Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est un peu le « deuxième effet kiss cool », du célèbre nom de la pastille rafraîchissante, mais dont tous les vignerons se passeraient bien. Cette nuit a été aussi douloureuse que la précédente. Le petit tour d’horizon avec d’autres viticulteurs interrogés par Côté Châteaux.
« C’est frais, mais c’est pas grave », souvenez-vous de ces pubs du bonbon Krema qui nous ont tant fait rire. Mais là les vitis ils rient plus… Comme le résume Nicolas Lesaint du château de Reignac à Saint-Loubès en Gironde: « ça devient délirant, 5 fois en 6 ans… Tu ne sais plus où tu habite ! »… à force.
C’est qu’il en faut de la force et du mental pour affronter ce froid glacial du week-end qui a fait son grand retour et ironie du sort à quasiment les mêmes dates que l’an dernier à 4 jours près…
Et pourtant ces techniciens de la vigne ont « retardé au maximum la taille, je crois même que je n’avais pas encore fini de tailler dans certains endroits gélifs », commente Nicolas Lesaint. Si « les 3/4 de la propriété n’ont pas été touchés, 1/4 a gelé, 12 hectares de merlots qui n’avaient pourtant pas gelé en 2017 ont gelé cette année, ils repartent à zéro, l’air froid qui a stagné a tout flingué « à cet endroit. « Après, c’est difficile de quantifier ces bourgeons qui n’ont pas gelé mais ont peut-être eu froid, cela fait bien … « Evidemment, il y aura les contre-bourgeons qui vont aussi apparaître, restons optimiste.
C’est clair que ces vignerons sont bien mis à contribution : « on n’a pas beaucoup dormi ! On a mis en route hier matin à 0h30 et ce matin à 1h30 les éoliennes sur des blocs de vigne et les bougies sur Smith… », commente Fabien Teitgen, directeur général du château Smith Haut Lafitte à Martillac en Pessac-Léognan. « On a quelques endroits froids où on a quelques frisures, mais pas de gel généralisé. On a eu -3,9° cette nuit à l’endroit le plus froid de la propriété, sur une parcelle où on est équipé anti-gel…Mais là avec les bougies et les éoliennes on a réussi à protéger… On n’a pas de dégât visuel, pour l’instant. Ce n’est pas brûlé c’est déjà une bonne chose, après à voir…Encore demain matin à passer, mais il devrait faire moins froid. Et puis on a encore les saints de glace à passer aussi. Là ce n’est pas dramatique, mais ça fait toujours suer… »
Dans le Sauternais, Luc Planty directeur général du château Guiraud confirme ces températures très froides de la nuit dernière : « il a fait froid de -4 à -6°C sur les zones les plus froides, mais moins que l’année dernière où on avait eu de -7 à -9°. Sur ces zones, cela avait peu poussé donc moins de risque que l’an dernier. On a lutté de 1h à 9h ce matin, on est plus optimiste… On fera le compte dans 5 jours et le reste à la récolte. On a mis en place 6 éoliennes arrivées l’année dernière, cela a plutôt bien fonctionné sur les zones les plus poussées. Sur le reste, on est beaucoup sur le stade de « bourgeon dans le cocon » et après c’est de voir ce que va donner la fructification… Mais l’année dernière, on savait déjà qu’il n’y avait plus rien. En 2021, on a fait que 50 000 bouteilles de blanc sec sur 100 hectares, on a vraiment pas fait grand chose (et pas de liquoreux). Là on est plus optimiste que l’an dernier. »
Pour Jean-Jacques Dubourdieu, président de l’ODG Barsac Sauternes : « ce week-end a été mouvementé, cette nuit encore…Ce n’est pas la même configuration que l’an dernier, il a fait froid il a gelé, mais l’impact n’est pas le même que l’an dernier où tous les bourgeons étaient sortis, on avait 15 jours à 3 semaines d’avance…L’an dernier tout était sorti et on s’est fait tirer dessus à bout portant…Cette année, tout ce qui était précoce est cramé, mais nous ne sommes pas très concernés…Il y a toujours le risque que ca gèle dans le bourgeon, on verra…C’est quand même pas au même stade que 2021… Les cabernets sont sortis d’affaire, les merlots précoces ont morflé dans les zones gélives…. Ces épisodes se reproduisent à une fréquence très importante, notamment par rapport à avant 2017…Cette année, coup de bol, on était en retard. La route est longue jusqu’aux Saints de Glace… »
Pour Bernard Farges, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux : « En terme de stress et de moral, pour les vignerons c’est dur ! Certains en sont au 5e sinistre dans leur propriété depuis 2015. Après les crises de 2021, avec la taxe Trump, la pandémie et la crise en Ukraine (qui fait gonfler le prix des bouteilles de 60%), le moral n’est pas bon.
« Il y a eu des zones où il a fait parfois plus froid que l’en passé, d’autres comme les Graves moins froid, on a eu deux matinées avec des températures très très froides avec beaucoup de -3 à -5°, la différence va se faire entre l’intensité du froid et le niveau de sortie de la végétation. C’est un gel très important, très grave, mais il est trop tôt pour le mesurer. La différence de taille par rapport à 2021, c’est la date des travaux d’hiver qui a été adapté, ce qui est très nouveau à Bordeaux et c’est efficace, ça marche jusqu’au 10 avril, après pour des gels plus tardifs cela n’a plus beaucoup d’effet » (comme le gel de 2017 où 39% de la production avait été perdue à Bordeaux).