C’est un profond malaise pour certains qui n’arrivent plus à vendre… Et pourtant, ils sont amoureux de leur métier. Fabien Ribéreau, fait partie de ces vignerons qui n’ont pas attendu un hypothétique plan d’arrachage que financerait l’Europe, de concert avec le ministère de l’Agriculture…Il a commencé à le faire, pour mieux valoriser ses vins qu’il vend en vrac au négoce et abaisser ses coûts de production et d’entretien de son vignoble. Néanmoins il garde son amour pour la vigne et continue à aller de l’avant. Le collectif des viticulteurs réclame un plan d’arrachage de 10 à 20% du vignoble à Bordeaux.
Un amas de ceps de vigne et de piquets en bois… Ce n’est pas de gaité de coeur que Fabien Ribéreau, vigneron de 49 ans, a anticipé et déjà arraché de beaux pieds de cabernet franc sur un beau terroir argilo-graveleux…
C’est triste car c’est de la vigne que j’ai planté avec mon papa quand il était encore de ce monde… », Fabien Ribéreau, vigneron du château Bellevue à Cadarsac.
« C’est toujours un crève-coeur, réduire la production oui bien sûr pour rééquilibrer les marchés l’offre et la demande, je pense que c’est du bon sens cela paraît être une bonne mesure, cependant c’est quand même un aveu d’échec…Et c’est très triste pour le vigneron, je ne suis pas encore à l’âge de la retraite… Je ne pensais pas prendre cette décision là un jour, contraint et forcé… Je l’ai fait à frais pour que cela ne me coûte pas trop cher, histoire de tenir un peu plus gagner du temps en espérant des jours meilleurs… »
Depuis le printemps dernier, Fabien Ribéreau a arraché 9 hectares de vigne… Trop cher à entretenir… Il lui reste 50 hectares et il continue fièrement son métier, c’est toute sa vie… Sa nouvelle récolte de Bordeaux, comme toujours il va la vendre au négoce mais malheureusement en dessous du prix de revient.
« Bien que les raisins aient souffert de la sécheresse, il y a quand même de très beaux raisins de très belle qualité, c’est une vendange prometteuse. Il faut savoir effectivement qu’on risque de la vendre à perte… Ce qui est regrettable, on fait le même travail que nos voisins qui sont dans le monde du luxe, des grands noms du bordelais, on fait strictement le même travail avec les mêmes terroirs, les mêmes cépages, mais nous on a l’impression que notre travail ne vaut rien… »
Aujourd’hui on est à peu près à 1€ le litre, mais j’ai des confrères qui ont vendu cette année pour faire de la place à 70 centimes le litre, c’est ridicule ! Pour pouvoir vivre convenablement, il faudrait qu’on arrive à des niveaux de prix de 1,5 à 2€ le litre, » Fabien Ribéreau vigneron.
Du libournais au langonnais, il n’est pas rare de trouver désormais quelques vignobles à l’abandon en AOP Bordeaux ou en Entre-deux-Mers. Même si ce n’est pour l’heure qu’une infime partie. Ce sont souvent des fermages, des locations pour lesquelles les exploitants n’ont plus d’argent et ont baissé les bras. Pour le collectif de viticulteurs qui comptent des vignerons et des maires ruraux, il y a urgence… Ils ont lancé une pétition qui a déjà obtenu 800 signatures. L’arrachage va éviter la prolifération de maladies de la vigne, comme la cicadelle dorée ou le phylloxéra, et permettre à certains de prendre leur retraite quand il n’y a parfois pas de repreneur…
Cela fait quelques années qu’on alerte nos dirigeants qu’il y a trop de vin à Bordeaux, on le sait, il y a 1 million d’hectolitres de trop dans le département…Il faut qu’on adapte l’offre et la demande, donc il faut arracher…
Il faut arracher minimum 10 000 0 15 000 hectares pour rééquilibrer l’offre et la demande », Didier Cousiney porte-parole du collectif de viticulteurs.
« Nous regrettons le risque de drames humains car on sait très bien que la pression est très forte notamment des créanciers et de toutes les dettes qui pèsent de plus en plus sur le moral… Est-ce que la viticulture est un métier d’avenir pour eux tout le monde se pose la question », commente Bastien Mercier des vignobles Mercier viticulteur et maire de Camiran.. Et il y en a qui sont vraiment au bord du gouffre… « Oui car il y a une fierté paysanne qui fait qu’on parle très peu des problèmes, on les garde beaucoup pour soi, la pression monte et malheureusement ce qui arrive on le découvre trop tard… On a planté pendant des années, pour répondre à la demande, mais on n’a pas prévu pour demain… Aujourd’hui, il se passe quoi ? Les Français consomment de moins en moins de vin, une concurrence déloyale et beaucoup plus importante au niveau mondial avec des différence de traitement, des différences de normes, de production…
Aujourd’hui beaucoup de pays se sont mis à faire du vin, donc forcément le marché et la part bordelaise baisse… De ces conclusions, on repère qu’on a une surproduction, d’un peu plus d’1 million d’hectolitres supplémentaires… » « Et du coup l’offre étant supérieure à la demande, nous faisons tomber le prix du tonneau…Et aujourd’hui, les infrastructures ne peuvent plus vivre car elles sont en dessous du prix de revient. »
Beaucoup ont du mal à vendre, le prix moyen du tonneau de 900 litres à Bordeaux est de 1000€ mais les petits se plaignent d’un prix de 600-650 pour l’appellation générique Bordeaux qu’on leur offre quand il y a des offres… Didier Cousiney nous montre ses chais qui sont encore pas mal remplis… « Tu vois les cuves blanches là, 1, 2 , 3 , 4 , 5 pleines…Invendues, invendues… 1200 hectolitres en rouge… »
Les méventes en Chine, aux Etats-Unis avec la taxe Trump, et en France en grande distribution, ou chez les restaurateurs durant la crise sanitaire, ont affaibli Bordeaux qui s’est retrouvé en surproduction quand la production dépassait les 5 millions d’hectolitres. Mais ces dernières années, le gel, la grêle et le mildiou ont permis un certain rééquilibrage.
« C’est une situation très très difficile pour les viticulteurs, bien souvent ce sont des viticulteurs qui sont en fin de carrière, qui n’ont plus à cause des sacrifices qu’ils ont du faire à cause des années précédentes et des pertes de récoltes, ils n’ont plus les capacités financières pour évoluer… Et nous sommes à leurs côtés et réclamons obtenir des aides pour faciliter cette fin de carrière et cet arrachage de vigne d’environ 10% du vignoble », commente Allan Sichel président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux.
Pour permettre ce plan d’arrachage, l’Europe va devoir l’autoriser de nouveau; le dernier plan s’est arrêté en 2008, à l’époque 3500 hectares ont été arraché à Bordeaux.
SOS vignerons et Florence Cardoso essaient d’accompagner au mieux ces viticulteurs et les incitent à se diversifier en misant davantage sur l’oenotourisme et en demandant des aides aussi en ce sens.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Laure Bignalet, Christophe Varone et Thierry Culnaert