Poutine a décidé de s’attaquer à l’appellation champagne et a suscité l’émoi dans le champagne! Maintes fois usurpée, par d’obscurs producteurs de vins mousseux, l’appellation du vin prestigieux trouve sur la longue route de sa préservation un obstacle de taille, une loi signée du président russe Vladimir Poutine lui-même, un litige qui pourrait se régler devant l’OMC, a prévenu Paris.
Cette nouvelle loi, signée vendredi, oblige les distributeurs de marques de champagne à inscrire sur la contre-étiquette, placée au dos de la bouteille, la mention « vin pétillant », réservant la traduction de champagne en russe – « Champanskoïe » selon la translittération française – aux producteurs russes de vins pétillants.
Une décision qui a « scandalisé » les producteurs de champagne, lesquels ont interpellé lundi les diplomaties française et européenne pour intervenir dans ce dossier. « Si d’aventure il y a des violations avérées des règles de l’Organisation mondiale du commerce, et bien nous poursuivrons, comme nous avions envisagé de le faire antérieurement à l’égard de la Russie. J’espère que le dialogue permettra de régler cette difficulté », selon Jean-Yves Le Drian, Ministre français des Affaires étrangères, à l’Assemblée Nationale.
Priver les Champenois du droit d’utiliser le nom « champagne » (en cyrillique) est scandaleux; c’est notre patrimoine commun et la prunelle de nos yeux », Maxime Toubart et Jean-Marie Barillère, coprésidents du Comité champagne.
Ils ont demandé aux entreprises champenoises de cesser toute expédition vers la Russie, jusqu’à nouvel ordre.
Selon le Comité champagne, si les vins de Champagne conservent le droit exclusif d’utiliser le nom champagne en caractères latins sur l’étiquette principale, cette nouvelle loi les oblige à renoncer au terme « Champanskoïe » et à se présenter sous le terme vin mousseux en caractères cyrilliques sur la contre-étiquette.
« Les Russes, ce qu’ils lisent, ce n’est pas le latin, c’est les caractères cyrilliques! », a déclaré à l’AFP Charles Goemaere, directeur général du Comité champagne.
La Russie n’est que le 15e marché d’exportation du champagne, avec environ deux millions de bouteilles sur les 150 millions vendues en moyenne chaque année hors de France, mais il est « relativement bien valorisé », parce que les Russes achètent de jolies cuvées, selon M. Goemaere.
Le Comité champagne regrette que cette loi « remette en cause plus de vingt ans de discussions bilatérales entre l’Union européenne et la Russie sur la protection des appellations d’origine ».
Déplorant n’avoir pas été informé de la mise en place de cette nouvelle législation, le comité se dit « déterminé à poursuivre les discussions avec les autorités russes pour obtenir le droit exclusif à l’usage du nom champagne.
Lancée en 1937, sous Staline, la marque « Sovetskoïe champanskoïe » devait désacraliser une boisson bourgeoise en la rendant accessible à tous les prolétaires de l’Union
soviétique. Parallèlement, plusieurs républiques avaient aussi lancé leur cognac, ou « koniak ». Ces boissons furent produites massivement et vendues à un prix accessible. Mais elles sont devenues par la même occasion synonymes de pâles copies de leurs versions françaises.
Après la dislocation de l’URSS, l’appellation « champanskoïe » a perduré, ce qui a commencé à poser problème, en particulier après l’adhésion de Moscou à l’Organisation mondiale du commerce en 2012. Elle reste aujourd’hui associée à une boisson festive et bon marché. Selon l’association russe des producteurs de vins pétillants, les usines du pays peuvent produire jusqu’à 220 millions de bouteilles par an, la grande majorité (216 millions) sur la base d’une méthode de production très différente de celle utilisée en France.
Appellation d’origine contrôlée, le terme « champagne » est jalousement défendu par la France, qui rappelle que le vin doit provenir d’un périmètre précis dans la région du même nom pour avoir droit de s’en prévaloir.
La défense de l’appellation Champagne est un combat ancestral des producteurs, qui se sont associés dès 1843 « contre les utilisations trompeuses de producteurs de vins mousseux », rappelle le Comité Champagne sur son site internet.
Depuis le milieu des années 80, il a cherché à étendre le champ de protection de l’appellation champagne contre les utilisations parasitaires qui en détournent et affaiblissent la notoriété. Un combat qui a débuté contre une cigarette et qui a notamment mis aux prises les viticulteurs de ce vignoble prestigieux avec un parfum de la maison Yves Saint Laurent.
Avec AFP