04 Août

La LGV Sud-Ouest, toujours pas enterrée, inquiète les viticulteurs de Sauternes

La Ligne à Grande Vitesse qui relie Bordeaux – Toulouse et Bordeaux – Dax est toujours dans la tête des politiques, alors que la commission d’enquête publique a donné un avis défavorable. Les viticulteurs de Sauternes et les amoureux de la nature se disent très inquiets ! « Un projet désastreux, absurde et impopulaire », remis à l’ordre du jour : la LGV Sud-Ouest. Voici en substance leur cri d’alarme qu’ils ont envoyé à Côté Châteaux:

Xavier Planty,  président des Sauternes. © Jean-Pierre Stahl

Xavier Planty, président de l’ODG Sauternes-Barsac © Jean-Pierre Stahl

« Un projet absurde, impopulaire et totalement dépassé de Ligne à GrandeVitesse (entre Bordeaux et Toulouse, et Bordeaux et Dax) menace la vallée du Ciron, un écosystème unique au monde, qui est à l’origine du microclimat du sauternais et donc de la fameuse pourriture noble… Ou comment pour gagner
seulement 30 minutes* des technocrates et politiciens aveugles veulent détruire de façon irrémédiable un environnement, une culture, un trésor séculaire que le monde entier nous envie ! »

« La commission d’enquête publique chargée d’examiner ce projet a donné un avis défavorable extrêmement argumenté. Sur les 14000 contributions, 96% ont donné un avis négatif. Malgré cette écrasante majorité, le projet continue d’avoir des défenseurs acharnés. Or, si par malheur il était déclaré d’utilité publique et appliqué, notre environnement, notre production et toute la filière qui en vit seraient en péril. »

« Ce projet ne passe pas directement sur les vignobles, mais les menace de façon plus grave encore, en détruisant ce qui fait leur spécificité exceptionnelle : sans doute savez-vous que les Sauternes et Barsac doivent leur histoire multiséculaire, le raffinement exceptionnel de leurs vins, la renommée mondiale qui en découle, à la fameuse pourriture noble. Or, ce «Botrytis cinerea» est un champignon microscopique qui se développe dans des conditions de microclimat très spécifiques et rarissimes, dont nous avons la chance de bénéficier grâce à l’écosystème de la vallée du Ciron, un affluent de la Garonne. C’est justement cet écosystème unique au monde qui est aujourd’hui gravement menacé par le projet de LGV ! »

Ca se passe justement l’été, car le Président de la République doit prendre la décision d’utilité publique. Tout me laisse à croire qu’il va décider de façon positive pour la LGV. Ce qu’ils attendent, c’est qu’il y ait des recours et que la justice tranche. Mais les recours en attendant n’arrêtent pas les procédures d’expropriations »  Xavier Planty Président de l’ODG Sauternes-Barsac

Des grains botityséS et passeriés © JPS

La fameuse pourriture noble qui se forme miraculeusement dans la vallée du Ciron © Jean-Pierre Stahl

LE MIRACLE SAUTERNAIS

« La vallée du Ciron est véritablement à l’origine du miracle sauternais. Il existe en effet dans cette zone un bassin versant comprenant de nombreuses rivières souterraines et nappes phréatiques peu profondes qui alimentent la rivière Ciron, laquelle est abritée au creux de gorges étroites, ombragées par une ripisylve. Les eaux naturellement froides de la rivière (14°) finissent leur cours dans le sauternais, pour se jeter à Barsac dans la Garonne, provoquant des brouillards souvent épais qui sont la clé indispensable du développement de la pourriture noble. »

Sauternes - le brouillard se dissipe.

Sauternes – le brouillard se dissipe © vinsvignesvignerons.com

« Le vignoble s’est développé depuis des siècles autour de la partie aval du Ciron, et c’est bien la rivière qui a véritablement créé la spécificité des appellations Sauternes et Barsac. Eaux froides, eaux chaudes : le Ciron se jette dans la Garonne et chaque matin d’automne le brouillard monte dans la vallée, envahit le vignoble et mouille les raisins mûrs. L’après-midi le soleil les sèche. De cette alternance mécanique naît le miracle de la pourriture noble : Botrytis cinerea se répand avec l’humidité du brouillard, puis le soleil et le vent le contraignent à acquérir ses lettres de noblesse…La prolifération vulgaire cède la place à la rédemption de la moisissure. Pénétrant la baie, le champignon magique crée les conditions d’une concentration de la baie de raisin, bien plus encore il devient l’alchimiste qui permettra de changer le jus en or. En attaquant son hôte, le parasite le sublime, il modifie son métabolisme pour exalter sa richesse, son équilibre, son potentiel aromatique. Concentration, rééquilibrage des acides, création de glycérine qui donne de la rondeur, et peut-être surtout, multiplication invraisemblable des précurseurs aromatiques, qui permettront à la fermentation de libérer ces milliers de notes aromatiques qui font des sauternes les plus grands parfums…à humer et à boire. »

Yquem, 1er cru classé de Sauternes, l'emblème myhique... © JPS

Yquem, 1er cru classé de Sauternes, l’emblème myhique… © JPS

« Ces vins de renommée internationale ont fait vibrer de tout temps de grands amateurs, de Jefferson aux tsars de Russie, en passant par Colette, Cocteau ou Coco Chanel… et ils sont aujourd’hui très appréciés sur le marché international. Parmi ces vins que le monde entier nous envie, citons notamment 27 Crus honorés par le célèbre Classement de 1855, dont 11 Premiers Crus Classés, et le seul et unique Premier Cru Supérieur, le mythique Château d’Yquem…
Soulignons que ces vins uniques ont un cahier des charges déposé auprès de l’Union Européenne, qui met l’accent sur le caractère déterminant de la vallée du Ciron dans leur terroir et leur essence même. »

« Les vignobles de Sauternes et Barsac couvrent 2200 hectares, sur une zone de 6000 hectares, ils représentent 170 producteurs, font vivre directement de nombreux foyers, et bien plus encore indirectement. Ils sont garants, avec d’autres acteurs économiques et sociaux, de la préservation du paysage de tout ce territoire, par ailleurs remarquablement beau et historiquement très riche, qui attire de plus en plus : l’oenotourisme y est en plein essor et représente un avenir très encourageant pour cette appellation et bien au-delà. »

Sylvio Denz, le président de Lalique, rachète Lafaurie Peyraguey

Sylvio Denz, le président de Lalique, a achèté en 2014 © Lafaurie Peyraguey

UNE FAUNE ET UNE FLORE UNIQUES AU MONDE

« La vallée du Ciron, zone humide à l’écosystème très particulier abrite d’autre part une faune et une flore dont la richesse, la variété et la rareté sont tout à fait extraordinaires ! On y trouve notamment une forêt résiduaire unique au monde, une hêtraie ripisylve vieille de plus de 40 000 ans, qui a résisté aux glaciations et aux réchauffements grâce au microclimat frais de cette zone, auquel elle participe en retour. Elle est étudiée de très près par l’INRA, et son patrimoine génétique unique en Europe a été retenu en priorité par la Commission des Ressources Génétiques et Forestières pour sa conservation, en tant que réservoir génétique potentiellement utile en période de réchauffement climatique. La biodiversité de la vallée du Ciron est exceptionnelle à maints autres niveaux : visons d’Europe (menacés d’extinction), cistudes (tortue d’Europe), loutres, population exceptionnellement variée de poissons de rivière, nombreuses variétés de chauvesouris et d’insectes, variétés de fleurs sub-montagnardes, nombreux champignons rares… »

« Cette vallée totalement unique devrait donc être considérée comme un patrimoine commun à préserver en priorité, a fortiori dans cette période de changement climatique ! Et pourtant, c’est tout l’inverse qui se passe : elle ne cesse d’être agressée par des infrastructures gigantesques et souvent inutiles, comme cette autoroute Bordeaux-Pau, superbe éléphant blanc dont nous vous engageons à consulter les statistiques de fréquentation… »

Regardez le reportage de Candice Olivari et Thierry Julien sur le Ciron menacé par la LGV (du 5 décembre 2014)

UN PROJET RUINEUX, INCOHÉRENT ET IRRESPONSABLE, DONT L‘UTILITÉ PUBLIQUE EST TRÈS CONTESTÉE

« Ce projet de LGV fait vraiment dans ce contexte figure de véritable provocation au bon sens, à la logique et au respect minimal de ce que nous avons de plus précieux : elle s’acharne en effet sur cette vallée, prévoyant de créer une énorme balafre coupant 3 fois le Ciron, 30 de ses affluents et plus de 80 de ses contributaires ! Que RFF prétende dans ce cas qu’il n’y aura pas de conséquences sur l’environnement dépasse l’entendement : les répercussions sur les réseaux hydrographiques des petits et moyens cours d’eau et sur les zones humides connexes seraient en effet irrémédiables, non seulement par les travaux gigantesques envisagés que par l’entretien des voies à grands renforts d’herbicides. RFF rejette toute idée d’incidence du projet sur nos vignobles
sous le prétexte un peu court qu’ils ne sont pas directement traversés…Avons-nous déjà observé une plante capable de survivre à la destruction de ses racines ?! »

« Dans notre contribution à l’enquête publique, nous avons émis de nombreux arguments, dont certains ont été développés par plusieurs associations environnementales sérieuses s’appuyant sur des connaissances scientifiques incontestables. Cerise sur le gâteau de l’incompétence, TIGF (Transport et Infrastructure Gaz France) a révélé dans sa contribution à l’enquête publique que le tracé avait été prévu au niveau d’un noeud de gazoducs très conséquent, dont visiblement les experts de RFF ne connaissaient même pas l’existence, et qui coûterait des milliards d’Euros à déplacer !

Château la Tour Blanche 1er cru classé de Sauternes

Château la Tour Blanche 1er cru classé de Sauternes © Jean-Pierre Stahl

Si tout cela ne suffisait pas, de nombreux experts dénoncent ce projet pharaonique et ruineux dont l’utilité publique est très sérieusement contestée, dont la rentabilité est plus que douteuse… La Cour des Comptes elle-même a sévèrement condamné cette obsession du TGV dont la logique économique et l’impact sur le développement du territoire sont devenus négatifs. Dans ce contexte, nous nous demandons quels intérêts politiques et industriels peuvent bien
aujourd’hui défendre ce projet que nous pouvons qualifier tout bonnement d’ubuesque sans prendre le risque d’une quelconque exagération. De surcroît, il paraît particulièrement malvenu dans cette période financière difficile, ainsi que dans le climat actuel de contestation de projets sensibles d’aménagement du territoire. Le Président de la République lui-même ayant demandé dans ce cadre davantage de concertation, nous voyons mal comment ce projet insensé pourrait voir le jour. »

Des vins de légende rayés d'un coup de crayon sur une carte ? © JPS

Des vins de légende rayés d’un coup de crayon sur une carte ? © JPS

« Néanmoins, notre inquiétude est grande face à l’obstination de certains élus comme Alain Rousset, Président du Conseil Régional d’Aquitaine, qui a appelé il y a peu à manifester pour ce projet insensé et totalement déphasé. Les conséquences aux plans socio-économique, environnemental, humain et culturel de ce projet seraient donc clairement catastrophiques. Les opposants à ce projet, qu’ils soient viticulteurs, associations environnementales
et locales, sont très déterminés mais veulent éviter tout dérapage. Mais il est clair que la mise en oeuvre d’un projet aussi impopulaire constituerait un point d’achoppement très sensible, avec un risque élevé de débordements insurrectionnels et d’occupation de type ZAD… ce qui serait dommageable pour tout le monde. Si le gouvernement veut éviter cela, il faut purement et simplement enterrer ce projet absurde et dangereux ! »

Regardez ce reportage sur le miracle du botrytis à Sauternes en octobre 2013 par Jean-Pierre Stahl et Didier Bonnet