire ce qu’il aime : son travail d’aubergiste.
L’Envers du Décor, ce sont 2 équipes de 20 personnes, l’établissement est en effet ouvert 7/7; » il y a aussi un volet social, les gens travaillent 15 jours et ont 15 jours de repos dans le mois. 30 % des salariés qui ont décidé de partir, pour expérimenter autre chose, sont revenus travailler ici. Il y a notamment l’un des 2 chefs, Bertrand Bordenave, qui a connu sa femme en cuisine. L’autre chef c’est Christophe Baillon, ils sont là depuis 10 et 12 ans ».
François des Ligneris, enfin, a ce côté poète qui fait qu’il cultive énormément les arts (grand amateur d’art contemporain) et les lettres : c’est lui qui a créé voilà 3 ans Vino Voce (le festival de la voix parlée et chantée à Saint-Emilion – prochaine édition du 9 au 11 septembre), dont il fut président des deux premières éditions. Il compte également lancer l’année prochaine « les rencontres d’auteurs de dessins contemporains ». Car au-delà des nourritures physiques, il aime aussi ces nourritures intellectuelles qui font de lui le « prince sarment », homme de coeur, de nervure et d’esprit.