21 Avr

Primeurs 2019 : l’Union des Grands Crus et le négoce envisagent « un format ajusté d’ici la fin de cet été »

Confirmant ce que Côté Châteaux vous avait annoncé en primeur, l’UGCB et Bordeaux Négoce envisagent que les primeurs puissent se tenir d’ici la fin de l’été 2020, dans une formule ajustée, vu le contexte lié au déconfinement et au coronavirus. Sans doute au début de l’été.

Ronan Laborde, lors de sa première campagne primeurs en tant que nouveau président de l’UGCB en avril 2019 au hangar 14 pour la dégustation de l’Union © JPS

C’est « une formule nouvelle, exceptionnelle, adaptée et pragmatique » qui sera proposée pour faire déguster le millésime 2019. Une formule qui va tenir compte du déconfinement progressif et la reprise progressive de l’activité.

Elle consisteraient en « sessions de dégustations organisées à Bordeaux et dans d’autres villes du monde », des « sessions adaptées pour offrir les meilleurs garanties sanitaires tout en maintenant le même niveau de professionnalisme », selon l’UGCB

DES CERCLES RESTREINTS POUR DEGUSTER

Cela veut dire un nombre limité de dégustateurs en un même lieu et en même temps, ce que l’Union et le Bordeaux Négoce dépeignent comme « des cercles restreints de professionnels de la distribution, de critiques et de journalistes », avec « plusieurs sessions privatives successives permettant le resect des gestes barrières et des règles de protection sanitaires » Reste à confirmer tout cela vers le 11 mai au moment du déconfinement (progressif).

« L’UGCB et ses membres restent prudents. La priorité aujourd’hui demeure de lutter contre la maladie », commente Ronan Laborde. « Nous ne pouvons cependant pas renoncer à imaginer le jour d’après » (en espérant que cela n’ait aucun rapport avec le film éponyme « the Day After ») Et de poursuivre:

La formule que nous envisageons pour ces primeurs ne sera pas festive, elle sera professionnelle et intimiste » Ronan Laborde, président de l’UGCB.

« Après des moments difficiles, nous souhaiterions pouvoir proposer dans les prochaines semaines à nos amis et partenaires de se retrouver d’une façon un peu différente autour du millésime 2019, qui suscite tant de curiosité et à tant à dire. Cette nouvelle organisation, dont les détails devraient pouvoir être fixés dans » quelques jours, tiendra pleinement compte du caratère progressif et contraint du déconfinement qui devrait intervenir en France après le 11 mai. »

Eric et Andrea Perrin dans le chai de vins blancs du château Carbonnieux  © JPS

LES PROPRIETES PRETES  A S’ADAPTER

Joint par téléphone, Eric Perrin co-propriétaire de château Carbonnieux estime qu’effectivement « il n’y aura pas la place pour 300 châteaux, moi je vois les membres de l’Union (134 membres) et une trentaine supplémentaires, une campagne avec 150 châteaux  ou marques significatives pour un marché primeurs sur Bordeaux. Comment cela va s’organiser, une partie de dégustation et une partie d’échantillons , il faudra forcément imaginer un système différent, avec un système d’envoi et cibler les gros importateurs américains comme KLW ou Wally’s sur la Côte Ouest ou MS Walker ou Frederick Wildman sur la côte est. Je ne voyais pas faire 2 campagne primeurs en 2021, sur la même année pour les négociants ce n’était pas possible. D’un point de vue commercial, c’est clair qu’il va falloir une politique commune à l’extérieur comme avec l’Union. »

Une belle couleur et une belle intensité, pour le 2018 l’an dernier et bientôt le 2019 à déguster © JPS

LES REACTIONS DE COURTIER ET NEGOCIANT

« Pour l’instant c’est un peu prématuré d’en parler maintenant, car on ne sait pas ce qui va se passer le 15 juin. Ce qui est valable le 21 avril à ce jour, ne le sera pas forcément le 15 juin », commente Thimothée Bouffard co-gérant du bureau Ripert à Bordeaux.

« Après, je trouve bien de dire : il faut faire goûter les vins , en début d’été c’est une bonne chose, cela sera ramassé sur un certain nombre de marques, beaucoup moins large que d’habitude, mais tout dépendra de la capacité des clients et du négoce… 

Thimothée Bouffard, du bureau Ripert, courtier en vins depuis 30 ans © JPS

Le phénomène important sera le prix… Avant la crise du covid-19, l’élément prix allait être un élément fondamental, car depuis 3 ans on a une campagne très difficile, là l’impact du prix sera encore plus important » Thimothée Bouffard du cabinet Ripert

Yann Schÿler, PDG de la Maison de Négoce Schröder & Schÿler commente : « si tout le monde s’est mis d’accord, c’est très bien allons-y ! S’il y a du mouvement, cela ne peut être que bon, si tout le monde est partant, tout le monde partira et on fera le maximum.Il faut avancer, on en a marre de piétiner, tout le monde veut faire des affaires et une filière qui est unie, il faut se donner cette chance là, il faut que le coup parte et on l’accompagnera. »

Pour Jean-Pierre Rousseau, manager de la Maison de Négoce Diva à Bordeaux: « cela me va très bien, c’est une très bonne idée, on a besoin de cette campagne, toute la filière, les châteaux ont besoin de faire travailler les équipes. la période la plus adaptée pour moi serait fin juin, la retarder nous handicaperait sérieusement.

Mais faut tout de même s’arrêter et réfléchir un instant, il y a une crise de commercialisation actuelle assez importante et notamment un marché des livrables qui chute avec notamment des acheteurs chinois qui font baisser. « Ce qui est dramatique, c’est la valorisation des stocks du négoce qui a baissé fortement »,  commente Thimothée Bouffard. Elle serait de l’ordre de 15 à 30%, car il y a beaucoup de vin sur la place: « ce qui a été commandé pour le nouvel an chinois n’a pas été consommé, les Britanniques ont beaucoup de vin à vendre et Bordeaux aussi… » Pour Jean-Pierre Rousseau, « pour l’instant la chute des prix n’est pas énorme, on n’est pas encore en négatif comme pour le pétrole…Mais il y a des adaptations et plus le temps passera plus elles seront sévères d’où l’utilité d’une campagne qui permettra de remettre de l’argent dans la trésorerie3

Il y aura toujours des gens intéressés par les vins de Bordeaux, c’est un grand millésime, mais Bordeaux doit s’adapter à la situation...Donc la campagne, on peut la faire si on a un prix: si on trouve des 2019 à des prix inférieurs au 2015, voire en dessous de 2014, cela dépend de chaque marque. Mais en tout cas, il faudra que ce soit beaucoup moins cher que 2016, 2017 ou 2018. Si on a un bon prix, il n’y a pas de raison que nos clients ne soient pas inintéressés. Cela sera fonction de leur capacité financière ».

Yves Beck sur le millésime 2019 à Bordeaux : « quand on a autant d’homogénéité, on est sur une grande année… »

Notre ami Yves Beck, le critique suisse surnommé le « Beckustator », confiné à Bordeaux avant même le début du confinement vient de sortir ses commentaires et notes sur 638 vins de Bordeaux dégustés sur le millésime 2019. Il est un des rares critiques à avoir pu faire cet exercice et à sortir ses notes.Il est l’invité exclusif de « Parole d’Expert » pour Côté Châteaux.

© Yves Beck, le critique en vins suisse, en dégustation début mars

Jean-Pierre Stahl : « Bonjour Yves Beck, en fait vous êtes confiné en France et à Bordeaux depuis le début du confinement et même bien avant ? »

Yves Beck : « je suis arrivé le 28 février, j’avais un voyage avec des clients suisses pour visiter des châteaux et plutôt que de retourner en Suisse, je me suis dit que j’allais commencer ma session de dégustation du millésime 2019 le 6 mars, un peu plus tôt que d’habitude. Donc entre le 6 et le 16 mars, cela m’a permis de déguster pas mal de vins avant le confinement, entre 200 à 250 vins ».

« A partir du 17 mars, la donne a changé, si je retournais en Suisse, j’étais obligatoirement placé en quarantaine (car venant de France) et mon épouse qui est infirmière ne devait plus aller à l’hôpital, on a trouvé plus judicieux que je reste confiné en France. Cela s’est su et des amis oenologues se sont arrangés pour me faire parvenir des échantillons à Saint-Emilion, au château La Voûte »

Jean-Pierre Stahl : « Vous êtes confiné, confiné à déguster, c’est original…mais avec des conditions de dégustations particulières ? »

Yves Beck : « Les conditions finalement sont optimales. On réceptionne les bouteilles, les gens déposent les échantillons devant le portail, on prend des gants, on les stock et met au chai au moins 24h, avec toutes les règles d’hygiène, elles sont stockées à 13-14° maxi.

Quant à la dégustation elle est vraiment top: je suis seul à un endroit, même si ce n’est pas une méthode de travail que j’aime car j’ai envie d’habitude de rencontrer les gens qui font le vin, mais là je comprends certains critiques, c’est pratique, efficace et pour la sérénité, c’est pas mal. »

JPS : « Par rapport aux détracteurs qui pourraient dire que Yves Beck n’a pas jouer le jeu, Yves Beck au contraire est resté confiné ? »

Yves Beck : « Complètement, depuis le 17 mars, je n’ai plus quitté le château la Voûte. Quand je le quitte, c’est juste pour faire des courses ou marcher un peu, avec mon autorisation de déplacement dérogatoire. Mais je joue complétement le jeu du confinement, c’est tout-à-fait normal ».

« Et je me tiens aussi aux directives de l’Union des Grands Crus de Bordeaux. J’ai dégusté un bon tiers des crus classés de l’UGCB, on m’a demandé, et non imposé, si j’étais OK de ne pas publier mes commentaires et notes, ce que j’ai fait. Mais si un château me demande mes commentaires et notes, je les lui donnerai, ce qu’il en fait cela ne me regarde pas. De toute manière, tous les vins de l’UGCB que j’ai goutés, c’était avant les directives de l’Union. Il n’y a pas eu de château qui disait on donne nos vins à goûter à Yves Beck on s’en fout.  Non, s’ils le font ce sera après le confinement et de manière collégiale et groupé…Sans les vins de l’Union, on m’a présenté 638 vins, cela montre quand même un intérêt… »

JPS : « Alors quels types de vins, Yves ? »

Yves Beck : « J’ai dégusté de tout, de toutes les régions, du Médoc à l’Entre-Deux-Mers, ceux que j’ai dégusté le moins ce sont ceux de Pessac-Léognan (il faut dire qu’il y a beaucoup de crus classés (rires)), beaucoup de Médoc, de Haut-Médoc, Pauillac, Saint-Estèphe, Saint-Emilion en force, Pomerol, Fronsac, et quelques Sauternes mais pas beaucoup, mais cela m’a inspiré, de haut niveau. »

JPS : « Au final quel est votre ressenti sur le 2019 ? »

Yves Beck : « Par rapport au 2019, on a des bons vins partout. Saint-Emilion, Saint-Estèphe ressortent du lot. C’est un indice très important, que ce soit un Médoc, un Entre-Deux-Mers, un Fronsac, un Pauillac, autant en blanc qu’en rouge, en sec qu’en doux…

Quand on a autant d’homogénéité, on est sur une grande année, pas une année exceptionnelle, mais une grande année », Yves Beck.

« On a beaucoup de fraîcheur sur les 2019, de beaux tanins, belles structures, acidités et de beaux équilibres, ce qui fait qu’on va les savourer dans leur jeunesse mais aussi ils ont cette capacité de garde que l’on recherche à Bordeaux, avec des vins sur plus de 20 ans, sans problème. »

2019 est donc une grande année qui arrive dans un contexte malheureux, mais il y a de belles perspectives avec ce millésime »

© Yves Beck avec Eric Boissonot le 10 mars dernier

JPS : « C’est une année en 9 en prime, et souvent ces années en 9 sont réussies… »

Yves Beck : « Tout-à-fait, quand on reprend le 99 c’était une bonne année sur la fraîcheur, 2009 une année chaleureuse avec du gras, du corps, des vins suaves et tanniques…

2019, ce qui le différencie, il a bien plus de corps qu’en 1999 et plus de fraîcheur qu’un 2009″

« La loi des 9 est assurée, avec aussi 1989, si je me souviens bien une année chaude et sèche… »

JPS : « Est-ce que la sécheresse en 2019, cela a joué ? »

Yves Beck : « C’est clair que les terroirs calcaires, ils ont joué leurs atouts. Ce sont eux qui arrivent le mieux à gérer le stress hydrique. Saint-Emilion a profité de son terroir calcaire, tout comme Fronsac qui s’en est bien sorti…

« Si on regarde du côté de Saint-Estèphe, ils ont eu une parfaite maturité des cabernet-sauvignons, difficiles à détrôner, Saint-Estèphe sur 2019, cela donnera de grands vins…A Pomerol, ça a été un peu plus compliqué avec des sols sableux, mais les argiles ont joué, c’est plus en dents de scie que d’habitude. »

En résumé parfaite maturité des cabernet-sauvignons sur la rive gauche et avantage aux beaux terroirs calcaires en Saint-Emilion et Fronsac, il ya une belle complémentarité ».

JPS : « On peut dire que c’est un millésime sauvé des eaux ou plutôt de la canicule, grâce aux mois d’août et septembre ? »

Yves Beck : « Les pluies en août ont été salutaires, on a eu l’impression que la météo était réglée comme une horloge suisse, s’il n’y avait pas eu ces épisodes, cela aurait été encore plus compliqué, cela aurait manqué surtout de fraîcheur et d’équilibre… »

Il y a du pep’s, de la gniaque, dans un style très complet. On a de l’ampleur, de très belles notions d’équilibre avec surtout de la fraîcheur.

JPS : « Et vous avez déjà publié vos notes et commentaires…? »

Yves Beck : « J’ai sorti un premier carnet avant hier avec 638 vins qui sont présentés. Le gros est passé, je ne vais pas attendre, attendre, c’est la première partition. Mais déjà j’ai reçu une cinquantaine d’échantillons supplémentaires, arrivés depuis le 18 avril, évidemment tout le monde n’était pas au courant que j’étais là. il y aura une deuxième carnet avec une centaine de crus et potentiellement un troisième avec la dégustation de l’Union, mais on ne sait pas où ni comment ? Mais je préfère me concentrer sur ce que j’ai à faire. »

JPS : « Et vous notez sur une échelle de 100 comme Robert Parker autrefois. »

Yves Beck : « Je travaille toujours sur des notes potentielles en dégustation primeurs, on déguste à un instant T, on déguste quelque chose en cours d’élevage. Mes meilleures notes on été décernées à Lafleur à Pomerol 98/100 et à Tertre Roteboeuf à Saint-Emilion 98-99/100, mais ce qui est aussi réjouissant c’est château Lousteauneuf qui obtient 95-97 en Cru Bourgeois, cela montre la capacité du propriétaire à produire de grands vins mais aussi la logique d’un grand millésime où l’on voit des crus plus modestes dans la course.

« J’utilise les notes entre 80 et 100/100, en dessous comme 75 cela n’intéresse personne et je suis davantage Das une logique positive. La critique est dans la note, si vous obtenez 90 c’est très bien mais il vous manque 1à pour aller à 100. Je suis plus dans le positif, cela ne m’intéresse pas de dire du mal, il faut être respectueux des gens qui produisent du vin et c’est mon approche.. »

JPS : « Ce n’est pas l’Ecole des Fans tout de même où tout le monde a gagné…? »

Yves Beck : « Non, mais si ton gamin rentre de l’école et te dit qu’il a obtenu juste à 88 sur 100 questions, tu ne vas pas lui foutre une claque, tu vas lui dire bravo c’est bien tu connais bien la matière, mais 88 dans le milieu ça ne vaut pas assez, on commence à s’intéresser à toi si tu as 92 points ou plus, c’est dommage mais c’est comme cela. A 88, j’ai des petits vignerons qui me remercient d’avoir eu 88 points, et y en a d’autres plus grands qui râlent quand j’ai mis 92 à leur vin… »

JPS : « Par rapport à Robert Parker qui a fait la pluie et le beau temps à Bordeaux, et qui a laissé un grand vide, vous êtes plusieurs critiques à vous exprimer aujourd’hui, est-ce que vous l’avez tous remplacé…? »

Yves Beck : « A court et à moyen terme, une telle influence comme Robert Parker a eu, il n’y en aura plus ! C’était mon idole, quand j’étais adolescent j’étais fasciné par ce gars, j’achetais les vins qu’il notait et je les goutais, j’étais un grand fan. C’est un peu grâce à lui et par goût que je suis devenu dégustateur et critique e vins; mais une telle domination et suprématie, c’est dangereux, à l’époque Bordeaux l’a acceptée. 

Le monde des critiques doit être coloré et multiple, aujourd’hui il y a beaucoup plus de dégustateurs et de consommateurs qui s’impliquent et qui commentent, cela s’est démocratisé et diversifié, il y a presque autant de dégustateurs que d’entraîneurs en foot »

James Suckling est très actif à plein d’échelles, sur les vins américains Italiens, Bordelais, il joue sur beaucoup de tableaux, il est très suivant aux USA ou en Asie, il y a aussi Neal Martin, Jeb Dunnuck  très influent sur les Usa mais plus axé Vallée du Rhône et Lisa Peretti du Wine Advocate sur Bordeaux.

« Si on regarde, le consommateur est intéressé, c’est fondamental d’avoir différents sons de cloche et c’est bien que ce monde de critiques soit coloré, c’est plus attractif, plus fun, plus dynamique aussi. Cela ne m’intéresse pas d’être un grand critique mondialement reconnu, je vis de mon métier et je partage le plaisir du vin. C’est vrai que j’ai grandi depuis deux ans, mais je n’ai pas de prétention surdimensionnée, vivre de la critique de vin, c’est tout sauf évident mais je me dédie 100% à cela, j’aime mon métier ».

Pour tout savoir et suivre Yves Beck c’est ici