Les vignes sont de retour aux portes de Paris : deux jeunes entrepreneurs ont planté un vignoble de trois hectares dans les Yvelines, une première depuis près de 200 ans en Ile-de-France.
Photo d’illustration © JPS
Depuis la mi-mai, des pieds de vigne sont apparus parmi les champs de blé et de maïs de la plaine de Versailles, à Davron, à 30 kilomètres de la capitale. Le beau soleil de juillet a vu éclore les premières feuilles et embryons de grappes, sous le regard satisfait d’Adrien Pélissié et Julien Bengué, fondateurs de la société Winerie Parisienne.
Leur rêve de recréer un vignoble professionnel -c’est-à-dire exploité en vue d’une production conséquente- en Ile-de-France prend forme mais ne se concrétisera qu’avec les 20.000 premières bouteilles prévues pour 2020.
En lançant fin 2015 un « chai urbain », aujourd’hui basé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), ils avaient en tête de « ressusciter le patrimoine viticole » local avec un vin « issu à 100% de l’agriculture francilienne », explique Adrien Pelissié. « La région était plantée de 44.000 hectares de vignes, c’était le premier bassin de production viticole en France pendant des siècles. Cette histoire s’est interrompue avec le phylloxera au XIXe siècle, une maladie qui a fait disparaître l’intégralité des vignes, ne laissant que des vestiges avec des vignes patrimoniales comme à Montmartre », rappelle-t-il.
« Ce vignoble de mauvaise qualité a disparu pas tellement à cause du phylloxera mais à cause de la concurrence des vins du Midi », juge pour sa part Jean-Robert Pitte, géographe spécialiste des paysages, de la gastronomie et du vin. « Il était destiné à la production de vins ordinaires avec de très gros rendements: le « picolo d’Argenteuil », le « bleu de Suresnes »… C’étaient des vins assez détestables, bus en grande quantité dans les guinguettes et les bistrots, qui ont été remplacés à la fin du XIXe siècle par un mélange de vins du Languedoc et d’Algérie. Après est venu l’essor urbain, les terrains ont été couverts de lotissements », ajoute-t-il.
Avec l’aide de la chambre d’agriculture locale, les deux associés et leur oenologue Julien Brustis ont déniché un terrain avec une exposition idéale, plein sud, et les caractéristiques pour faire un vin « qualitatif ». « C’est une parcelle à environ 100 mètres d’altitude, ce qui permet d’avoir régulièrement du vent. C’est intéressant pour sécher le feuillage après la pluie et éviter le risque de gelée. On a un sol peu profond qui va permettre à la vigne de mûrir de façon intéressante, et la dalle de calcaire et de craie va donner une complexité aromatique et une typicité intéressantes », détaille Julien Brustis.
Trois hectares, soit 16.500 pieds de cépages chenin et chardonnay pour les blancs et merlot et pinot noir pour les rouges, ont été plantés avec l’objectif à terme d’atteindre un vignoble de 20 hectares. « Certains (de ces cépages), comme le merlot, n’ont pas été plantés aussi au nord », souligne Brustis.
Outre un changement de réglementation européenne en 2016, le réchauffement climatique, qui a repoussé vers le nord les frontières de la viticulture, a permis ce projet.
Depuis les années 1980, « la carte des territoires où l’on peut faire du vin se modifie », confirme Jean-Marc Touzard, directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique, citant en exemple le Royaume-Uni qui produit désormais des vins effervescents.
Avec sa production en Ile-de-France, la Winerie Parisienne a « anticipé » cette évolution, estime-t-il, en soulignant le choix de leurs cépages comme le pinot noir et le chardonnay en Bourgogne et le chenin dans la vallée de la Loire. « On fait le pari que certains cépages habituellement plus au sud vont atteindre leur meilleure expression un peu plus au nord », explique Julien Brustis.
Les trois collaborateurs s’attendent à « des vins élégants et fins, plutôt que des vins opulents et riches », explique Julien Brustis: « Mais on va attendre de les avoir en cuve. C’est la réalité qui parlera lors des premières vendanges dans trois ans. »
AFP