Parmi les nombreux secteurs qui souffrent du manque de fréquentation, celui de l’oenotourisme est lui face à « un mur ». Un secteur à l’arrêt. Les annulations ont commencé avant le confinement, les touristes annulant les uns après les autres. Réactions de Chloé Cazaux Grandpierre spécialiste des tours culinaires ou wine tours, et de Vincent Labergère, dont le château Rayne-Vigneau dans le Sauternais, a connu ces dernières années un fort développement oenotouristique. Ces acteurs attendent une embellie et ont de beaux projets à venir.
S’il y a bien un secteur en pleine explosion à Bordeaux et en Gironde, c’est bien celui de l’oenotourisme. Alain Juppé se vantait il y a moins de 3 ans, alors qu’il était encore maire, que le tourisme avait été multiplié par 3 à Bordeaux en 15 ans… Le classement de la ville au Patrimoine Mondial de l’Humanité en 2007 a eu un effet notable, mais pas seulement il y a eu la renaissance de la ville et aussi l’accueil dans les châteaux car parmi les touristes français ou étrangers interrogés, 46% reconnaissaient venir aussi pour visiter le vignoble bordelais.
Surfant sur cette déferlante, de nombreux acteurs oenotouristiques ont créé leur société et concept. C’est le cas de Chloé Cazaux Grandpierre avec C & W Expériences, une Sarl spécialisée comme elle me l’explique dans ce que les anglo-saxons considèrent comme « des tours culinaires », cela recoupe les vins, spiritueux, la gastronomie, la culture et le patrimoine.
Chloé est guide conférencière, mais aussi diplômée en sommellerie et exploite un VTC, elle a ainsi créé sa micro-entreprise en 2012 puis une Sarl en 2017. Avec son concept Expériences by Chloé and Wines, elle proposait de nombreux wine tours, des tours pédestres de Bordeaux « le gourmet food tour » ou tour une véhicule de découverte de 3 vignobles, comme celui du Médoc entre Pauillac, Saint-Julien et Margaux, mais aussi rive droite avec Saint-Emilion et Pomerol, ou rive gauche avec Graves et Sauternais, mais aussi Cognac, etc…des formules très abouties où elle servait de guide-chauffeur et réalisait avec les châteaux les visites et dégustations. Tout marchait bien, avec 357 personnes accueillies en 2018 et encore plus en 2019, jusqu’à cette sacrée épidémie de coronavirus…
Cela a commencé 15 jours avant l’annonce officielle de confinement du Président de la République, on a commencé à avoir des annulations avec remboursements, dans 95% des cas, ou des reports. Et quand Trump a annoncé la fermeture des frontières, cela a été la catastrophe, tout a été annulé », Chloé Cazaux Grandpierre
Chloé Cazaux Grandpierre reconnaît avoir pu travailler jusqu’à la mi-mars, mais « depuis je n’ai aucune réservation à venir, rien du tout, jusqu’en septembre où un tour a été reporté », il avait été réservé avec un bateau de croisière qui devait faire escale.
« Au début, cela a été très difficile de voir les annulations et de faire les remboursements d’acomptes, mais bon ce sont des cas de force majeure et donc avec les agences et les plateformes, on a remboursé bien sûr au client, mais je l’ai très très bien vécu, je suis restée philosophe. On est tous dans le même cas de figure et mieux vaut se concentrer sur l’après. »
Même si sa clientèle est à 100% internationale (90% d’américains, mais aussi des asiatiques de Hong-Kong, Singapour, du Canada ou d’Australie), Chloé sait qu’elle va rebondir, elle prospecte actuellement de nouveaux clients potentiels, relance son blog Chloé and Wines avec un article par semaine et commence une quinzaine digitale: « on va parler de vin, d’oenotourisme avec Rayne-Vigneau, de vin et musique avec Fleur Cardinale et de spiritueux avec Cognac et Rémi Martin, et de gastronomie avec le chef Stéphanie Bottreau de Cook and Tinem ». Un rendez-vous chaque soir sur Instagram à 18h. Chloé Cazaux Grandpierre continue donc d’occuper le terrain via internet et les réseaux sociaux, en attendant une embellie et le retour des touristes qui bien sûr vont chercher à revenir dans cette belle région viticole bordelaise.
Au château Rayne-Vigneau, Vincent Labergère reconnaît que l’oenotourisme « est une activité qui est devenue importante, depuis 2012 on a une progression à deux chiffres, cette activité connexe à la production de vin, permet de vendre du vin, d’établir un fichier client, d’avoir une visibilité et une certaine notoriété ».
On avait plein de projets de développement cette année, les projets pleuvaient de partout au niveau oenotouristique, mais aujourd’hui on est dans un mur, tout est annulé au niveau des groupes jusqu’à début juillet, » Vincent Labergère directeur du château Rayne-Vigneau.
C’est une offre très complexe et complémentaire que Vincent Labergère a mis sur pied avec ses équipes : depuis la visite découverte avec dégustation de 3 vins, « Secrêt de Rayne-Vigneau » visite chais et propriété avec aussi dégustation, à « Millésimez-vous » avec une dégustation verticale de 6 vins de la propriété, sans compter un « atelier d’assemblage » pour se mettre à la place du maître de chai et repartir avec son propre vin, la visite des « 5 sens en éveil » (comment comprendre par exemple le parallèle de qualificatifs sur un vin entre le toucher et la dégustation « soyeux », « doux », « velouté » sur la base d’une palette à toucher…et une autre sur les couleurs…),la découverte du terroir à cheval, un escape game « Sweet Game » ou encore une « dégustation perchée » dans un cèdre à 12 mètre en hauteur…
Un véritable succès puisque le château a enregistré 7000 visites payantes en 2019, et si on ajoute le week-end des portes-ouvertes cela monte à 10 000 personnes. Une reconnaissance aussi par les Best Of Wine Tourism qui avaient consacré l’an dernier cette visite des « 5 sens en éveil » par un trophée Best Of d’Or.
Mais tout cela, c’était avant ce satané virus qui fait dire avec humour à Vincent Labergère « on va allumer un cierge pour se relancer ». Mais dans ce secteur, comme dans d’autres, c’est souvent le travail et l’originalité qui sont récompensés: « on va continuer notre communication sur les réseaux sociaux et continuer à travailler notre visibilité. On organise d’ailleurs actuellement un concours de coloriage pour les moins de 12 ans avec un tirage au sort pour permettre de gagner une dégustation perchée pour 4 personnes, il y aura aussi des ateliers d’assemblage et visites découvertes à gagner pour les parents bien sûr. On réfléchit aussi pour le retour à un week-end pétanque et à des visites dégustations. Je pense que en juillet et en août on va retrouver une clientèle spontanée et locale car les gens ne vont pas pouvoir partir à l’étranger a priori, et on devrait reprendre une activité normale en septembre. »
Aujourd’hui l’absence de touriste et d’oenotouristes représente un grand vide, presque à donner le vertige quand on sait que 900 000 d’entre eux passent chaque année par l’Office de Tourisme de Bordeaux et qu’un tiers avouent avoir visité au cours de leur séjour au moins un château. 37% des ventes de visites à l’Office de Tourisme sont des visites dans le vignoble. Quant au nombre de nuitées vendues sur la métropole bordelaises, ce sont 6,35 millions qui ont été vendues en 2019, de quoi mesurer quelque peu le manque à gagner actuel tant pour les hôteliers, restaurants, guides, wine-tours que pour les châteaux.
Pour Sophie Gaillard, responsable de l’oenotourisme à l’Office du Tourisme de Bordeaux Métropole le contexte lui fait dire : « on ne va pas avoir de touristes étrangers ou très peu cet été, il va falloir trouver d’autres pistes; la clientèle française et locale vont être nos cibles privilégiées, mais ce ne sont pas les mêmes produits que l’on vend à des Français ou à des Américains. D’habitude notre offre de wine tours est pas mal ciblée sur une clientèle étrangère, désormais la tendance au locatourisme se profile. »
Allez on va positiver et on espère que cela va repartir dès que la situation sanitaire va s’arranger. Hauts les coeurs !