Entretien exclusif avec Ronan Kervarrec, le tout nouveau chef qui, à 47 ans, vient de reprendre les rênes de Plaisance à Saint-Emilion. Dirigeant précédemment les cuisines du Château de la Chèvre d’Or à Eze Village (06), il y avait décroché 2 étoiles au guide Michelin. Ce Breton au caractère bien trempé, propose une « cuisine facile à lire et à identifier », axée notamment sur « l’océan ». Un chef à la « cuisine franche et honnête » qui se livre dans Parole d’Expert pour Côté Châteaux.
Ronan Kervarrec : « j’ai mon propre style, ma propre cuisine » © Jean-Pierre Stahl
Jean-Pierre Stahl : « Ronan Kervarrec, vous êtes arrivé il y a plus d’un mois, comment trouvez-vous, tout d’abord, Saint-Emilion et Plaisance ? »
Ronan Kervarrec : « Magnifique ! Saint-Emilion, ça ne me change par trop d’Eze-Village car c’est médiéval comme ici. Plaisance est un établissement avec du goût, raffiné, et aussi avec une situation exceptionnelle.
A déguster : une petite soupe de laitue avec crème au piment d’Espelette…© JPS
JPS : « C’est pour vous un nouveau challenge ? »
Ronan Kervarrec : « Oui, je quitte un 2 étoiles et je reviens dans un restaurant qui avait 1 étoile au Michelin avec Cédric Béchade. Oui, l’objectif, c’est de récupérer les 2 étoiles Michelin. »
La salle de restaurant de l’Hostellerie de Plaisance © JPS
JPS : « Est-ce difficile de succéder à Cédric Béchade et, encore avant, à Philippe Etchebest ? »
Ronan Korvarrec : « J’ai mon propre style, ma propre cuisine. J’ai aussi succédé à Philippe Labbé, espoir 3 étoiles, deux années de suite… Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire et je vais faire ce que j’ai à faire. Je ne me calque pas sur les autres chefs de cuisine. »
Petite tartelette de betterave acidulée et boule de pastèque, sablé crème de livech et cône tartare d’algue crémeux au citron vert © JPS
JPS : « Alors Ronan Kervarrec, quel type de cuisine allez-vous proposer ici à Plaisance ? »
Ronan Kervarrec : « Je suis plutôt océan, tourné côté océan avec ses coquillages, fruits de mer, crustacés, poissons, j’aime les algues, j’aime l’iode, l’agrume, le fumé, le grillé et l’amertume. Ca, c’est ce que j’aime vraiment dans la cuisine. Je fais une cuisine très simple, facile à lire et à identifier.
Je ne recherche que les beaux et bons produits, j’essaie d’aller directement à la source, d’aller les chercher directement chez les producteurs. »
« C’est une cuisine qui est franche et honnête, j’aime que l’on reconnaisse ce que l’on mange, une lecture de l’assiette simple mais faite pour déguster avec du goût. »
Ronan Kervarrec, avec les propriétaires de Plaisance et de château Pavie Chantal et Gérard Perse : « c’est un Breton, il a du caractère, une fierté, il a du talent, il sait ce qu’il veut et c’est tranché, c’est carré… » © JPS
JPS : « J’imagine que mis à part l’océan, vous avez d’autres spécialités… »
Ronan Kervarrec : « Oui, j’aime aussi les abats comme le ris de veau, les fois, les coeurs, les fraises de veau, j’aime le boeuf mais pas le filet, les palerons, des viandes qui ont du goût, de la mâche. J’aime aussi la volaille, le pigeon, le gibier, les champignons, les noisettes, les châtaignes, des produits qui ont du goût, caractéristiques de la puissance et de la finesse. En fait j’aime beaucoup de choses. »
En cuisine, la préparation des assiettes © JPS
JPS : « Est ce que vous êtes plus cuisine moléculaire ou plus cuisine traditionnelle ? »
Ronan Kervarrec : « Oui les modes se démodent, ce qui ne se démodera jamais c’est la tradition et le savoir-faire ».
Cuisiner une cuisine traditionnelle, ce n’est pas « has been », au contraire, aujourd’hui on recherche de vraies valeurs »
« Les feux d’artifice, les poudres, c’est du passage, alors que la transmission, c’est un temps qui dure. Ce sont des expériences différentes, tout dépend de ce que l’on recherche comme expériences. »
Un véritable tableau et un festival de couleurs dans l’assiette © JPS
JPS : « Quelle approche avez-vous avec votre clientèle ? »
Ronan Kervarrec : « Il faut de la chaleur humaine, de l’accueil, il faut être détendu et professionnel et que la clientèle se laisse aller à ma cuisine. Il faut de la sensibilité et énormément d’attention vis-à-vis du client, une attitude de respect et de politesse aussi.
Il faut aimer les autres pour faire ce métier et vouloir faire plaisir, c’est l’essence même de notre métier.
Le chef sommelier Benoît Gelin depuis 14 ans à Plaisance, il a connu de nombreux chefs : Chrisophe Canati, Philippe Etchebest, Cédric Béchade et désormais Ronan Kervarrec ; « à sa carte plus de 80 vins de Saint-Emilion et Montagne avec 3 millésimes différents, voire plus pour certains » © JPS
JPS : « J’imagine que vous portez de l’intérêt aux accords mets et vins ? »
Ronan Kervarrec : « Un plat peut être bon mais devenir très mauvais ; le travail du chef sommelier, Benoît Gelin, est primordial pour passer un moment de bonheur. Présenter une assiette avec un vin qui ne correspond pas, c’est annuler la notion de plaisir.Il faut écouter ce qu’a à dire le sommelier pour adapter son plat à un vin. »
Dans la cave de service, de nombreux Sauternes, et le miel produit au château Pavie avec Bernard Simian apiculteur © JPS
JPS : Justement par rapport aux vins de Saint-Emilion, qu’est ce que vous aller proposer ? »
Ronan Kervarrec : « Il faut une cuisine de caractère car ce sont des vins bien charpentés. C’est un terroir qui a du caractère, il vaut une cuisine avec un côté « vif », car le côté terre est important avec ces vins qui ont du caractère, de la puissance, avec un côté boisé, un parfum de sous-bois, un côté fumé.
Comme pour les vins de Saint-Emilion, il faut de la puissance et de la finesse, il faut que ce soit équilibré »
Au centre Ronan Kervarrec le chef exécutif, juste derrière le second Anthony David, avec Christophe Meynard des Pépites Noires, et l’ensemble de l’équipe en cuisine de l’Hostellerie de Plaisance © Jean-Pierre Stahl
JPS : « Vous développez une cuisine avec des produits essentiellement locaux ? »
Ronan Kervarrec : « Oui avec Christophe Meynard, c’est l’enfant du pays, il m’aide beaucoup. C’est ça la cuisine, c’est une histoire humaine, de copains et d’amitié.
« Christophe lui est sur la truffe ( gérant des Pépites Noires, spécialiste des truffes de Gironde et développant une gamme de produits comme le beurre bio au sel truffé et les glaces à la truffe). Mais il fait aussi 2 heures de route pour aller me chercher de la viande de Bazas chez un boucher qui découpe, abat et vend ses boeufs. Il y a Yann avec sa cabane à huîtres, c’est un truc de dingue, avec de la passion et du savoir-faire. Et puis Luc Alberti en agriculture raisonnée, sans pesticide, il fait des produits frais qui ont du goût, il fait des tomates de folie. Christophe me trouve aussi les écrevisses, la farine bio, de la marjolaine…il m’en ramène une tonne ! On a aussi une jeune fille qui fait du safran qui est top. Celui qui veut se donner la peine peut sortir des sentiers battus ».
« On va développer notre collaboration pour aller encore un peu plus loin, on recherche un chef jardinier, on a un grand terrain sur Monbousquet , on va y faire nos légumes et nos fleurs. La bonne cuisine passe par de bons produits, c’est aussi simple que cela. »
Interview du chef et reportage menés par Jean-Pierre Stahl.