Dans l’Entre-deux-mers, grande appellation de vin blanc dans le Bordelais, les premiers coups de sécateur s’annoncent prometteurs: « la récolte est hétérogène, jolie et saine, avec du volume dans les parcelles » sans incident climatique, résume Thomas Solans.
Ce jeune viticulteur empile des cagettes en plastique remplies de belles grappes de raisins blancs pour faire du crémant, alors que les saisonniers passent d’un pied de vigne à l’autre. Administrateur à la coopérative des Caves de Rauzan (Gironde), il s’inquiète davantage pour la récolte des rouges, prévue à partir 20 septembre dans un contexte économique tendu.
La sécheresse a permis d’obtenir des petits grains concentrés, gages de qualité, tout en éloignant les maladies. Mais elle a également, avec le gel et la grêle qui a touché 5% du vignoble bordelais, fait revoir à la baisse les prévisions de rendements.
Selon le directeur technique Jean-Marie Maurer qui attaque ses 42e vendanges au sein des Caves de Rauzan, « pour les blancs, c’est une bonne année mais pas exceptionnelle, c’est hétérogène. On a eu trop de chaleur, ce qui brûle pas mal les arômes ».
« Le rosé, à partir de cabernet franc, est très prometteur. Quant au rouge, c’est une bonne année mais les rendements vont baisser de 10 à 15% », à cause du froid et de la pluie, note cet oenologue. Pour les rouges, la météo des 15 prochains jours sera décisive, affirment les vignerons.
Selon le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux), cette récolte 2019 qui s’annonce dans la moyenne décennale à environ 5 millions d’hectolitres, s’inscrit dans un contexte économique difficile. Pour preuve, dit-on à Rauzan qui compte 340 vignerons sur 3.750 hectares, l’arrivée de nouveaux adhérents à sa coopérative, attirés par la sécurité financière qu’elle apporte.
La récolte de 2017, amputée de 40% à cause du gel, a entraîné des pertes de marchés surtout pour les entrées de gamme. Face à la faiblesse de l’offre, les prix ont augmenté puis baissé avec la récolte correcte de l’année dernière et la chute de la demande. Pour les vins en vrac, un tiers des volumes se vend ces dernières semaines en dessous de 1.000 euros le tonneau contre 1.300 à la même époque l’année dernière.
L’interprofession pointe également des causes structurelles : des consommateurs davantage attirés par les blancs secs, rosés et crémants alors que Bordeaux produit à 90% du rouge, le poids de la grande distribution en déclin ou encore la baisse des exportations en Chine, son premier marché.
Aujourd’hui, des viticulteurs et négociants se retrouvent acculés financièrement. « Le marché est hypertendu », selon l’avocat spécialisé Olivier Bourru. « Il y a beaucoup de négociants qui ont du mal actuellement car ils sont en surstock en raison de moindres débouchés à l’export. Les négociants essayent de renégocier leurs dettes préventivement. Le phénomène est en augmentation depuis deux, trois mois », constate-t-il.
Dans la région bordelaise, les exportations ont chuté de 13% en un an, mais augmenté de 4% en valeur, avec une amélioration ces trois derniers mois (-7% en volume, +8% en valeur).
Certains viticulteurs et négociants ont des stocks équivalent à l’année dernière tandis que d’autres ne savent pas où stocker la nouvelle récolte. « C’est catastrophique, il ne se vend rien. C’est une crise très grave », s’alarme
Jean-Michel Letourneau, directeur de l’Union des coopératives vinicoles d’Aquitaine (UCVA) à Coutras, un des plus importants lieux de stockage de vin en Gironde pour les négociants et viticulteurs.
L’UVCA refuse de nombreuses demandes de stockage. « Je crains qu’il y ait des raisins qui restent sur les vignes cette année: la qualité sera bonne mais beaucoup espèrent une petite récolte », résume-t-il.
Au contraire, le directeur des Caves de Rauzan, Philippe Hébrard, souhaite une récolte normale: « si elle est trop importante, cela déséquilibre le marché, si elle est trop petite, on perdra des débouchés faute de pouvoir répondre à la demande ».
Avec AFP.