Certains l’ont qualifié de Dallas ou de feuilleton, Côté Châteaux dirait que c’est plutôt un problème de transmission. Joséphine Duffau-Lagarrosse, 9e génération, s’est positionnée pour reprendre avec Prisca Courtin (Clarins) ce 1er cru classé B de Saint-Emilion, dans sa famille depuis 1847. Alors que la décision devrait être prise par la Safer mercredi 7 avril, entre ce dossier, celui de la famille Cuvelier et de Stéphanie de Boüard. Voici l’interview de cette jeune viticultrice qui se bat pour conserver la gestion du château familial, aujourd’hui elle est directrice d’exploitation, ingénieure agronome spécialisée viticulture, titulaire du DNO et d’un master de commerce international.
Joséphine Duffau-Lagarosse, lors de vendanges 2016 © JPS
Jean-Pierre Stahl : « bonjour Joséphine Duffau-Lagarosse, comment allez-vous ? Expliquez-nous qu’est ce qui se passe au château Beauséjour Duffau-Lagarrosse, dont tout le monde parle aujourd’hui? »
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « bonjour, ça va, merci. En fait, une partie de ma famille a décidé de se séparer de la propriété, il y a eu une majorité de membres de ma famille et d’actionnaires qui a souhaité vendre, la minorité dont je faisais partie n’était pas favorable, mais a fini par se résigner…Du coup, la majorité des personnes qui a souhaité vendre, nous a entraîné dans la vente globale. »
JPS : « comment s’est effectué cette vente ?
Joséphine Duffau-Lagarrosse: « ce n’est pas encore une vente. Il y a eu des offres fermes et il y a eu un vote au sein des actionnaires entre la famille de Bouard et Monsieur Cuvelier. La totalité de la famille a voté pour Mr Cuvelier (Clos Foutet), moi je me suis abstenu. En fait, c’est difficile de trouver quelqu’un qui peut vous accompagner (dans un projet de reprise) et vous dit on y va… »
« Le processus a été lancé avec la famille Cuvelier, qui a souhaité soumettre le dossier à une substitution SAFER, d’un commun accord avec ma famille et de là la substitution SAFER a eu lieu. »
« A partir de ce moment-là, j’ai rencontré Prisca Courtin (du groupe Clarins), je lui ai exposé mon projet et lui ai dit qu’il y avait encore beaucoup de choses à faire pour le château, elle m’a dit en avant, on a donc monté un projet ensemble qu’on a porté jusqu’au bout pour le présenter à la SAFER. Et contrairement à ce qui a pu être dit, ce ne sont pas les Courtin qui sont venus me chercher, c’est moi qui l’ai rencontrée. Le projet lui plaisait et du coup on y est allé ensemble. »
JPS : « quelle est la prochaine échéance ?
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « c’est le 7 avril, mercredi. Le CA doit donner une décision définitive sur qui sera l’acquéreur de Beauséjour Duffau-Largarosse. La décision est entre les mains de la SAFER. A partir du moment où on a remis la décision à la SAFER, c’est elle qui doit décider de l’acquéreur final. »
JPS : « quel est le montant de la transaction? On a parlé de 70 à 80 millions d’euros… ? »
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « Je ne peux pas communiquer dessus, mais cela a déjà été mentionné dans la presse. »
JPS : « et pour vous, il n’était pas possible d’acheter, j’imagine… »
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « moi, j’ai 30 ans et je travaille dans le groupe Bernard Magrez (directrice d’exploitation pour les Grands Chênes et une autre propriété BM de Saint-Estèphe). Pour moi seule, c’est impossible, je ne peux pas lever ce montant toute seule, j’ai besoin de quelqu’un qui va m’accompagner. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Prisca Courtin, qui n’est pas dans le milieu du vin, mais en tout cas le projet, il est là… »
JPS : « Qu’est ce que vous ressentez personnellement sur ce problème de transmissions…? »
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « c’est quelque chose qui devient de plus en plus compliqué, avec le prix des terres qui augmente. Et quand vous avez envie de transmettre, cela devient très compliqué et ce malgré vous. Mon ressenti… Je suis dans l’incompréhension des premiers résultats obtenus et là dans l’attente et dans l’espoir que cela reste à travers moi dans la famille Duffau-Lagarrosse.
C’est dans la famille depuis 1847. Moi, je suis la 9e génération, mon père était la 8e. Cela part de Paulin Ducarpe en 1847. Il eu deux enfants dont une fille qui s’est mariée avec Calixte Duffau-Lagarosse et la saga a débuté… »
JPS : « aujourd’hui, quel est intérieurement votre rêve, votre espoir ? »
Joséphine Duffau-Lagarrosse : « ce serait que la décision soit positive pour nous mercredi et qu’on se lance dans tout ce que j’ai envie de faire depuis un moment. En tant que Duffau-Lagarosse, je trouve que le château n’était pas assez incarné, je compte bien l’incarner davantage, le porter le plus haut possible et continuer à croître au niveau de la qualité des vins, ce serait vraiment chouette ! »
Château Beauséjour Duffau-Lagarrosse est un domaine de 7,5 hectares à Saint-Emilion, dont 6,8 en production. C’est un 1er grand cru classé B, ce depuis le premier classement en 1955.
EXTRAITS COMMUNIQUE DE CLOS FOURTET DU 31/3:
« En juillet 2020, la famille Duffau-Lagarrosse, propriétaire des 6,75 hectares du Château Beauséjour Duffau-Lagarrosse depuis 1847, a décidé de mettre en vente ce Premier Cru Classé de Saint-Emilion. Un appel d’offres a été organisé.
A la suite d’un long processus de négociation, la famille Cuvelier propriétaire du Clos Fourtet voisin, l’a remporté à la loyale, lors de l’Assemblée Générale du 7 Novembre 2020, à une majorité de 92% des actionnaires Duffau-Lagarrosse avec la volonté de pérenniser ce 1er GCC en y installant un jeune agriculteur, Grégoire Pernot du Breuil. L’autre candidat, Château Angélus n’a recueilli aucune voix.
Ce projet repose sur trois piliers :
– Continuer à développer la notoriété de ce cru en profitant de la dynamique et de la synergie avec le Clos Fourtet
– Mettre en place un projet environnemental ambitieux, autour du passage en Bio et de la création d’un refuge de biodiversité
– Amener une transition dans la douceur, en maintenant en place une équipe que connait Grégoire Pernot du Breuil.
Les vendeurs ont alors tout naturellement donné le soin à la Safer de réaliser cette vente. En effet c’était un passage obligé de passer par cet organisme qui arbitre les ventes agricoles en France.
A la grande surprise du vendeur et de l’acheteur, après un appel d’offres de la Safer, deux nouveaux dossiers sont apparus :
– celui de Stephanie de Boüard (Propriétaire du Château Angelus) qui avait été écarté deux fois par la famille Duffau-Lagarrosse lors du premier appel d’offre.
– celui de Joséphine Duffau-Lagarrosse, une des deux filles d’un associé, à l’encontre de la décision majoritaire et collective du reste de sa famille, soutenue par le groupe international de cosmétiques Clarins, qui n’a aujourd’hui aucun lien dans le monde du vin.
La Safer a alors suivi sa procédure habituelle :
D’abord le 18 mars la commission technique a rendu un premier avis favorable au dossier présenté par Stéphanie de Boüard Et donc défavorable aux deux autres.
Puis jeudi 25 mars, la commission de validation finale aurait dû trancher et choisir le meilleur dossier. Elle a ajourné sa décision au mercredi 7 avril, la remettant au Conseil d’Administration de la Safer. »
Et de préciser : « La Safer doit en principe servir l’intérêt général et hiérarchiser les dossiers en fonction des priorités imposées par la loi. Le point clé est que la Safer doit privilégier l’installation de jeunes agriculteurs.
Dans la proposition qui a été validée par les vendeurs, Grégoire Pernot de Breuil, co-actionnaire minoritaire, doit bien s’installer comme Jeune Agriculteur. Il en a la formation (BTS Vini Oeno en plus de son école de Commerce) et a toute l’expérience requise et connait déjà l’exploitation et ses équipes. Il a construit avec les Cuvelier un projet ambitieux pour la propriété, qu’il a déjà présenté devant la Safer.
« La famille Cuvelier et Grégoire Pernot du Breuil espèrent à ce stade qu’il ne s’agit que d’un incident de procédure et que le Conseil d’administration de la Safer décidera finalement de ne pas leur enlever le droit légitime de signer la promesse de vente pour laquelle le vendeur s’est engagé en leur faveur. »
EXTRAITS COMMUNIQUE DE CHATEAU ANGELUS DU 1/04:
« Le processus en cours relatif à la cession de Château BEAUSÉJOUR et le climat de tension entre les différentes parties, entretenu par voie de presse, donnent lieu depuis quelques jours à des déclarations erronées et à des amalgames sans fondement qui sont de nature à porter gravement préjudice à Château ANGÉLUS.
Devant la reprise par certains médias d’informations inexactes, approximatives ou délibérément trompeuses et leur propagation, Château ANGÉLUS souhaite apporter les précisions suivantes :
•Château ANGÉLUS n’est pas et n’a jamais été candidat à la reprise de Château BEAUSÉJOUR ;
•C’est à titre strictement personnel que Stéphanie de Boüard-Rivoal a visité la propriété en août 2020 et a été la première candidate à formuler une offre d’acquisition ce même mois ;
•Ce projet, que Stéphanie de Boüard-Rivoal porte en son nom propre et sans investisseurs extérieurs, vise à perpétuer et faire fructifier Château BEAUSÉJOUR ;
•Un démenti ferme et catégorique est opposé à l’idée que cette acquisition conduirait à l’intégration du vignoble de Château BEAUSÉJOUR à celui de Château ANGÉLUS ».