24 Avr

Philippe Faure-Brac : « pour repartir on a évoqué la date du 15 juin, pourquoi pas, si on est prêt. Nos établissements et produits rassemblent les gens et continuent de faire rêver »

Côté Châteaux vous propose aujourd’hui l’interview du Président de l’Union de la Sommellerie Française, Philippe Faure-Brac, également meilleur sommelier du monde 1992. Un regard très interessant et inquiétant aussi sur l’ensemble des professionnels de la restauration (patrons, chefs, serveurs, sommeliers) victimes de la fermeture de leur établissement. A l’heure où le collectif #RestoEnsemble lance une campagne « Et si c’était la fin », à l’heure également où une entrevue est programmée avec le Président Macron.

Philippe Faure-Brac en février 2019 à Bordeaux pour l’AG de l’UDSF © Jean-Pierre Stahl

Jean-Pierre Stahl : « Bonjour Philippe Faure-Brac, j’ai vu que vous avez relayé hier l’affiche de #RestoEnsemble intitulée « Et si c’était la fin… » avec cette image terrible d’une corde au bout d’une fourchette, c’est pour vous un cri d’alarme ? »

Philippe Faure-Brac : « C’est effectivement un cri d’alarme vu qu’on subit ces fermetures, qu’on a des problèmes de trésorerie, d’emplois, et vu le moral des troupes. Il y a une réunion aujourd’hui à l’Elysée, car on n’a pas de visibilité et on ne sait pas quelles vont être les conditions de la réouverture.

Quelles vont être les contraintes, comment les mettre en application sans mettre en péril la rentabilité de nos restaurants déjà très limite…Nos établissements ne sont pas très générateurs de profits et de marges, ce n’était déjà pas simple avant ».

« Les contraintes imposées vont compliquer la tâche: l’espacement entre les tables, le nombre de couverts limités, l’utilisation de produits même si systématiquement nous avions déjà des règles d’hygiène importantes, mais ce qui va être imposé va être plus lourd. On se sent quand même écouté, rassuré, la restauration a un vrai rôle sociétal, elle représente avec les hôtels 7% du PIB français ».

JPS : « Quand vous communiquez sur 30% d’établissements qui pourraient faire faillite, on en est vraiment là ? »

Philippe Faure-Brac : « oui, il y a eu une succession d’événements déjà avant la crise du Covid-19 entre les attentats, les gilets jaunes et les grèves…Cela a été terrible, notamment dans les grandes villes. Il y a eu déjà des restaurants fragilisés car les centres villes étaient touchés par ces phénomènes, c’était déjà compliqué et là cela en rajoute.

 

JPS : Quel est le constat au niveau de l’Union de la Sommellerie Française, vous êtes vous réunis et quelles mesures avez-vous prises ?

Philippe Faure-Brac : « On s’est réuni avant la crise. Notre conseil d’administration a eu lieu en février, les conditions alors n’étaient pas les mêmes, on n’a pas spécialement discuté de cela. Le propos concernait surtout l’emploi et était très axé sur la formation. Nous avons des difficultés à trouver des collaborateurs déjà formés, avec un certain niveau de formation. Depuis j’ai organisé une réunion en ligne avec les autres présidents de régions…

A la sortie de crise, il est clair qu’il va y avoir davantage de monde sur le marché du travail et que les sommeliers qui étaient partis à l’étranger et revenus en France vont avoir du mal à repartir…

« Nous continuons de toute manière à travailler sur le problème du nombre de sommeliers formés et du niveau requis… » 

JPS:  « Quelles mesures spécifiques et mesures d’aides attendez-vous ? »

Philippe Faure-Brac : « En tant que restaurateur et propriétaire du Bistrot du Sommelier à Paris, j’ai activité moi-même toute une série de leviers à disposition: on a mis en oeuvre un certain nombre d’aides comme le chômage technique ou chômage partiel de mes équipes, on a demandé aussi le prêt garanti par l’Etat pour soutenir la trésorerie qu’on a obtenu et le 3e levier ce sont les assurances sur lesquelles on fait pression. Certaines assurances jouent déjà le jeu, il y a eu des avancées, d’autres non.

On voudrait bien une position plus collégiale des assureurs pour garantir la perte d’exploitation, pas la totalité mais entre 10 et 15% pour couvrir une partie des frais fixes, par définition incompressibles.

Quant à la date pour repartir, on a évoqué la date du 15 juin, pourquoi pas, si on est prêt, avant cela paraît compliqué, si c’est après on attendra si c’est nécessaire, on n’a pas le choix on subit le situation.

Nombre de nos établissements sont dans une situation fragile, limite, très compliquée j’ai discuté avec certains de mes confrères, ils m’ont dit : « Philippe on ne va pas pouvoir réouvrir, comment tu veux faire, on va mettre la clé sous la porte ».

Philippe Etchebest, qui est un peu notre porte parole, pense que 30% c’est un chiffre optimiste…!

Philippe Faure-Brac, MOF et meilleur sommelier du monde 1992 au centre avec Pascaline Lepeltier également meilleure ouvrière de France mention sommellerie et meilleure sommelière de France en 2018 avec d’autres nombreux amis du patron du Bistrot du Sommelier à Paris en mai 2019

JPS : « Comment s’annonce la réouverture ? »

Philippe Faure-Brac : « Si on ouvre avec moitié moins de clients, qu’est-ce qu’on va faire de tout le personnel? On n’est pas sûr que les gens se précipitent, il y a une certaine appréhension.

« Au Bistrot du Sommelier, à midi j’ai une clientèle de gens d’affaires, c’est incertain, et le soir une clientèle internationale de touristes et d’amateurs de vin et de gastronomie, mais les échanges internationaux vont rester fermés et limités un certains temps. J’ai eu certains échos, sur des projections les plus plausibles pour arriver dans une situation normale, le temps que tout se remette en route, on parle de 2022, cela va donc être compliqué pendant un an et demi avant que les choses ne reprennent à un rythme normal, mais dans ce laps de temps cela va faire des dégâts.

« Ce qui peut aider en tout cas, c’est la solidarité, l’envie d’avancer, avec des collectifs comme « RestoEnsemble »…

« On a la chance d’avoir des établissements et des produits qui rassemblent les gens et qui continuent de faire rêver et de déclencher de l’optimisme. On y croit, il n’y a pas de raison. »