07 Avr

Dégâts sur le Bordelais: un gel pour certains comparable à 2017

Les Graves ont été pas mal touchées par le gel, de même Sauternes, et également dans le Blayais, et une partie des Côtes de Bourg. Plusieurs appellations du Bordelais commencent à répertorier les dégâts dus au gel de cette nuit. Un gel qui n’a pas été le même pour tous. Ils redoutent aussi la nuit prochaine…

Les dégâts dus au gel de cette nuit © Nicolas Lesaint

Progressivement les remontées d’information se font, frileusement pour ne pas dire au compte goutte. Et comme la pluie où il faut savoir passer entre les gouttes, là il faut savoir lire entre les lignes. Bref difficile d’y retrouver son latin, mais cela n’empêche pas Côté Châteaux de continuer à décrypter toutes ces remontées du terrain.

Pour Thibaut Layrisse, le tout nouveau directeur du syndicat de Blaye, c’est ce qu’on pourrait qualifier de baptême du feu ou de bougies…« Sur Blaye, on est quand même assez touché, on a des zones à 30% et d’autres à 50%. On va envoyer un questionnaire à tous nos adhérents pour faire un petit bilan, mais cela semble proche de 2017 et donc conséquent ! Malheureusement, ce n’est pas fini, cela risque d’être une année assez compliquée, avec peu de volume. »

A Saint-Emilion, Franck Binard directeur du Conseil des Vins de Saint-Emilion explique que « pour le moment, c’est prématuré de se prononcer  globalement, mais oui il y a un vrai impact »; on ne sait pas encore dans quelle proportion, on a eu jusqu’à -4 -5° et sur ces zones là, ça va être compliqué. On attend encore un peu pour voir l’étendu des dégâts. Mais 3 fois en 4 ans, cela commence à faire beaucoup. »

Dans les Graves, Dominique Guignard le président me confie : « il a beaucoup gelé, c’est catastrophique, je ne me souviens pas avoir déjà vu cela, j’essaie de me remémorer 1991, cela y ressemble vraiment. Sur les Graves, Portets, Saint-Pierre-du-Mons, Illats, Langon, La Brède, je n’ai pas vu de gens épargné…Quand on passe dans certaines vignes, il n’y a plus rien de vert, les feuilles sont mortes, c’est d’une violence terrible. »

Sauternes a aussi été touché comme le confiait Jean-Jacques Dubourdieu à Dominique Guignard, pas facile pour tous ces vignerons…Pour Dominique Guignard, « c’est pire que 2017 à vu d’oeil sur notre secteur ».

Dans les Côtes de Bourg, Didier Gontier le directeur me confie : « j’ai un secteur très touché: Tauriac et Pugnac. On était en dégustation ce matin et les gens sont arrivés, ils m’ont montré des photos cela m’a calmé. Ils ont pris du -5°, malgré leurs efforts pour réchauffer, le résultat il est là, c’est cramé. »

Du côté de Saint-Loubès, Nicolas Lesaint du château de Reignac: «  pour nous c’est comme 2017, on est pas mal touché, à 50%. Ce n’est toutefois pas un gel aussi homogène que 2017. Il ya des secteurs où on va repartir de zéro et d’autres où on va suivre. Tous ces vins là on va les travailler à fond, j’ai encore de l’espoir et on va essayer de faire plus et mieux qu’en 2017. »

Regardez le témoignage de Fabrice Reynaud, vigneron dans les Graves en direct sur France 3 ce midi avec Jean-Michel Litvine 

Bordeaux de -2 à -6°: les vignerons engagés sur le front du gel avec bougies, éoliennes et hélicoptères

« Cela a tapé plus fort que prévu », « à -6 par grand chose peut résister, c’est un peu la cata ! », par ces premières réactions le CIVB et le syndicat des Graves font l’amer constat qu’il va y avoir quelques gros dégâts du au gel de cette nuit de mardi à mercredi. Côté Châteaux, JPS et Pascal Lécuyer pour France 3 Aquitaine ont suivi les vignerons qui ont lutté toute cette nuit pour sauver leur récolte à Saint-Emilion. Témoignages et ambiances aux châteaux Grand Corbin Despagne, Figeac et Badette.

Marine Bossuet, allumant à 6 heures de nouvelles bougies avec des températures qui baissaient au petit matin © JPS

Au château Grand Corbin Despagne, toute la nuit François Despagne était mobilisé avec son fils Louis et son père Gérard, 3 générations de vignerons (ici ils sont tout de même vigneron depuis le XIIIe siècle, et propriétaire du château depuis 1812, ce qui ne les rajeunit pas…) dans le même combat contre le gel. Bien sûr, avec leur équipe de 10 personnes, ils ont tenté de réchauffer l’atmosphère, gagnant 1 ou 2 degrés, alors que les températures sont descendues à -2° voire un peu moins dans des endroits plus gélifs.

« On est à -1,1° on est limite, donc on se donne encore un bon petit quart d’heure, on resonde là-haut et s’il le faut on rallume un tiers des bougies supplémentaires… », selon les consignes données par François Despagne à son équipe, avec sa torche frontale sur la tête.

Louis, François et Gérard Despagne 3 générations de vignerons sur le front du gel © JPS

C’est une soirée angoissante, on est sur le pont depuis 10 heures, là il est 5h30 du matin, cela fait déjà 7 heures qu’on tourne, qu’on sonde dans les vignes à droite, à gauche, qu’on allume des feux, des foins, qu’on allume des bougies, avec aussi l’éolienne qui fonctionne déjà depuis 5 heures » François Despagne château Grand Corbin Despagne.

« L’éolienne, ajoute François, permet de protéger jusqu’à 3 hectares à -1 ou -2° mais plus la température baisse, plus le diamètre va se resserrer. A -5 ou -6°, elle ne protège plus qu’un hectare…

Ils ont ainsi disposé quelques 400 bougies par hectares pour protéger la moitié des 28 hectares de la propriété. « On ne veut pas perdre notre récolte à venir, donc du coup on fait tout notre possible pour essayer de garder la récolte », commente Marine Bossuet, ouvrière viticole engagée sur le domaine de François Despagne.

9000 bougies au château Figeac © JPS

Au château Figeac, 1er cru classé de Saint-Emilion, ce sont 9000 bougies qui brulent depuis 1 heure du matin, pour lutter contre cette gelée noire. 

Frédéric Faye, a mobilisé 35 personnes cette nuit à Figeac © JPS

On considère qu’il faut une heure à -2° pour griller les bourgeons qui commencent à éclore. C’est vraiment une masse d’air qui arrive du pôle et qui se déplace sur une grande partie de la France et beaucoup de nos confrères vignerons ont aussi été touchés, » Frédéric Faye directeur château Figeac.

Dans les Graves, Loïc Pasquet le vigneron emblématique de Liber Pater, qui produit les vins les plus chers à Bordeaux, en France également, avec ses vieux cépages bordelais francs de pieds, confie avoir eu jusqu’à -6°C, au petit matin il faisait -4 encore, ça a cramé… Quand on sait qu’il faisait déjà 0° à 21h hier soir, on savait que ça allait être long ! Pourtant j’ai des systèmes agrofrost mais cela n’a pas été suffisant. Je pense que le seul système qui marche, c’est l’aspersion… J’avais planté 3500 francs de pieds, je pense avoir perdu aussi la moitié, ça fait c..ier »

Mayeul L’Huillier, directeur du syndicat des Graves confirme: « c’est descendu entre -2, -2,5° à -4, -6°C sur certains endroits…

Tu as beau lutter, à -6° pas grand chose peut résister, je suis pessimiste, cela me fait penser à des années terribles. Ce n’est pas fini, il y a encore demain matin, mercredi et jeudi. Le mois va être long. C’est un peu la cata… » Mayeul L’Huillier directeur du syndicat des Graves.

En Pessac-Léognan, Arnaud Thomassin propriétaire du château de France: « au plus bas, on a eu jusqu’à -4°, on va voir cet après-midi, voir les dégâts. On avait disposé des bougies, on avait des tours à vent et des appareils qui soufflent de l’air chaud. Une fois de plus cela commence à faire, la dernière fois c’était en 2019 et puis en 2017. Les gelées sont plus fréqiuentes et plus puissantes qu’avant. »

Pour Christophe Chateau, directeur communication du CIVB : « cela a tapé plus fort que prévu; on avait -1 à -2° annoncés et on a eu -3 à -6° par endroits. C’est un froid sec, bizarre car il n’y avait pas d’humidité. Les zones touchées sont les zones gélives habituelles dans l’Entre-deux-Mers, les Graves, le nord Gironde… »

https://www.facebook.com/chateaudelhospital/posts/3967740513310007

Tous les viticulteurs ont encore en tête la tragédie d’il y a 4 ans, le gel du 27 avril 2017 avec la perte de quasiment 40% de la récolte à Bordeaux qui n’avait finalement pu produire que 3,8 millions d’hectolitres contre une moyenne de plus de 5 millions.

Au château Badette à 8 heures, ce matin, un hélicoptère a pu réchauffer l’atmosphère © JPS

Certains ont aussi eu recours aux hélicoptères, avec une difficulté car les pilotes ne pouvaient décoller qu’au lever du jour, sous peine de perdre leur licence. Le château Badette a fait le choix d’en louer un avec son pilote pour un coup selon le directeur technique de 600 euros par hectares, moins cher qu’avec des bougies… »Cela fait une heure qu’on vole et qu’on arrive à stabiliser la température au sol à 0 ou +0, 5° réussissant ainsi à brasser l’air plus chaud en l’air estimé à 3° pour le mêlé avec l’ai froid au sol.

La nuit prochaine, tous seront à nouveau mobilisés pour un nouvel épisode de gel annoncé. Tous croisent les doigts pour qu’il soit moins fort… Pas dit. Et ils espèrent avoir suffisament de bougies pour faire face à cette nuit très froide.

Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Pascal Lécuyer, Christophe Varone et Thierry Culnaert :