C’est une tendance qui semble s’accentuer. Depuis 2007 en France, les superficies viticoles en bio ont triplé. En Gironde, les châteaux Bichon Cassignols et Palmer expliquent leur évolution. En Aquitaine, 8 % du vignoble est passé au bio.
Jean-François Lespinasse, du château Bichon-Cassignols à la Brède en Gironde © Jean-Pierre Stahl
L’un est un petit vignoble des Graves à la Brède, l’autre est un 3e cru classé de Margaux dans le Médoc. Tous deux ont franchi le cap. Pourquoi ? C’est ce que Côté Châteaux a essayé de découvrir.
On ne peut pas dire que Jean-François Lespinasse (château Bichon Cassignols) est né de la dernière pluie. Ce vigneron exerce depuis 1981 à la Brède et avec l’aide de son épouse Marie depuis 1982; un vigneron qui pendant des années a mené son exploitation de 12,5 ha de manière conventionnelle, avant de voir de plus en plus d’habitations se construire autour de sa propriété. Une densification due à la proximité de Bordeaux:
Jean-François Lespinasse, avec son oenologue Christine Chaminade, explique que son vignoble est entouré par 40 maisons © JPS
« Ici on est sur un vignoble qui est sub-urbain, on a plus de 40 maisons qui font le tour…Quand je traitais, il y a quelque temps il y a des enfants qui aimaient bien regarder parce qu’ils aiment beaucoup le tracteur, de même dans les chemins vicinaux sur lesquels parfois des mamans se promènent avec leurs poussettes, et donc c’est un peu le principe de précaution qui s’est imposé », explique-t-il.
En 1995, il est d’abord passé en agriculture raisonnée, puis s’est occupé du groupe Terra Vitis à partir de 2002, et il est passé en bio en 2008 : « on s’est aperçu de la spécificité de ces produits au niveau de la santé, c’est un principe de précaution qui nous a poussé à ce passage, en plus du fait que le bio intéressait mon épouse. » « Au début des années 2000, sont apparues les phrases de risques sur les produits de traitement: notamment les notions de CMR, cancérogène, mutagène et pouvant poser des problèmes à la reproduction ».
« Dans l’environnement, je constate une différence, j’ai conscience d’avoir changé de métier par rapport au conventionnel ou à l’agriculture raisonnée, on s’intéresse à la plante par son rapport au sol. En bio, on est dans une démarche où on vit du sol, cette plante va se nourrir de ce que le sol va pouvoir lui donner. Le sol doit être le plus accueillant possible. Dans les années 90, on a pratiqué l’enherbement naturel et puis on est passé dans les engrais verts avec des céréales et du pois fourrager »; « des engrais qui une fois fauchés forment un tapis, se dégradent lentement et rentrent dans la vie du sol »
Passer en bio demande toutefois un peu plus de travail comme nous l’explique l’oenologue-conseil du château, Christine Chaminade, présente ce jour-là : « on intervient plus souvent de façon pertinente par rapport au conventionnel et avec des produits tout au plus irritants (bouillie bordelaise), de façon à éviter tous les produits cancérigènes et mutagènes. »
Accompagné par la chambre d’Agriculture et le syndicat des vignerons bio d’Aquitaine, il a donc été certifié au bout de 3 ans, son 2011 est donc son premier millésime entièrement bio. Et il ne le regrette pas car il y a de la demande comme il nous l’explique : « je vends 70% en France (40% aux particuliers et 30% aux cavistes) et 30% à l’export. Mes marchés sont la Suède, les Etats-Unis et la Belgique. Mais le marché qu’on a eu en Suède, c’est justement parce qu’on est en bio. » Un marché en plein essor notamment sur le salon Millésime Bio auquel il participe régulièrement.
Château Palmer à Margaux est passé en biodynamie © Jean-Pierre Stahl
A Margaux, château Palmer, 3e cru classé, a eu une démarche tout d’abord expérimentale. Son directeur, Thomas Duroux, en poste depuis 12 ans, nous explique qu’en 2008 château Palmer a d’abord expérimenté la biodynamie sur 1 hectare « à l’origine c’est tout simplement de la curiosité et après les vendanges 2008, nous avons eu la volonté de comprendre un peu mieux ce que biodynamie voulait dire et nous avons expérimenté sur 1 ha cette conception un peu différente de l’agriculture telle qu’elle avait été exposée dans les années 20 par Rudolf Steiner. »
Progressivement, château Palmer a augmenté la superficie en biodynamie:« on s’est rendu compte que c’était jouable » et le déclic s’est fait avec le millésime 2013 où 66 % du vignoble était conduit en biodynamie: « la partie bio s’en est aussi bien tirée que la partie conventionnelle » précise Thomas Duroux. La décision a alors été prise de tout passer en biodynamie.
L’un des chais à barriques de Château Palmer © JPS
« Dans biodynamie, il y a deux concepts, il y a bio d’abord c’est-à-dire qu’on utilise que des produits naturels pour s’occuper du vignoble, on arrête tout ce qui est issu de l’agro-chimie et on revient quelque part à une technique un peu plus ancienne, et cela ça nous semble être très important pour la pérennité des sols, pour la santé des opérateurs -les vignerons et vigneronnes qui sont dans la vigne- et puis aussi pour les consommateurs ».
Thomas Duroux, directeur général du château Palmer explique comment son château est passé en biodynamie © JPS
« Et puis dans biodynamie, il y a aussi l’idée de dynamie, c’est l’idée d’organisme agricole, d’une entité, d’une ferme qui fonctionne en harmonie, où tous les éléments se complètent les uns les autres et où on fait appel le moins possible à ce qui vient de l’extérieur. » Thomas Duroux est convaincu que ce mouvement est désormais lancé et conclue « je peux prendre le pari que dans 5 ans ou peut-être un peu plus l’ensemble des crus classés de Bordeaux sera en bio, parceque c’est faisable, c’est pérein, et puis parce que c’est ce que veulent les consommateurs. »
Mais chacun à son rythme, certains ont besoin de mieux sentire les choses, ce qui compte c’est d’arriver au même résultat. »
L’Aquitaine comptait en 2014: 735 producteurs en bio sur 9752 ha de vignes dont 1668 ha en conversion. Cela représente 8 % du vignoble aquitain.