Suite à la lettre ouverte au Président de la République, les viticulteurs de Sauternes et défenseurs de la nature espèrent une prise de conscience et une solidarité des Français face au projet de LGV au sud de Bordeaux. Ce projet qui avait reçu un avis négatif suite à l’enquête publique pourrait être relancé. Côté châteaux a enquêté sur place et a recueilli les réactions de ceux qui pourraient être impactés.
Gabriel de Vaucelles est le propriétaire de château Filhot, un cru classé de Sauternes. S’il y a bien quelqu’un qui a ses racines profondément ancrées dans ce terroir de graves, c’est bien lui : « ma famille est propriétaire depuis 1709, nous sommes déçus que ce projet prenne forme et mette en péril Sauternes. Pourquoi le projet a été aussi abouti, la LGV aurait pu longer l’A62 ou l’A 65, plutot que d’impacter la zone humide du Ciron. »
Sauternes est connu dans le monde entier, si le microclimat évoluait ça serait très dur pour l’image de la France, ça montrerait le mépris de certaines élites pour les spécificités régionale, pour les AOC françaises et la population française ne comprendrait pas », Gabriel de Vaucelles propriétaire de château Filhot
Xavier Planty, le président de l’ODG Sauternes-Barsac, a tenu à nous montrer les Gorges du Ciron à Bernos-Beaulac, un petit coin de paradis où commence l’alchimie et le mystère du Sauternes. Cette rivière qui prend sa source dans les Landes va se jeter 98 kilomètres plus loin dans la Garonne. Cette rivière est en fait la cheville ouvrière du vin de Sauternes, sans qui la magie du botrytis ne s’opérerait pas…
« Le Ciron est alimenté par de nombreuses sources entre l’eau superficielle et l’eau souterraine. La température maximale du Ciron est de 16°, une température constante d’où cette formation de brumes ou brouillards matinaux avec des pics de chaleur« , explique Xavier Planty. C’est grâce à cette humidité ambiante et à la chaleur que se forme de fin septembre et jusqu’à début novembre chaque année la pourriture noble dont le nom savant est le « botrytis cinéréa ».
A la question de savoir pourquoi autant d’agitation en plein été chez ces viticulteurs, Xavier Planty me répond: « on a la sensation que le Président de la République va donner son avis positif, prendre un arrêté d’utilité publique au mois d’août, pendant que tout le monde sera en vacances. C’est iminent. La pression des politiques locaux fait que c’est iminent. Quand un processus est mis en marche, on ne peut pas revenir en arrière. Avec le projet de la LGV, 1/3 du bassin versant ne pourra plus descendre au Ciron, (alors que jusqu’ici l’eau était froide), ca veut dire qu’on n’aura plus nos formations de brouillards matinaux ! »
Pour Alexandra Quenu, animatrice Natura 2000: « Le problème de la LGV, c’est le dysfonctionnement global que ça risque de provoquer sur la vallée du Ciron, induisant des effets sur la hêtraie. La menace, ça va être des conséquences au niveau climatologie, on avoir des ruptures dans ce fonctionnement. Pour ces arbres, c’est une rupture du mileu, le Ciron va être coupé 3 fois, il y a des viaducs qui vont passer, donc on va avoir un dysfonctionnement tant dans le milieu naturel que dans le fonctionnement des eaux ». Car ces arbres apportent de la fraîcheur au Ciron, qui leur rend également une ambiance humide.
Eric Pothier a lancé le 29 juin dernier avec une quinzaine de viticulteurs de Sauternes la cave coopérative « Sauternes Vignerons »: à l’heure où « beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur l’avenir qui se dessine pour Sauternes, nous avons décidé de nous unir pour préserver la place et l’image de notre appellation. »
« C’est une inquiétude générale, on a besoin de l’intégrité de la vallée du Ciron. C’est un enjeu territorial, d’autant que nous on vient de créer cette coopérative pour relancer Sauternes. Il faut que les choses soient claires pour l’avenir, qu’on ait cette certitude pour le long terme. »
C’est l’intégrité de notre terroir qu’il faut sauver. C’est le sens même du terroir a Sauternes. Ce botrytis vient du brouillard et de tout l’écosystème autour du Ciron ! » Eric Pothier, président de la Cave Coopérative Sauternes Vignerons.
Eric Pothier qui a reçu des soutiens pour relancer Sauternes à travers son projet de coopérative, ne comprend pas cette attitude inverse qui ferait abstraction totale de ce microclimat, de cet écosystème pour que passe cette LGV.
Sous prétexte de progrès, on a déjà entendu d’autres discours qui d’un trait de crayon écrasent des beautés d’architecture en pierre pour construire à la place des immeubles. On peut parfois s’arrêter pour mener une intense réflexion et avoir une vision d’avenir. L’avenir ici ? C’est sans doute celui de l’oenotourisme avec ce patrimoine architectural et paysager de Sauternes. Sauternes a déjà changé de braquet pour accueuillir un flot de touristes qui suivra le développement de la Cité du Vin de Bordeaux. L’avenir du TGV et de la LGV ? Il n’est pas démontré que les usagers à un moment donné ne se détournent pas de cette beauté de technologie qui certes peut représenter un progrès mais est concurrencé aujourd’hui par le co-voiturage, le bus ou encore l’avion ? Tout cela pour gagner quoi et à quel prix ? A l’heure ou la France et le rail croulent sous les dettes. La raison parfois rime avec Ciron, et il ne faudrait pas l’oublier.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl et de Pascal Lécuyer (Intervenants: Xavier Planty le président de l’ODG Sauternes-Barsac, Alexandra Quenu animatrice Natura 2000, Eric Pothier président de la cave coopérative « Sauternes Vignerons », Gabriel de Vaucelles le propriétaire de château Filhot)