21 Jan

L’hommage de Gabriel de Vaucelles à Henri son père: « il a permis à château Filhot de rester parmi le cercle restreint des derniers grands crus bordelais gérés familialement »

Décédé dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, Henri de Vaucelles, le propriétaire de château Filhot, a laissé une trace dans le Sauternais. Côté Châteaux lui rend aujourd’hui un dernier hommage en laissant à son fils Gabriel le soin de nous parler de son père. Il est l’invité de parole d’expert.

Henri de Vaucelles © château Filhot

Henri de Vaucelles © château Filhot

Jean-Pierre Stahl : »Gabriel, Henri de Vaucelles, votre père, vous a quitté dans la nuit du Nouvel An, nous vous présentons nos plus sincères condoléances. Pouvez-vous revenir sur son parcours et nous dire ce qu’il représentait pour le château Filhot ?
Gabriel de Vaucelles: « Je vous remercie pour les marques de sympathie que vous nous témoignez. Fils d’ambassadeur, ingénieur de l’école des Mines, ayant occupé différents postes dans la filière nucléaire française, rien ne prédestinait mon père, en dehors du devoir et du sens de la famille, à reprendre la gestion de la propriété familiale à partir de 1972. Il prenait alors la succession de mon oncle Louis de Lacarelle qui était appelé alors à d’autres responsabilités. »

« Mon père s’est pourtant peu à peu imposé et a trouvé une voie propre au château Filhot, qui a permis à cette propriété de rester parmi le cercle restreint des derniers grands crus bordelais gérés familialement. »
« Tout en préservant le style et les caractéristiques des vins du Château Filhot, il avait su lui donner le virage de la modernité avec notamment la rénovation complète du chai en 1997. En 2002, il m’avait transmis la gérance du Château Filhot mais suivait toujours attentivement l’évolution du vignoble et aimait accueillir les journalistes ou les visiteurs. »

Vue aérienne du © château Filhot et de son parc

Vue aérienne du © château Filhot et de son parc

JPS: « Quelle image garderez-vous de lui et quels traits de caractère souligneriez-vous chez lui ? »

Gabriel de Vaucelles: « Homme de culture, mon père l’était assurément. Passionné par toutes les évolutions de ce monde, il était capable de citer des références historiques, religieuses et culturelles, du monde gréco-romain, en passant par la période médiéval jusqu’à notre époque. Ses interlocuteurs étaient souvent désarçonnés par cette approche à long terme fondée sur des exemples culturels foisonnants.
Libre penseur, mon père cherchait toujours à éviter toute les visions simplistes ou ethno-centrées de ce monde, qu’elles soient politiques, religieuses ou culturelles.
D’ailleurs, en toute humilité et discrétion, mon père aimait appuyer une multitude d’associations ou les recevoir dans le grand parc de Filhot.
D’une grande simplicité avec son éternelle cravate d’un autre âge, il avait toujours su éviter les signes d’ostentation ou de prétention et se faire apprécier de chacun par un mot délicat ou une attention.
Il avait enfin du respect et de l’amitié pour les salariés ayant travaillé et travaillant à Filhot en les considérant comme des membres de la famille et gardait une véritable tendresse pour les hommes et les femmes de cette région de Sauternes et plus globalement du bordelais, avec leur gouailles, leurs amours de la vie et leurs bagarres, dignes d’un bon village gaulois. »

Gabriel de Vaucelles gère le domaine depuis 2007 © château Filhot

Gabriel de Vaucelles gère le domaine depuis 2002 © château Filhot

JPS: « Quelle oeuvre, quelle trace a t-il laissé à Sauternes ? »

Gabriel de Vaucelles: « Hormis sa forte implication dans la promotion des vins de Sauternes, la Maison du Sauternes, l’Ambassade de Sauternes & Barsac ou la Commanderie du Bontemps de Sauternes et Barsac, son « oeuvre » principale reste, bien sûr, la modernisation du domaine et de ses équipements qui permettent aujourd’hui de bien valoriser notre exceptionnel terroir. A coté de l’évolution technique, il se préoccupait de la préservation de l’équilibre traditionnel des vins du Château Filhot fixé dès le 19ème siècle. Le Sauvignon blanc constitue toujours au moins un tiers de la composition du premier vin. Mon père, toujours inflexible, considérait d’ailleurs le délicat Sauvignon source de fraicheur comme le secret des plus grands Sauternes. »

Le © Château Filhot

Le © Château Filhot, Grand Cru Classé de Sauternes en 1855

JPS: « D’après vous a-il connu les meilleures heures de Sauternes ou peut-on espérer pour Château Filhot que vous incarnez aujourd’hui comme pour le Sauternais de grandes heures encore, voire un nouvel élan ? »

Gabriel de Vaucelles: « Mon père me disait souvent qu’arriver à Sauternes en 1972 lui avait permis de connaître plusieurs cycles climatiques en même temps que plusieurs cycles économiques. Ayant vécu la grande crise des vins de Bordeaux dans les années 1970, il relativisait la crise actuelle.
Les conditions climatiques exceptionnels rencontrées en 1975, 1979, 1988, 1989, 1990 et 2001 contrebalancaient, selon lui, les conditions climatiques difficiles de 1973, 1974, 1984, 1992, 1993 et 1994. Le vin de glace vinifié en 1985 s’opposait radicalement à l’opulent crème de tête de 1990. Son expérience du passé, sa connaissance des terroirs et sa passion pour les vins de Sauternes qui m’ont progressivement été transmises me permettent d’envisager sereinement l’avenir. »

Capture
« Enfin, permettez moi de terminer par un poème chinois que mon père aimait citer et associer au vin de grande garde qu’est le Sauternes. Lors de la rénovation du chai, nous avions découvert ce poème peint sur un panneau en bois caché derrière de vieux outils servant à entretenir les barriques. Ce panneau n’a jamais quitté son emplacement d’origine dans le chai »: http://filhot.net/doc/Chai-Barriques-2009.JPG

Le vin est un noble maître, pour qui le ciel et la terre ne sont qu’un matin, pour lequel l’éternité n’est qu’un instant. (Liou-Ling – 265 av. JC)