21 Avr

Le millésime 2020 vu par les oenologues et consultants : « c’est une régalade ! »

Petit tour d’horizon des oenologues et consultants du bordelais pour recueillir leur avis sur le millésime 2020. Un millésime « assez exceptionnel » qui s’ajoute à 2018 et 2019, et déjà on parle d’une nouvelle trilogie d’anthologie. Bizarres ces années en 8,9 et 0, qui depuis 40 ans sont gages de succès à Bordeaux. Les avis de Stéphane Toutoundji, Stéphane Derenoncourt, Hubert de Boüard, et Julien Viaud, actuellement en Argentine.

Stéphane Toutoundji, dégustant ce matin le 2020 dans son © laboratoire Oenoteam à Libourne

QUE PENSEZ-VOUS DU 2020 ?

Stéphane Toutoundji (Oenoteam) : « c’est un millésime assez exceptionnel. Avec beaucoup d’équilibre et un gout extraordinaire en bouche. On a eu un hiver et un printemps très pluvieux, vraiment doux, dès lors une vigne qui était prête à encaisser une situation estivale « costaud ». La floraison a été précoce, signe de millésime qualitatif à Bordeaux, puis un été sec et frais, favorable à la croissance des raisins, de belles accumulations d’anthocyanes et de tanins.Au niveau maturation, les températures chaudes en journée et la très grande amplitude thermique entre le jour et la nuit favorisent ainsi à Bordeaux les grands millésimes comme ce 2020″.

Stéphane Derenoncourt (Derenoncourt Consultants): « 2020, c’est une très très grande surprise, quant à l’identité des vins. On a des vins extrêmement frais, des tanins mûrs mais très doux, enveloppés, pas fatiguants  jolis, qui ont gardé énormément de fraîcheur »  

Pascal Chatonnet (Laboratoire Excell): « ce millésime, je trouve qu’il a une belle gueule. Ce n’était pas gagné, pas si facile que cela avec un printemps très compliqué, en plus avec le covid on n’était pas assuré d’avoir de la main d’oeuvre, dans les vignes c’était aussi compliqué avec le mildiou, bref assez chaotique jusqu’à fin juin. Puis début juillet, l’été est apparu avec une caractéristique peu connue à Bordeaux : une période de sécheresse, plus de 50 jours sans pluie. Cela a changé considérablement le profil du millésime et d’une année mal barrée c’est redevenu une année à potentiel énorme. Les pluies d’août sont arrivées plus tardivement que prévues avec  une hétérogénéité marquée. En septembre juste assez de pluies pour que la maturité se passe dans de bonnes conditions jusqu’à début octobre. Quant aux vendanges, les premiers blancs fin août, on a vendangé les rouges 2e quinzaine de septembre, sans pression.

« A la fin cela a donné une qualité assez intéressante. Des vins très denses, très frais, très aromatiques avec des tanins très souples. »

Hubert de Boüard © Bee Bordeaux

Hubert de Bouard (Hubert de Boüard Consulting et Oeno-Lab)  « C’est un millésime assez reposant, presque un pêcher mignon. Je le représenterais un peu comme un super 2001 rive droite et entre un 2008 et 2010, avec cependant moins riche en alcool que le 2010, et un peu plus chaleureux que 2019. C’est un millésime intéressant, avec des pluies présentes de novembre à juin, on a eu peur avec le mildiou, mais finalement cela a bien tenu. Il a fait chaud mais finalement rien caniculaire, un grande sécheresse c’est vrai cet été, avec un vignoble qui a souffert mais sans pic. C’est construit, c’est un millésime dans l’harmonie, on a une vraie identité, de très belles couleurs, des vins magnifiques partout, avec une typicité marquée, en Côtes de Blaye, Pessac-Léognan, Graves, Nord-Médoc, un côté salin qui donne de la fraîcheur. Depuis 20 ans que je fais du consultant, ce sont les meilleurs merlots que j’ai goûté pour la rive gauche. »

Julien Viaud (Michel Rolland): « C’est un millésime avec ce qu’il faut de petits tanins et d’arômes, il a fallu se faire violence pour garder tout cet équilibre, il fallait ne rien faire, ce qui est une épreuve pour nous et assez drôle. C’est un millésime récolté précocement , éclatant de fruits. Finalement l’équilibre a eu tendance à bouger très rapidement, les raisins étaient bons plus tôt et donc on a anticipé les vendanges de 5 à 6 jours pour garder cet éclat de fruits et cette fraîcheur aromatique. »

Stéphane Derenoncourt (à gauche), dans sa salle de dégustation à Sainte-Colombe lors du Palmarès Castillon en novembre dernier © JPS

2018, 2019 PUIS 2020, UNE SACREE TRILOGIE

Julien Viaud : « Avec ce 2020, on vient de faire un troisième bon millésime après 2018 et 2019. Il ne faut pas s’en excuser. Des trilogies comme celle-là, il n’y en a pas beaucoup. 2018 était plus solaire, 2019 plus en puissance et 2020 très soyeux. Aujourd’hui, on travaille les vins plus en délicatesse. »

Stéphane Toutoundji : « on est sur 3 grands millésimes… 2018, très pur, intéressant par le côté chaleureux; 2019, avec une belle précision aromatique, 2020 un millésime de très haut niveau, avec un bel équilibre, de la fraîcheur et un gout extraordinaire. »

Hubert de Bouard : « c’est une vraie trilogie bordelaise et il n’y en a pas beaucoup. 2018 était très solaire, 2019 avait cette typicité, cette verticalité et ce classicisme bordelais, 2020 plus harmonieux, de la suavité, un coté salin, une vraie appétence tanins-fraîcheur. « 

Stéphane Derenoncourt : « En 2018, 19 et 20, ce sont des millésimes sans excès de style, on retrouve le traditionnel équilibre bordelais, avec de la maturité, de la fraîcheur, les 3 sont réussis, avec pas de gros rendements, comme pour ce 2020 où la floraison n’était pas géniale, beaucoup de sécheresse des peaux épaisses et peu de jus. »

Pascal Chatonnet : « La trilogie 18,19, 20, moi elle me fait penser à 2008, 09,10… Le 2020, je trouve que c’est un hybride entre 2018 -puissance, fraîcheur, densité- et 2019 -souplesse-finesse… Globalement, c’est bon partout, c’est assez hétérogène sur les rendements, dans le Médoc on a eu moins de cabernet sauvignon que prévu.Sur la rive droite, cela a été hétérogène à cause des événements climatiques (grêle du 17 avril). Pour ceux qui ont ramassé un peu tard, il y a eu un phénomène de concentration sur pied avec des rendements encore plus faibles, notamment sur des sols argileux. »

Julien Viaud en pleine dégustation © Mika Boudot

LES MILLESIMES EN 8,9 ET 0 DEPUIS 40 ANS SEMBLENT BENIS A BORDEAUX, 40 ANS DE TRILOGIES ?

Stéphane Derenoncourt : « c’est vrai, c’est assez juste et un peu plus homogène dans la qualité. En 2008, c’était très frais, 2009 très solaire et 2010 mûr et frais. On retrouve cela aussi 10 ans plus tôt. Et puis en 88, 89, 1990 on a retrouvé une homogénéité. 

Stéphane Toutoundji : « Je n’ai pas d’explication particulière, et pourquoi les années en 7 gèlent aussi ? 2020, on était parti pour faire un millésime épouvantable et au finale c’est un millésime de surprise, de régalade. C’est le hasard, 4 fois trois grands millésimes en 40 ans… »

Hubert de Bouard : « C’est vrai, on a cette année encore une trilogie construite. En 2008, 09 et 10, on avait une trilogie mais en 2008 un beau millésime mais pas du même niveau que 2009 et 2010. De même, pour le 88 en dessous de 1989 et 1990. Cette année tous les 3 sont du même niveau mais dans des profils différents. Je suis pragmatique, je regarde cela avec intérêt, je n’ai pas d’explication, je laisse cela à ceux qui ont des explications ésotériques. En tout cas, c’est formidable pour Bordeaux, à une période où Bordeaux souffre, il y a beaucoup de fresh air avec des notions de salinité et d’appétence sur le 2020. »

Julien Viaud : « En comparaison, il y en a toujours un plus faible: ainsi le 2008 est plus faible que 2009 et 2010 qui sont monstres; en 1998, 1999 et 2000, on a souvent parlé de la qualité du 2000 car c’était aussi un millésime avec trois zéros, le prochain le 3000 on ne le verra pas ! Mais 2001 en suivant était à mon avis meilleur. Ensuite 88, 89 et 90: 89 et surtout 90 était meilleur que 88. Après,il n’y a pas de problème mais 3 millésimes d’un même niveau, il y en a peu.

Pascal Chatonnet : (rires) « Peut-être bien, oui. Absolument, mais on s’améliore avec les années, les dernières trilogies sont meilleures que les plus anciennes. En tout cas très content du millésime, en qualité ce sera très bon et il y a une accessibilité organoleptique. Le 2020 est plus subtil que le 2010 qui est plus massif. »

20 Avr

Bordeaux face au gel : les réactions du monde viticole à l’annonce du fonds de solidarité exceptionnel de 1 milliard d’euros

Samedi Jean Castex a annoncé le déblocage d’un fonds de solidarité de un milliard d’euros pour venir en aide à l’agriculture sinistrée par le gel. Concrètement, comment vont s’orchestrer ces aides, dans quels délais pour les agriculteurs et viticulteurs sinistrés. Quels sont leurs attentes et leurs réactions face à ces aides annoncées.

Au Château Figeac, Frédéric Faye directeur a rassemblé 35 personnes pour combattre le gel le 7 avril © JPS

La première réaction de Bernard Farges, président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux est de reconnaître que « c’est une bonne chose que le Premier Ministre soit allé sur le terrain, quelques jours après le sinistre. Les annonces ont été rapides, c’est une bonne chose également même si maintenant il faut voir dans les faits. » Même réaction de Luc Planty, directeur de château Guiraud à Sauternes qui a vu 90% de son domaine être gelé les 7-8 avril :« que l’Etat veuille nous aider, c’est une bonne chose maintenant, il faut voir dans les actes. »

Jean Castex, en déplacement samedi matin dans une exploitation viticole de l’Hétault, a donc annoncé « un fonds de solidarité exceptionnel à hauteur d’un milliard d’euros car la situation le justifie », a-t-il indiqué, tout en détaillant les mesures phares qui allaient être prises à savoir : « une année blanche pour les cotisations sociales pour tous les agriculteurs concernés, il y aura également un dégrèvement de la taxe foncière pour toutes les exploitations concernées et nous allons également débloquer des crédits d’urgence ».

SAUTERNES ET BARSAC, APPELLATIONS TRES TOUCHEES

Joint ce matin, Jean-Jacques Dubourdieu, touché à 100% sur les châteaux Doisy Daëne et Cantegril, commente: « on panse nos plaies, sur Sauternes et Barsac, cela a été assez violent, tout le monde a souffert, il n’y a pas eu de phénomène jaloux, même le plateau de Sauternes a été touché… Normalement, ce sont les versants nords, les zones les plus basses qui sont touchées, mais là il n’y a pas de logique. On avait eu un mois de mars très sec et ce n’est pas une bonne chose, l’humidité aurait peut-etre fait tampon. On a eu des -5 à -7°C, alors qu’on nous avait annoncé -1° ! »

Jean-Jacques Dubourdieu réagit aussi en tant que Président de l’Organisme de Défense Sauternes-Barsac face à ces annonces : « tout cela est très bien…

Jean-Jacques Dubourdieu dans les chais de Reynon en septembre 2020 © JPS

Face à un impondérable, que l’Etat nous aide c’est très bien, mais j’estime qu’on le mérite, comme d’ailleurs nos collègues de la Vallée du Rhône, de Loire ou d’ailleurs en France… « Jean-Jacques Dubourdieu

Et d’ajouter : « En viticulture, on est de bons petits soldats, on représente tout de même 20% des actifs en Gironde, on fait vivre nos villages, on crée de l’emploi, on fait rentrer des devises et on est indélocalisable ! Au delà de la symbolique culturelle, Bordeaux a une symbolique économique et donc c’est justifié, on compte vraiment. »

CHOMAGE PARTIEL POSSIBLE

Concernant ces crédits d’urgence, une enveloppe devrait être débloquée sous 10 à 15 jours par le biais des préfets pour les exploitations les plus en difficultés. « En terme d’urgence pour la viticulture, le gel a gelé des vignes mais par le vin, le sujet est la conséquence économique du gel et est donc décalé dans le temps. On a appris hier que des mesures de chômage partiel pourraient être mises en place pour les entreprises sinistrées, car quand les vignes ont gelé, le travail d’avril va être décalé plus tard et il va y avoir beaucoup de travail à venir… »

Bernard Farges en mai 2018 © JPS

On avait besoin d’avoir accès au chômage partiel pour les entreprises viticoles sinistrées, et ça c’est acquis », Bernard Farges, président du CIVB.

En terme d’urgence, ce sera décalé et ça concernera 2022, on peut néanmoins considérer que des mesures d’urgence pourront compenser la perte de jeunes plants détruits par le gel, sinon l’effet économique du gel est décalé, ce qui n’enlève rien aux difficulté économiques du moment liées au covid et à la crise de commercialisation.  »

Pour les exploitations le plus impactées, il a été précisé par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, pour qui « les agriculteurs viennent de vivre la pire catastrophe agronomique depuis le début du XXIe siècle », que « les aides seront proportionnelles aux pertes, et ce avec des données précises de déclarations de récoltes », ajoute Bernard Farges.

« Il y aura une exonération de charges, avec une année blanche en terme de cotisations sociales qu’il reste à préciser, est ce que cela va s’appliquer dès 2021 ou 2022…Ce qui est particulier, c’est l’accès au fond de calamité agricole, que l’entreprise soit assurée ou non assurée, le fond devrait s’appliquer, on va examiner les baisses de chiffre d’affaire, baisses qui seront compensées par le fond de solidarité. »

« Il y aura aussi une exonération de taxes foncières sur le non bâti fonction de la perte et de la sinistralité, commune par commune, évalué par les services de l’Etat ».

Du côté des services de l’Etat, ce matin il a été précisé que des réunions sont programmées en ce début de semaine et la Préfète Fabienne Buccio se rendra sur le terrain jeudi matin dans un château du Pian-Médoc pour revenir sur ces dispositifs d’aides.

Tout est bon pour réchauffer les jeunes pousses, parfois du foin, parfois du bois aussi…nuit du 7 avril © JPS

DES IDEES POUR FAIRE FRONT FACE AUX PROCHAINS EPISODES DE GEL

Quant au moral et à la foi des viticulteurs, ceux-ci font face. « Là, c’est sûr c’est très dur à Sauternes, sur le moral », commente Luc Planty. « On avait besoin de faire une belle récolte…On avait déjà connu la grêle en 2018 (95% de Guiraud grêlé), le jour de la coupe du monde de football: on a gagné la coupe mais on a perdu la récolte. On travaille avec la nature, il faut l’accepter, on n’a pas le choix. »

Déjà ils pensent à des solutions face à ces épisodes de gel à répétition avec le changement climatique.

Il va falloir réfléchir à des tailles plus tardives, même si tu ne peux pas tout faire la veille car ce n’est pas possible de tailler uniquement en mars, cela prend du temps… », commente Jean-Jacques Dubourdieu.

Celui-ci redoute aussi que les aides « en terme sonnantes et trébuchantes par rapport aux pertes réelles » arrivent tardivement car d’abord l’Etat va aider les arboriculteurs qui ont perdu toute leur récolte. « Nous il faudra attendre après les vendanges pour estimer nos pertes réelles, j’espère qu’il va rester quelque chose… Je ne crois pas au père Noël mais j’espère qu’on sera aidé car notre tissu économique a été soudoyé par le covid, les taxes Trump, les méventes en 2019 avec le mouvement des gilets jaunes; on comptait sur le millésime 2021 pour se relancer…Là on pourrait ne faire qu’entre 1/3 ou la moitié d’une récolte, avec la repousse… »

Depuis 2016, on ne compte plus les événements climatiques à répétition dans le bordelais, entre le gel, la grêle, le mildiou, sans parler des méventes… Le vigneron doit avoir le coeur bien accroché…

17 Avr

Gel en France : Jean Castex annonce une « aide significative de l’Etat à hauteur d’un milliard d’euros car la situation le justifie »

En déplacement ce matin sur une exploitation meurtrie par le gel de ces derniers jours, le Premier Ministre Jean Castex a annoncé la solidarité du gouvernement et un plan de soutien aux exploitations agricoles, arboricoles et viticoles. 

En visite ce matin sur un domaine viticole sinistré de l’Hérault, le Premier Ministre Jean Castex a annoncé « une aide significative de l’Etat à hauteur d’un milliard d’euros car la situation le justifie… »

« Il y a d’abord des mesures d’urgence (qui vont être prises) et notamment une année blanche pour les cotisations sociales pour tous les agriculteurs concernés, il y aura également un dégrèvement de la taxe foncière pour toutes les exploitations concernées et nous allons également débloquer des crédits d’urgence ».

Ces épisodes de gel qui se sont déroulés sur une quinzaine de jours depuis début avril ont violemment touché l’ensemble des régions viticoles de France mais aussi toutes les exploitations arboricoles, augurant d’une des productions ses plus impactées depuis 50 ans, avec les gels de 2017 et 1991 pour les exploitations viticoles notamment.

Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA, avançait en milieu de semaine des pertes estimées à 2 milliards d’euros de chiffre d’affaire en moins.

Stéphane Derenoncourt : « le 2020 est un très bon millésime »

Stéphane Derenoncourt, consultant en viticulture et vinification, propriétaire du Domaine de l’A, livre à Côté Châteaux ses premières impressions sur le millésime 2020 qui est actuellement sorti en primeurs et se fait déguster à Bordeaux mais aussi à l’étranger avec l’envoi d’échantillons. Il est l’invité de Parole d’Expert.

Stéphane Derenoncourt, dans son chai du Domaine de l’A, en novembre 2020 lors du Palmarès Castillon © Jean-Pierre Stahl

Jean-Pierre Stahl : « Bonjour Stéphane, le 2020 on a envie de dire que c’est un millésime quelque peu sauvé du gel… On a vu le phénomène cette année recommencer de manière intense début avril et compromettre une bonne partie des récoltes par endroits. On a l’impression que le réchauffement en 2020 et 2021 a favorisé la précocité et du coup le danger avec le gel… »

Stéphane Derenoncourt: « Effectivement, il y a eu des producteurs qui n’ont pas réussi à produire, notamment en Pessac-Léognan; il y a eu un épisode très froid en début de campagne…. On a assisté à un hiver relativement doux et pluvieux, ce qui a favorisé un débourrement précoce. J’ai effectivement quelques souvenirs de gelées de manière jalouse, c’est une des conséquences du réchauffement climatique ».

« On assiste en fait à 2 saisons: d’un côté un hiver et un printemps doux et pluvieux avec de grosses pressions maladies avec notamment le mildiou cela a été compliqué et la floraison n’a pas été super… Et de l’autre un été très sec à partir de fin juin, une grande sécheresse avec des vignes qui ont accusé le coup fin  juillet, avec fort heureusement quelques pluies au mois d’août…Il y a d’ailleurs eu 4 fois plus de pluies rive gauche (100 mm) par rapport à la rive droite où il n’est tombé que 25 millimètres ».

« En septembre, on a goûté les raisins, on a eu peur d’un millésime très solaire comme le 2003, avec des degrés et des maturités qui augmentaient…Mais finalement, on a pu vendanger à sa guise, sur pratiquement 3 semaines, on a pu amener les parcelles là où on voulait et on a eu ce luxe-là. A Bordeaux, on vendange souvent vite car ça peut partir en sucette… Mais, là non. »

JPS : « quelles sont alors les caractéristiques de ce millésime 2020 ?

Stéphane Derenoncourt:

2020, c’est une très très grande surprise, quant à l’identité des vins. On a des vins extrêmement frais, des tanins mûrs mais très doux, enveloppés, pas fatiguants  jolis, qui ont gardé énormément de fraîcheur » Stéphane Derenoncourt.

« Et là, c’est la rançon du travail du vigneron avec une bonne gestion des sols, tu ne vois plus de sols nus…Cela favorise un enracinement profond et c’est bénéfique pour le millésime… »

« On a un caractère très identitaire. A Pomerol, on trouve des vins charnus, très jolis, à Saint-Emilion c’est plus droit, des vins crayeux, plus salins dus à l’identité du calcaire, c’est un peu vrai aussi pour Pessac-Léognan, à Saint-Julien on retrouve ces graves fines… »

« A Bordeaux, c’est de plus en plus assumé, on assiste à un changement de style, pas de grosse surmaturité et beaucoup moins d’extraction, on n’est pas gêné par le côté boisé, on a des vins assez équilibrés, assez justes. On a plus de buvabilité, d’accessibilité et moins de maquillage qu’autrefois… »

JPS : « Ces dernières années, il y avait la dégustation des primeurs de la Grappe, des vins de propriétés que vous conseillez, mais comme l’an dernier la version traditionnelle ne se tiendra pas, comment vous organisez vous finalement ?

Stéphane Derenoncourt: « Nous, on a organisé une logistique pour envoyer des bouteilles aux dégustateurs étrangers, avec une synthèse du millésime écrite et possibilité d’échanger en visio pour parler du millésime ».

« Pour ceux qui peuvent venir, comme les Européens, on arrive à organiser à Sainte-Colombe au Domaine de l’A, des dégustations dans le respect des consignes sanitaires, dans 3 salles. Finalement, on va recevoir pas mal de monde entre fin mars et fin avril, et c’est ouvert aux négociants et aux courtiers.

JPS : « Là, on enchaîne 3 années assez exceptionnelles, peut-on faire un rapprochement aussi avec les 2008, 2009, 2010 ? J’ai envie de dire c’est une succession de trilogies avec encore les 1998, 1999, 2000 et encore avant les 1988, 1989 et 1990… »

Stéphane Derenoncourt : « c’est vrai, c’est assez juste et un peu plus homogène dans la qualité. En 2008, c’était très frais, 2009 très solaire et 2010 mûr et frais. On retrouve cela aussi 10 ans plus tôt. Et puis en 88, 89, 1990 on a retrouvé une homogénéité. 

« En 2018, 19 et 20, ce sont des millésimes sans excès de style, on retrouve le traditionnel équilibre bordelais, avec de la maturité, de la fraîcheur, les 3 sont réussis, avec pas de gros rendements, comme pour ce 2020 où la floraison n’était pas géniale, beaucoup de sécheresse des peaux épaisses et peu de jus. »

JPS: « Au final, s’il fallait résumer ce 2020, est-ce un grand millésime ?

Stéphane Derenoncourt: « C’est le millésime de la surprise, un grand millésime de fraîcheur, mais pas un grand grand, c’est un millésime de riches qui a demandé beaucoup de moyens à la vigne, pour certains, il y en a qui vont afficher des vins meilleurs que 2019. On a 18, 19 et 20, plus ou moins, de même calibre, incontestablement ces 3 millésimes font partie des réussites de la décennie. Globalement, 2020 est un très bon millésime. »

15 Avr

Gel de la vigne : la chambre d’agriculture de la Gironde dresse la carte des dégâts hétérogènes sur le département

La Chambre d’Agriculture a répertorié les dégâts provisoires avec ses conseillers et établi une cartographie des zones les plus touchées avec forcément les températures les plus basses relevées. Les secteurs des Graves, de Sauternes et du Sud-Gironde ont été fortement abimés, ainsi qu’une partie vallée de la Dordogne et du Nord-Gironde. Toutefois la chambre attend le 15 mai pour dresser un bilan plus complet avec les contre-bourgeons qui vont sortir.

« Avec nos conseillers sur le terrain, depuis la fin de semaine dernière et ce début de semaine, on approche les 1000 relevés; il y a une similitude très forte entre les dégâts constatés et la carte des températures minimales du mois d’avril », commente Philippe Abadie, directeur du Pôle Entreprises à la Chambre d’Agriculture de la Gironde.

Dégâts des vignes, épisodes gélifs 2021 © Chambre d’Agriculture de la Gironde

Ce jeudi en fin d’après-midi, la Chambre d’Agriculture a ainsi dévoilé la carte des dégâts provisoires dus au gel, arrêtée au 15 avril, où l’on distingue bien des zones très meurtries, comme indiquées dès la semaine dernière dans les précédents articles du blog, à savoir les Graves, Sauternes et Barsac et le Sud-Gironde, mais aussi une partie du Nord-Gironde dans le Blayais et les Côtes de Bourg où souvent le gel a touché 80% des vignes…Des zones où les températures sont descendues en dessous de -4° lorsque l’on regarde aussi la carte des températures minimales relevées.

C’est un gel précoce de début avril, différent des gels généralisés et plus tardifs de 2017 et 1991 à une période où toute la végétation de la vigne était sortie », Philippe Abadie, Chambre d’Agriculture de la Gironde.

« Là toute la végétation n’était pas sortie sur tout le vignoble, et même si une plante a été gelée, un contre-bourgeon peut repartir et compenser partiellement la production perdue ».

Nous sommes très prudents pour avancer une estimation précise, mais nous le ferons dans la 2e quinzaine de mai, quand toute la végétation aura démarré…

Petit rappel, en 2017, après la vendange la perte de récolte a été de près de 40%, en 1991 de 50%, c’est un phénomène différent intervenu fin avril mais celui-ci de début avril qui a été très violent par endroits peut laisser espérer une repousse partielle d’où la prudence de la Chambre d’Agriculture. « Cette fois-ci on peu les plus fortes baisses de températures et des dégâts importants sur les Graves, Sauternes, le Sud-Gironde, la vallée de la Dordogne des bords de Saint-Emilion à Sainte-Foy-la-Grande et au Nord-Gironde ».

13 Avr

Figeac : la renaissance de ce 1er grand cru classé de Saint-Emilion avec son somptueux chai

Figeac, un nom mythique à Saint-Emilion. Le nom d’un 1er grand cru classé, 54 hectares dont 41 de vigne qui vient de terminer des travaux titanesques qui ont duré 30 mois et coûté quelques 15 millions d’euros. Tour d’horizon avec la famille Manoncourt qui me sert de guide et Frédéric Faye, le directeur général du château. Ce chai et cette histoire seront dans le prochain Côté Châteaux spécial nouveaux chais du bordelais en mai prochain sur France 3 Noa.

Une partie de la famille Manoncourt devant la bâtisse historique de Château Figeac © JPS

« Bonjour Jean-Pierre, je suis heureuse de vous recevoir, bienvenue, bienvenue à château Figeac ! Je vous présente Blandine, une de mes filles, Hortense, une autre de mes filles… La famille est ici depuis 1892,ce n’était pas un millésime terrible mais 1893 était très très bon », commente la maman  Marie-France Manoncourt. « Figeac vit depuis très longtemps avec ce nom de figeacus qui date d’un Romain qui était dans les lieux…au 2e siècle… »

Et Blandine de Brier-Manoncourt de me montrer cette cloche qui fait partie intégrante de la famille et des traditions dans ce magnifique château : « c’est la cloche qui permet d’appeler les enfants et les membres de la famille à passer à table… Quand c’est prêt, en général on nous appelle comme cela, ce qui est amusant car cela date d’avant le téléphone portable, mais on utilise toujours la cloche parce qu’on l’aime bien, on y est attaché… »

Blandine de Brier-Manoncourt, Marie-France Manoncourt et Hortense Idoine Manoncourt © JPS

« Depuis bientôt 2 millénaires, il y a toujours eu des constructions à Figeac », commente Hortense Idoine Manoncourt. « Cela a toujours évolué et à un moment donné, il faut savoir se mettre à la page… » Et Marie-France de me montrer le magnifique portail qui ouvre sur le tout nouveau chai de Figeac : « vous voyez cette frise, elle a été dessinée par mes petites filles, pendant le confinement, elles se sont rendues utiles durant le 1er confinement avec ce côté artistique, avec aussi l’ajout de la chèvre et du lion, emblèmes de la famille aussi. Et suivant la lumière cette frise rayonne de façon différente…

Le portail du nouveau chai avec ses lettres découpées au laser et la frise réalisée par les enfants Manoncourt © JPS

Durant 30 mois, château Figeac a engagé des travaux dantesques, avec pas moins de 50 entreprises, des travaux sous l’égide du cabinet d’architectes bordelais A3A, pour un montant de 15 millions d’euros. « Le plafond est une vague qui fait son petit effet et nous sommes très contents d’avoir utilisé le bois, la pierre, l’acier, des beaux matériaux…Nous n’avons utilisé que des entreprises régionales, ça cela nous faisait plaisir…« commente Marie-France Manoncout.

L’extérieur du nouveau chai en partie enterré © JPS

« Nous entrons maintenant dans le cuvier de château Figeac », explique à son tout le directeur général Frédéric Faye. « Nous avons profité du relief collinaire de la propriété pour l’intégrer dans le sol, puisque 63% du projet se trouve sous le niveau du sol. Il était important pour nous d’équipe avec la dernière technologie l’ensemble de cet outil, mais toutefois cette technologie est cachée car ce n’est pas cela qui fait un grand vin, c’est la qualité du terroir de château Figeac ».

Le chai de Figeac, doté de 32 cuves inox et 8 cuves bois © JPS

Toutes ces cuves ont été faites sur mesure, 32 cuves inox et 8 cuves bois, en relation avec nos parcelles voire nos intra-parcelles… » « Nous avons demandé au tonnelier Seguin-Moreau de nous mettre 2 douelles transparentes qui permettent d’observer ce qui se passe dans la cuve. Personnellement, j’aime beaucoup au moment de la fermentation, coller mon oreille contre la cuve car on entend tous les glouglous de ce qui se passe lors de la transformation des sucres en alcool. »

A l’étage, « nous sommes ici au dessus du cuvier bois, et une part d’innovation pour nous est liée à l’ergonomie et à la qualité de travail pour le personnel. Pour preuve ici un couvercle qui est manipulable par une seule personne… L’entreprise qui a créé cette cuve a fait appel à une entreprise qui travaille pour le théâtre et qui utilise des contre-poids. » « Cela a démarré par quelque chose qui est très tourné vers mle process, le confort de travail et le confort aussoi de la vie sur Figeac…Figeac, ce n’est pas seulement un vignoble, c’est un ensemble, avec une famille qui vit dans le château, une équipe qui travaille juste à côté dans les chais »

« Là, nous allons présenter, l’âme, la mémoire de Figeac, dans ce caveau qui est dédié à l’ensemble des millésimes, le plus ancien remonte à 1893, premier millésime de la famille Manoncourt… »

Et de passer à la partie dégustation commentée par Frédéric Faye, dans la magnifique salle qui surplombe le grand chai flambant neuf: « château Figeac 2015, très grande réussite, superbe réussite, solaire dans le bordelais, où Figeac révèle toute la fraîcheur toute la subtilité de ses graves, avec des fruits rouges, des fruits noirs, des épices… »

« On construit un chai pour durer, on fait des vins pour durer, Figeac s’inscrit dans un temps long »,  Blandine de Brier-Manoncourt.

Un toast avec le millésime 2015 en l’honneur de Figeac © JPS

Et de porter un toast, « au nouveau chai, longue vie à Figeac », « bravo à l’équipe », remercie Marie-France Manoncourt.

09 Avr

Primeurs à Bordeaux : pas de grand messe mais une campagne adaptée au contexte et qui perdure

Ronan Laborde, président de l’Union des Grands Crus, se démène avec ses équipes de l’UGCB pour que se tiennent des sessions de dégustations professionnelles adaptées au contexte sanitaire actuel à Bordeaux, à Paris, dans quelques métropoles européennes et à Shangaï ou Hong-Kong. Pour les USA et le Royaume-Uni des échantillons seront envoyés. Le millésime 2020 prometteur sera ainsi dégusté par 2000 personnes dans le monde selon Ronan Laborde.

La dégustation de l’UGCB l’an dernier en juin à Bordeaux, déjà en mode de protection sanitaire renforcée © JPS

Traditionnellement Bordeaux rayonnait partout dans le monde au moment de sa campagne des primeurs avec notamment « la semaine des primeurs » qui débutait un week-end de fin mars ou le premier week-end d’avril pour se terminer le premier jeudi d’avril suivant. Une Grand Messe, comme on le disait, où venaient 5500 à 6000 professionnels de toute la planète vin, représentant plus de 50 nationalités différentes. Les dégustations organisées par l’Union des Grands Crus de Bordeaux se faisaient en général dans 7 endroits notamment au Hangar 14 mais aussi dans des châteaux de Pessac-Léognan, du Médoc, etc. Et c’est sans compter bien sûr, toutes les dégustations annexes qui ont vu le jour au fil des ans, on en comptait une bonne cinquantaine, si ce n’est plus. Tout était bien huilé, bien organisé, les journalistes et critiques pouvaient venir déguster, analyser, décrypter ces vins, les commenter et les noter, avec certaines notes très attendues ou redoutées qui permettaient de vendre parfois plus cher…Mais ça c’était avant, avant cette fichue crise sanitaire avec laquelle l’Union et ces professionnels du monde du vin ont du s’adapter.

Ronan Laborde, le président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux © JPS

Cette année, il va y avoir « comme l’an dernier une présentation à Bordeaux la semaine prochaine, sur deux jours, pour 384 négociants et courtiers; les places sont chères, on doit faire avec la contrainte actuelle du confinement et les règles sanitaires et de sécurité accrues, c’est le cas pour la France et en Europe, » Ronan Laborde président de l’UGCB

« A Bordeaux, on a prévu ainsi 65 sessions de 6 personnes maximum par salle, là où l’an dernier il y en avait 8. On comprend qu’il y ait un peu de frustration, mais il y aura d’autres sessions du 26 au 29 avril, les gens de la place pourront y accéder… »

Par ailleurs, l’Union va organiser (avec un niveau ultra élevé de mesures sanitaires avec des sommeliers qui serviront avec masques et visières, un nombre limité de personnes portant le masque, le retirant juste pour la dégustation, des personnes ne se croisant pas dans les couloirs,… pour ne pas créer de cluster) le même format de dégustations à Paris, Bruxelles, Frankfort et Zurich. A Hong-Kong ce seront des dégustations à quelques dizaines de personnes, à Shangaï un mode presque normal. En revanche pas de dégustation comme en France aux USA et au Royaume-Unis, ni à Singapour ou au Japon, où là on va envoyer des sets de dégustation pour les plus gros importateurs. « Il faut voir le verre à moitié plein, on fait le maximum et on va toucher à travers ces opérations plus de 2000 personnes », commente Ronan Laborde.

Casques, masques d’un côté, verres et gobelets individuels de l’autre pour la dégustation l’an dernier © JPS

L’an dernier, l’UGCB a pu organiser 75% à 80% de sa programmation, alors qu’ il n’y a plus actuellement aucun grand salon de dégustation dans le monde du vin. En appui, une campagne digitale est aussi organisée avec le vigneron qui parle du millésime 2020 et possibilité de rentrer en contact avec par la suite…

Parmi les viticulteurs, Eric Perrin, du château Carbonnieux, grand cru classé de Pessac-Léognan, regrette la Grand Messe, tout en comprenant les mesures prises vu le contexte: « c’était vrai événement à Bordeaux, un vrai contact avec nos clients, là malgré tout on fait des présentations en vidéo mais cela n’a rien à voir  car on ne sait pas qui on a en face et on envoie des échantillons, c’est sûr qu’on a une frustration là-dessus…En fait c’est pas mon truc, car je suis ancienne école et j’espère que ce n’est que temporaire… »

Ronan Laborde confirme que la campagne va revenir, dès que cela ira mieux, à l’ancienne formule: « mieux vaut venir à Bordeaux pour apprécier les vins et les déguster, même si l’envoi d’échantillons se fait normalement, car les vins sont jeunes, fragiles, pas aussi stabilisés que quand on fait la mise en bouteille. » Et puis il faut reconnaître que pour l’Union c’est davantage d’investissement : « l’an dernier, on a augmenté de 10% notre budget, cette années de 25%, c’est plus couteux en temps et en frais… »

Yves Beck, critique suisse, en pleine dégustation du millésime 2020 © Michael Jetter

Il n’empêche, sur le terrain, il y a les malins et vieux grognards, des critiques comme le Suisse Yves Beck qui voit sa notoriété augmenter au fil des ans. L’an dernier, il avait été le seul à s’auto-confiner en France au château la Voute, pour faire la dégustation de 1000 vins en primeurs. « Cette année je devrais arriver à 1200 vins », plaisante-t-il. « Cette année, c’est un peu moins compliqué, quoique il y a pas mal de règles auxquelles il faut se tenir. On ne s’embrasse pas, ne se serre pas la main, il ne faut pas prendre cela à la légère. Ce qui est dur c’est de ne pas pouvoir aussi aller au restaurant. J’ai la chance de déguster seul, cette année je suis venu avec un collègue, on s’est fait tester tous les deux avant de partir. On est arrivé le 3 avril et on devrait rester jusqu’à fin mai. En ce moment, avec le Conseil des Grands Crus Classés 1855 j’ai beaucoup de visites de propriétés, chaque jour je déguste, les vins des appellations Saint-Julien, Pauillac, Margaux, j’ai déjà dégusté 245 vins, ce qui me permet de voir le style du 2020…

On est sur de la fraîcheur, des tanins puissants, des baies beaucoup plus petites.. Là c’est frais, fruité et puissant. La clé sera le bel équilibre. On est sur une très belle trilogie, avec 18, 19 et 20, ce n’est pas courant. 2 grands millésimes de suite c’est régulier, mais 3 là c’est waouh ! «  Yves Beck critique en vins.

Au château Smith Haut Lafitte, ce matin Fabien Teitgen à peine remis de 2 soirées à combattre le gel, était heureux  de « présenter ce matin le millésime 2020 à nos négociants. Pas de grande salle et de foule comme d’habitude en mode convivial mais peu de monde en mode masqué, avec des rendez-vous étalés et les distances de sécurité. Mais on arrive à faire notre métier ». Et de donner son avis sur le nouveau millésime : « le 2020, moi j’adore ! Les raisins étaient super bons très goûteux, c’est un millésime qui me plaît depuis le début. Il est marqué par de la fraîcheur et de l’onctuosité. On est content, il a été apprécié… »

L’an dernier, « cette campagne des primeurs (en mode crise sanitaire) s’est finalement montrée satisfaisante sur la tenue », commente encore Ronan Laborde président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux;  « le fait qu’il y ait une campagne a soulagé tout le monde, beaucoup de négociants cela a été leur rayon de soleil, avec des prix attractifs. Les grands crus ont été plutôt bien exposés durant cette campagne ». On leur souhaite de faire aussi bien, voire mieux pour cette 2e année un peu spéciale.

08 Avr

Château Beauséjour HDL : la Safer a retenu le dossier de Beauséjour Courtin avec Joséphine Duffau-Lagarrosse

Le Conseil d’Administration de la Safer a finalement retenu le nom de Joséphine Duffau-Lagarrosse dans le dossier présenté par la société Beauséjour Courtin qui remporte la cession du domaine. Selon la Safer c’est le « maintien d’un lien historique entre cette exploitation viticole et un membre de la famille Duffau-Lagarrosse », et cela répond aussi au souci de la Safer de « permettre l’installation du jeune agricultrice ». Joséphine Duffau-Lagarrosse a accueilli la nouvelle ainsi: « c’est une grande joie, cette propriété j’y suis tellement attachée. » Côté Châteaux lui décerne la rubrique « vigneronne du mois ».

Joséphine Duffau-Lagarrosse en 2016 lors des vendanges au château du Taillan © JPS

C’est par communiqué hier en toute fin d’après-midi que les rédactions ont appris la nouvelle :  « le conseil d’administration de la Safer, qui s’est tenu le 7 avril 2021, a décidé d’attribuer la propriété à la société BEAUSEJOUR COURTIN sous la condition de garantir et de sécuriser l’installation de Joséphine Duffau-Lagarrosse, jeune agricultrice ».

« Pour gérer la vente de cette propriété de 6,24 ha plantés classée Premier Grand Cru Classé de Saint-Emilion s’élevant à 75 millions d’euros, les associés du Château Beauséjour HDL ont choisi de faire appel à la Safer. Dans ce cadre, la Safer a suivi la procédure réglementaire. Elle a lancé un appel de candidatures et a recueilli quatre candidatures à l’attribution du foncier », précise dans un premier temps la Safer qui a été sollicité dans le cadre d’une une intervention à l’amiable.

Le Château Beauséjour Héritiers Duffau Lagarrosse © Coline François

Joséphine Duffau-Lagarrosse qui voyait la propriété sans doute partir, a souhaité se rapprocher de la famille Courtin (groupe Clarins) pour monter avec un dossier dans lequel « je serai à temps plein sur la propriété et j’aurai aussi la direction de la propriété » me confie-t-elle cet après-midi. Certes elle ne sera pas actionnaire majoritaire, mais aura la gestion du domaine en relation avec les autres actionnaires et la famille Courtin.

Je lui ai demandé quelle a été hier sa première réaction quand elle a appris la nouvelle : « pour le coup, je suis restée sans voix. La journée a été très longue, et  arriver jusque là cela a été très long et pas facile. On est allé jusqu’au bout et voilà. Même là, je n’en reviens toujours pas, mais bien évidemment cela a été une grande joie car cette propriété j’y suis tellement attachée. Même si je n’ai pas eu l’occasion d’y travailler, j’ai toujours gardé un oeil dessus. Là, j’espère pouvoir aller loin et la porter le plus haut possible. »

La Safer rappelle que suite à l’avis du comité technique de la Safer le 18 mars dernier qui dans un premier temps n’avait pas privilégié ce dossier, la décision définitive a finalement été renvoyée au 7 avril, prise par le CA  de la Safer, avec représentants de la profession agricole, des collectivités, des acteurs de l’environnement et de l’Etat. Une décision, prise selon le communiqué en « transparence » avec « examen des différents projets de reprise » et « traitement identique », qui est  « conforme aux missions d’intérêt général de la Safer ». 

Château Beauséjour HDL © Coline François

Dans ses motivations de décision, la Safer précise : « dans le cadre du projet de cession du Château Beauséjour HDL, le conseil d’administration de la Safer Nouvelle-Aquitaine…a décidé » :

  • De maintenir la propriété et l’outil de travail dans son intégralité en ne divisant pas le parcellaire, afin de ne pas faire obstacle au maintien du classement Saint-Emilion 1er grand cru classé.
  • D’attribuer la propriété à la société BEAUSEJOUR COURTIN, détenue par la famille COURTIN, sous condition de permettre et sécuriser l’installation de Joséphine Duffau-Lagarrosse, jeune agricultrice.
  • De soutenir un projet d’agriculture durable respectueux de la biodiversité.
  • De maintenir le lien historique entre cette exploitation viticole et l’un des membres de la famille Duffau-Lagarrosse.

Quant à l’échéancier et le projet : « tout va se mettre en place petit à petit », complète Joséphine Duffau-Lagarrosse à qui nous souhaitons bonne chance et bon courage dans ses futures responsabilités à la tête de ce 1er cru classe B de Saint-Emilion.

Gel à Bordeaux : « on est dans le dur, la tristesse et la désolation »

Par ces mots, Jean-François Galhaud président du Conseil des Vins de Saint-Emilion résume le sentiment de bon nombre de vignerons du Bordelais et d’autres vignobles de France qui « ont pris cher » avec ces 2 soirées de gel consécutives, avec encore des températures de -2 à -6°C ce matin. Certains vignobles ont été très touchés et ont perdu plus de 80% de leurs bourgeons, notamment dans le sud-Gironde. Le phénomène de gel a été ressenti sur tout le département.

Encore une soirée de lutte et des températures très froides au petit matin © Sophie Aribaud

« On verra plus clair dans les prochains jours, mais cela a regelé ce matin, on a eu des -2 -3° », témoigne ce matin Jean-François Galhaud Président du Conseil des Vins de Saint-Emilion. « A Vignonet, ce qui n’avait été touché qu’à 20% hier a été touché à 70 à 80% aujourd’hui. ! »

L’ensemble de Saint-Emilion a été sérieusement touché, hormis le plateau. J’ai eu des vignerons sincèrement qui pleuraient et étaient dans un état moral terrible , Jean-François Galhaud Président du Conseil des Vins de Saint-Emilion.

Pierre Courdurié du château Croix de Labrie en Saint-Emilion Grand Cru confirme: « Il a fait froid cette nuit, plus froid qu’hier. » Il a en effet relevé -3,1° à Saint-Sulpice de Faleyrens encore à 7 heures, contre -1,2 sur le plateau de Saint-Christophe-des-Barbes.
En revanche, dans les bas-fonds du Saint-Emilionnais, les températures étaient de -4 à -5°. « Bordeaux n’avait pas besoin de cela… En 2017, on avait perdu 60% de la récolte, là c’est plus violent »,mais heureusement plus tôt par rapport au 27 avril 2017. C’est donc une lutte acharnée qui, la nuit dernière encore, a été livrée sur Saint-Emilion et partout en Gironde. « Dès 22 heures hier on a allumé nos 3 agrofrosts pour réchauffer le sol, puis les bougies, je pense que cela va aller mais pour pour tout ce qui était à côté, cela n’aura pas suffi. »

Laurent Clauzel, à la tête de La Grave Figeac, petit château sympathique en face de Cheval-Blanc témoigne de ce combat cette nuit comme la nuit dernière de tous les instants  « notre vignoble est équipé à 75% de bougies, ces 75% sont à peu près sauvés hormis quelques endroits, mais les 25% où on n’avait pas disposé de bougies, on a là perdu 80%… »

La lutte contre le gel au château d’Arche © Daniel Detrieux

Dans les Graves, comme nous en parlions déjà hier, Dominique Guignard président commentait « Il a beaucoup gelé, c’est catastrophique, je ne me souviens pas avoir déjà vu cela ». Le constat dressé par Xavier Planty joint ce matin est aussi dramatique : « à Guiraud (1er cru classé de Sauternes), je pense qu’on est à 80%, 90% de pertes, d‘après ce que m’a dit Luc, et ce malgré l’hélico…A -5°, même avec un hélico ou du chauffage au sol, tu ne peux rien faire ! Tout le bas de Bommes, à Barsac aussi, pas mal de secteurs ravagés. Tout est noir, je ne sais pas si c’est comme 91 car c’était un peu plus tard en 91 le 22 ou 23 avril, la vigne était plus poussée, ce sont les apex qui avaient cramé. Là ça va repartir, avec les contre-bourgeons, il y aura une petite récolte. En tout cas on voit aussi les merlots sont condamnés, les cabernets francs et sauvignons vont revenir en force, plus tardifs, plus rustiques… »

De l’aspersion à la Tour Carnet pour protéger la vigne © ODG Médoc Haut Medoc Listrac

Joint ce midi, le président du syndicat viticole de l »Entre-Deux-Mers considère qu’il est encore prématuré pour se prononcer sur l’étendue exact des dégâts, en attendant les remontées du terrain, mais pour en avoir discuter avec un assureur :

On est sur une gelée de même ampleur que 2017, la 2e nuit a été plus compliquée que la première. On est descendu à -3, -4°. Il y a même des dégâts sur certains plateaux. Rien de réjouissant », Bruno Baylet président de l’Entre-Deux-Mers.

© Sophie Aribaud

Dans le Blayais, à Fours ce matin, Sandrine Haur du château l’Haur du Chay a lutté aussi contre le gel pour sauver ses 13 hectares de vigne en utilisant des ballots de paille brûlés: « pour nous, cela nous paraît être une des méthodes les moins onéreuses pour protéger notre vignoble au mieux, donc on esssaie de faire de la fumée pour essayer de réchauffer l’atmosphère de 1 ou 2 degrés. »

Au château le Moulin de la Marzelle, Elie Corpandy dresse le constat pour les Côtes de Bourg : « Prignac-et-Marcamps et Bourg sont très peu touchés, par contre tout le plateau de Tauriac a gelé, ainsi qu’une grosse partie de la commune de Pugnac, soit 300 hectares de vignes. »

Que ce soit à l’est, au sud, au nord Gironde, tous les secteurs semblent impactés. A Fronsac, on limite la casse, « quelques-uns ont pris sur les bas de Saint-Michel » selon Damien Landouar ou en bas du château de la Rivière la parcelle de merlots est cramée mais les chaufferettes ont fait leur effet sur la parcelle de blancs selon Xavier Buffo qui s’estime chanceux et solidaire de ses confrères. « En bas sur mes blancs, je suis descendu à -2°. En 2017, j’avais gelé et je me suis équipé de chaufferettes pour les sauver. En revanche, les merlots du bas ont gelé. Mais passé le portail, on repassait au dessus de 0° sur les coteaux tout a été épargné, donc ça va pas trop mal.C’est vrai que c’est la Dordogne et le bois qui nous ont protégés… »

Dégâts sur les jeunes pousses de la vigne © Sophie Aribaud

En Médoc et Haut-Médoc, Hélène Larrieu directrice de l’ODG: « ce matin, j’ai fait un point sur les secteurs très frais, c’est très hétérogène, sur un même pied, il peut y avoir des feuilles gelées d’autres qui se portent très bien. On a eu du -3 ce matin, -4 hier et c’est tombé jusqu’à -6 sur le secteur de Listrac où il y a des vignes rasées à 100%. Mais nos terroirs sont un peu plus tardifs, avec des zones proches de l’estuaire épargnées par le gel, pour cela on va pas mal s’en sortir…Ce n’est pas catastrophique mais il y en a un peu partout, localement. »

Le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux a publié cet après-midi ce communiqué : « La France viticole a été, ces dernières nuits, violemment frappée par le gel. .A Bordeaux, le gel a durement frappé de vastes zones du vignoble, les températures sont parfois descendues en dessous de – 5°C touchant l’ensemble des appellations (65 appellations / 111 000 hectares) ».

Le vignoble bordelais très sévèrement touché par le gel L’ensemble de la filière souhaite exprimer sa solidarité à toutes ces femmes et ces hommes qui se sont retrouvés impuissants face à ce gel exceptionnel. » Bernard Farges, président du CIVB

« Les dégâts sont en cours d’évaluation.  A ce stade, il est cependant déjà certain que ce gel du printemps impactera sévèrement le volume de la récolte 2021.   Cet épisode de gel vient d’anéantir une partie significative du travail des vignerons et de la récolte dans une période déjà très éprouvante à la fois moralement et économiquement. Face à l’ampleur du sinistre, qui va toucher tous les opérateurs, la profession se mobilise. La meilleure réponse à donner pour soutenir la viticulture, c’est d’acheter du vin… »

Et Jean-François Galhaud du Conseil des Vins de Saint-Emilion de rappeler que « ces épreuves ont toujours existé »A cause du réchauffement, elles reviennent chaque année. Comme l’écrivait Louis Orizet à la manière de Kipling dans son poème qui trône fièrement dans quelques chais de Saint-Emilion et dans d’autres caveaux de vignerons en France: « si tu peux résister à la griffe du froid, si tu peux, sans un pleur, constater le matin que le gelée perfide a dépouillé ta vigne …Tu seras Vigneron, Mon Fils ! »

 

07 Avr

Dégâts sur le Bordelais: un gel pour certains comparable à 2017

Les Graves ont été pas mal touchées par le gel, de même Sauternes, et également dans le Blayais, et une partie des Côtes de Bourg. Plusieurs appellations du Bordelais commencent à répertorier les dégâts dus au gel de cette nuit. Un gel qui n’a pas été le même pour tous. Ils redoutent aussi la nuit prochaine…

Les dégâts dus au gel de cette nuit © Nicolas Lesaint

Progressivement les remontées d’information se font, frileusement pour ne pas dire au compte goutte. Et comme la pluie où il faut savoir passer entre les gouttes, là il faut savoir lire entre les lignes. Bref difficile d’y retrouver son latin, mais cela n’empêche pas Côté Châteaux de continuer à décrypter toutes ces remontées du terrain.

Pour Thibaut Layrisse, le tout nouveau directeur du syndicat de Blaye, c’est ce qu’on pourrait qualifier de baptême du feu ou de bougies…« Sur Blaye, on est quand même assez touché, on a des zones à 30% et d’autres à 50%. On va envoyer un questionnaire à tous nos adhérents pour faire un petit bilan, mais cela semble proche de 2017 et donc conséquent ! Malheureusement, ce n’est pas fini, cela risque d’être une année assez compliquée, avec peu de volume. »

A Saint-Emilion, Franck Binard directeur du Conseil des Vins de Saint-Emilion explique que « pour le moment, c’est prématuré de se prononcer  globalement, mais oui il y a un vrai impact »; on ne sait pas encore dans quelle proportion, on a eu jusqu’à -4 -5° et sur ces zones là, ça va être compliqué. On attend encore un peu pour voir l’étendu des dégâts. Mais 3 fois en 4 ans, cela commence à faire beaucoup. »

Dans les Graves, Dominique Guignard le président me confie : « il a beaucoup gelé, c’est catastrophique, je ne me souviens pas avoir déjà vu cela, j’essaie de me remémorer 1991, cela y ressemble vraiment. Sur les Graves, Portets, Saint-Pierre-du-Mons, Illats, Langon, La Brède, je n’ai pas vu de gens épargné…Quand on passe dans certaines vignes, il n’y a plus rien de vert, les feuilles sont mortes, c’est d’une violence terrible. »

Sauternes a aussi été touché comme le confiait Jean-Jacques Dubourdieu à Dominique Guignard, pas facile pour tous ces vignerons…Pour Dominique Guignard, « c’est pire que 2017 à vu d’oeil sur notre secteur ».

Dans les Côtes de Bourg, Didier Gontier le directeur me confie : « j’ai un secteur très touché: Tauriac et Pugnac. On était en dégustation ce matin et les gens sont arrivés, ils m’ont montré des photos cela m’a calmé. Ils ont pris du -5°, malgré leurs efforts pour réchauffer, le résultat il est là, c’est cramé. »

Du côté de Saint-Loubès, Nicolas Lesaint du château de Reignac: «  pour nous c’est comme 2017, on est pas mal touché, à 50%. Ce n’est toutefois pas un gel aussi homogène que 2017. Il ya des secteurs où on va repartir de zéro et d’autres où on va suivre. Tous ces vins là on va les travailler à fond, j’ai encore de l’espoir et on va essayer de faire plus et mieux qu’en 2017. »

Regardez le témoignage de Fabrice Reynaud, vigneron dans les Graves en direct sur France 3 ce midi avec Jean-Michel Litvine